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L’Antisémitisme de bureau, de Laurent Joly

© Albert Speer présentant à Hitler une maquette du pavillon allemand pour l'expositions universelle en 1937 ©Suddeutsche Zeitung/Rue des Archives

 

L'Antisémitisme de bureau, de Laurent Joly

 

L'Antisémitisme de bureau de Laurent Joly révèle le monde des employés de la préfecture de police pendant la Seconde Guerre mondiale, qui loin de manifester le moindre antisémitisme s'attachaient surtout à faire du bon travail.

 

Dans une vision convenue de la Seconde Guerre mondiale, les choses sont simples. Il y a d’un côté les monstres authentiques, les criminels de guerre et les génocidaires. Il y a de l’autre les véritables héros, résistants, soldats, hommes politiques. Mais que dire de ceux qui ne rentrent pas dans ces catégories ? De ceux qui, n’étant ni totalement haïssables ni complètement respectables, ont vécu au coeur de la guerre, tâchant de faire des choix entre les contraintes du temps et leurs engagements personnels ? La parution d’une étude sur les administrations françaises pendant la guerre et la réédition, à quelques jours d’intervalle, des Mémoires d’Albert Speer offrent ainsi un parallèle saisissant, et mettent en avant ces situations intermédiaires, à travers le cas particulier de ceux qui, sans avoir été les instigateurs de l’horreur nazie, ont joué un rôle essentiel dans la mise en application de son programme.

L’étude des employés français du « service juif » de la préfecture de police de Paris et de leurs collègues du Commissariat général aux questions juives montre ainsi deux administrations françaises qui s’efforcent d’appliquer les mesures anti-juives édictées par l’occupant ou par les autorités de Vichy. La politique générale en est bien connue : recenser et identifier les Juifs, aryaniser l’économie, puis, rapidement, déporter. Pourtant, si les deux institutions ont un but commun, elles sont dans des situations bien différentes. Dans un cas (le Commissariat général), il s’agit d’une administration « de mission », entièrement nouvelle et destinée à appliquer les mesures prises dans le cadre de la « Révolution nationale » ; dans l’autre (la préfecture de police), on a affaire à une vieille institution, habituée depuis les années 1930 à ficher et à recenser les populations considérées comme indésirables. De ces disparités découlent un rapport différent à leur objet, les agents de la préfecture étant quotidiennement en contact avec les populations juives, les employés du Commissariat ne les croisant pratiquement jamais.

Pourtant, malgré les différences, les similitudes l’emportent. Chez ces petites mains de la «Solution finale», on cherche en vain l’antisémitisme militant, la haine des Juifs ou l’adhésion sans états d’âme à la collaboration. Ce qui domine, c’est plutôt la conscience professionnelle du petit bureaucrate, content de bien faire son travail et refusant de mesurer la signification réelle de son activité.

Le cas d’Albert Speer, architecte en chef puis ministre des Armements du Reich, intime de Hitler, est d’un tout autre niveau. Il n’en est pas moins extrêmement intéressant sur le mode de fonctionnement du système nazi, sans doute parce que Speer fut l’un des dirigeants les plus intelligents du régime nazi, l’un des seuls aussi à reconnaître (fût-ce partiellement) ses fautes. Ses Mémoires, malgré la désagréable, quoique subtile, part d’autojustification, sont passionnants et remarquablement écrits. Il y décrit son parcours personnel, qui l’amène à rencontrer Hitler et à se vouer à lui plus qu’à une politique et à un système. Mais les passages les plus intéressants sont ceux où il explique son rôle dans l’organisation de l’industrie de guerre allemande. Seule compte pour lui l’efficacité, et il ne peut s’empêcher d’être fier de ses succès technocratiques : doublement de la production d’armes malgré les bombardements, production de fusées V1 et V2 en particulier. Là encore, les conséquences de ses actes (comme, tout simplement, la prolongation de la guerre) ne sont pas clairement assumées. Prédomine le sentiment d’avoir accompli un excellent travail.

Le parallèle entre ces simples employés ayant eu un rôle mineur, mais essentiel, de rouage dans le système nazi, et ce grand dirigeant mettant tout son talent dans la construction de ce même système pose la question cruciale de la responsabilité. Les deux ouvrages montrent en tout cas que, quelle que soit la position occupée pendant la guerre, minuscule ou, a fortiori, plus importante, il était impossible de se décharger complètement de son rôle individuel dans l’établissement et le fonctionnement de l’institution.

 

Par Joël Chandelier

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