L'évolution du monde sépharade...
Lorsque les sionistes ont défini le projet nationaliste juif, c’est principalement en Europe chrétienne qu’ils ont puisé leur inspiration. Le sionisme est né dans l’esprit de juifs ashkénazes non religieux.
Il ne pouvait en être autrement pour trois raisons simples:
- Les religieux n’imaginaient la renaissance nationale juive qu’avec la venue du Messie.
- Les séfarades vivaient un judaïsme beaucoup moins en confrontation que les juifs vivant en terre chrétienne.
- Les séfarades vivaient au XIXème siècle dans des sociétés hors d'atteinte du modernisme.
Au début du sionisme, c’est souvent l’idéologie socialiste qui servit de modèle, et nombre des premiers pionniers voyaient dans la réalisation sioniste, non le renouveau national juif, mais l’accomplissement du rêve internationaliste.
L’idéologie socialiste n’est plus un idéal partagé par les israéliens, mais c’est toujours en grande partie à partir des schémas de l’Europe chrétienne que l’Etat d’Israël s’identifie (démocratie parlementaire, économie de marché, etc.)
61 ans après sa création, l’Etat d’Israël est reconnu comme un état occidental, démocratique et développé au sens entendu des valeurs occidentales.
Il est évident que l’idée Sioniste telle que définie n’aurait jamais pu naître dans l’esprit de juifs séfarades qui vivaient en Terre d’Islam un judaïsme relativement différent de ce que fut le judaïsme Ashkénaze, que ce soit en Iran, Irak, Yemen ou Ethiopie, ou même dans le Maghreb avant l’influence française et l’Alliance Israélite Universelle, ou après.
Les juifs séfarades, sont d’ailleurs devenus une réserve humaine pour le judaïsme orthodoxe ashkénaze lithuanien, si l’en en croit par l’arrivée au Maroc au début du XXème siècle du Rabbin Zeev Alperin, qui jouera un rôle important dans « l’ashkénazisation » des juifs orthodoxes marocains.
Parallèlement à la construction de l’Etat des juifs, (je dis l’Etat des juifs car pour moi, l’état juif est et sera toujours en construction) les religieux orthodoxes ashkénazes qui continuent pour beaucoup d’être antisionistes, ou au moins suspicieux vis-à-vis de l’Etat israélien, ont imposé leur vision du judaïsme, marqué par la rigueur des Yéshivot lithuaniennes.
Les rabbins séfarades avaient pourtant une longue tradition et réputation dans l’étude de la Thora et du Talmud, mais par la force des choses, quittant les pays arabes et débarquant en Israël, ils ont étudié dans les seules structures existant alors, celles dirigées par les orthodoxes du parti Agoudat Israël.
C’est donc logiquement qu’ils furent influencés par la tradition rigoriste du judaïsme orthodoxe européen, et particulièrement le courant lithuanien.
Le patrimoine des grands sages irakiens, marocains, algériens ou venant d’Espagne est pourtant gigantesque. Ce sont des rabbins séfarades qui ont écrit la Kabbale, ce trésor de la mystique juive, et de nombreuses communautés reconnues par la suite comme ashkénazes en Grande Bretagne, en Hollande en Tchéquie ou ailleurs furent à l’origine le fruit de l’exil de séfarades d’Espagne, du Portugal ou du Sud de l’Europe.
La différence essentielle entre ces deux judaïsmes vient des méthodes dans l’étude et du rigorisme.
Les grands rabbins séfarades sont à l’origine de très nombreuses décisions jurisprudentielles (Taquanoth, ou responsa halakhiques) rendues contre la Loi au sens formel (Halakha), mais en respectant l’esprit des Lois et les fondements de la civilisation juive. Ces décisions courageuses étaient prises avec l’objectif quasi obsessionnel de résoudre des problèmes humains apparus avec le temps.
Quelques exemples prouvent la sagesse, la tolérance, et l’ouverture d’esprit de ces maîtres séfarades qui brillaient dans tant de sciences profanes en dehors du judaïsme :
- A Meknès le Rabbin Raphaël Berdugo malgré l’interdiction halakhique, autorisa le remariage d’une femme avec son ancien mari (converti à l’islam) qui lui avait pourtant donné le « guet » ! Au motif qu’ainsi le Juif converti à l’Islam ne serait peut-être par perdu pour le judaïsme, et qu’en tout cas, c’était bien la seule chance pour le récupérer.
- Le Rabbin Ankaoua, autorisa la circoncision d’un enfant né d’une femme non juive, mais d’un mari juif au motif que c’est le premier pas vers la conversion.
Dans les pays séfarades, il n’y avait pas deux « cacherout ». Les rabbins mangeaient exactement les mêmes aliments que toute
la communauté. Lorsqu’un aliment était autorisé, le rabbin se faisait un honneur de le manger pour montrer l’exemple.
Parmi les juifs orthodoxes séfarades, les femmes ne se rasaient pas la tête.
Ainsi, depuis le dixième siècle et jusqu’en 1956, des centaines de décisions furent prises avec courage par les maîtres du judaïsme séfarade concernant les contrats de mariages, ou les lois sur les échanges commerciaux. Ces décisions allaient parfois à l’encontre de la Halakha définie par un rabbin séfarade, Rabbi Yossef Karo.
Aujourd’hui, trop souvent, les décisionnaires potentiels se réfugient derrière le postulat qu’on ne peut pas changer la Loi établie il y a 2000 ans parce que ceux qui ont promulgué ces Lois étaient de Grands Sages inspirés.
Il faudrait pour amender ces Lois, qu’un Grand Sanhédrin (Tribunal) soit réuni !
Mais compte tenu du nombre de courants différents c’est clairement impossible
Il faut bien reconnaître que c’est bien de la faiblesse que de se réfugier derrière cet argument car il est beaucoup plus facile de ne rien changer que de changer. C’est comme en politique, l’immobilisme est la stratégie facile puisque moins risquée. Mais comment ne rien changer quand tout change autour de vous ?
Personne n’ose intervenir pour rappeler que le judaïsme se caractérise par sa passion d’ouverture, de tolérance et par sa volonté de vivre avec son temps. Israël, ni la diaspora juive ne doivent vivre en ostracisme !
C’est parce que des Grands comme Maïmonide étaient érudits en philosophie grecque qu’ils ont pu écrire contre l’avis des orthodoxes de leur époque le guide des égarés. Il en est de même pour la judaïsation du sionisme indispensable à la construction et la survie d’Israël en tant qu’Etat Juif.
Sans remettre en cause l’apport considérable du judaïsme orthodoxe ashkénaze, cette judaïsation serait bienvenue de s’inspirer de ce que fut la tradition séfarade d’un judaïsme ouvert.
Bernard Darmon
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