La Conférence d’Evian : un livre important de Raphaël Delpard (info # 022012/15)[Analyse d’une œuvre]
Par Guy Millière ©MetulaNewsAgency
Quand la Shoah a-t-elle commencé ? La question s’est récemment posée lorsqu’il a été question de la rencontre entre Adolf Hitler et Amin al Husseini à Berlin, quelques semaines avant que ne soit prise, à Wannsee, la décision d’enclencher la « solution finale ». Quelle que soit la responsabilité d’Amin al Husseini, celle-ci est écrasante, et Amin al Husseini y a, pour le moins, collaboré et participé activement, dans un contexte où le national-socialisme et la volonté d’extermination des Juifs suscitaient l’enthousiasme dans le monde arabe, tant chez les nationalistes que chez les islamistes.
La Shoah, cela dit, a commencé avant Wannsee. Elle a commencé avant la rencontre entre Adolf Hitler et Amin al Husseini.
Elle a commencé avec l’antisémitisme virulent qui a imprégné l’Europe pendant des siècles, et elle en a été la sinistre apothéose.
Elle a continué avec la montée en puissance du national-socialisme et de l’antisémitisme national-socialiste en Allemagne et bien au-delà de l’Allemagne, à partir des années 1920.
Elle a impliqué la complicité de tous les pays du monde, déjà présente au moment des Jeux Olympiques de Berlin en 1938, organisés alors que nul ne pouvait ignorer qui était Adolf Hitler et ce qu’étaient ses projets.
Cette complicité a connu un tournant symbolique lors d’un événement trop souvent passé sous silence, et que, dans un livre indispensable, La conférence de la honte, notre camarade Raphael Delpard met au jour de façon détaillée : la conférence d’Evian, tenue pendant l’été 1938.
Ce qui s’est joué à Evian a été effectivement honteux, mais cela a été davantage qu’honteux, comme le montre Delpard : cela a été l’abandon par le monde de centaines de milliers de personnes. Cela a été la confirmation donnée à Hitler qu’aucun pays du monde, pas même les Etats-Unis de Franklin Roosevelt, n’était prêt à accueillir la moindre de ces personnes.
Cela a été une sorte de feu vert donné à ce qui allait conduire à Auschwitz.
Cela a été la démonstration apportée à Hitler que pas un seul pays ne voulait des Juifs, et les détails que donne Delpard (tirés des déclarations faites lors de la conférence) sont accablants.
Cela a été la preuve qu’Hitler avait raison, et que toute tentative qu’il aurait pu envisager de se contenter de persécuter les Juifs aux fins de montrer qu’il les haïssait au point de les torturer physiquement et mentalement et de les tuer, aux fins qu’une main se tende vers eux se révélerait vaine, tout projet qu’il aurait pu concevoir de les déporter vers d’autres terres se révélerait inconcevable et voué à l’échec.
Delpard rappelle que le foyer national juif qu’était censé être le Mandat palestinien confié aux Britanniques a été fermé aux Juifs de façon quasiment hermétique dans les mois qui ont suivi Evian. Amin al Husseini ne voulait pas des Juifs et les préférait morts, les Britanniques, trahissant la déclaration Balfour, n’en voulaient pas non plus : ils ont même, trahison des trahisons, envisagé, en 1939, de faire du Mandat palestinien un Etat arabe.
Delpard rappelle que les bombardements alliés ont épargné, volontairement, les lignes ferroviaires et les installations génocidaires nazies. Il rappelle la pathétique trajectoire du Saint Louis, ce bateau chargé de Juifs qui, après avoir quitté l’Allemagne, n’a pu trouver, outre Atlantique, aucun port où faire débarquer ses infortunés passagers, et est retourné en Allemagne. Il rappelle que les alliés ont tiré sur des bateaux chargés de rescapés des camps de la mort dès les derniers mois de la guerre, et après la guerre.
Le crime nazi, écrit Delpard, a été rendu possible par le silence des nations.
J’aurais tendance à aller plus loin, et à dire que le crime a pu se perpétrer (et s’est perpétré) avec la complicité du monde.
La conférence d’Evian a, effectivement, été la conférence de la honte, et, en même temps, un moment davantage qu’honteux.
La complicité du monde a fait de la Shoah un grand Crime commis en commun par les pays et dirigeants du monde entier.
Elle suffirait à justifier l’existence d’Israël, si Israël n’avait pas, en soi, la légitimité d’être la renaissance de la souveraineté juive sur la terre d’Israël.
Voir que la complicité des dirigeants du monde entier avec les ennemis d’Israël se dessine aujourd’hui montre que ceux qui ont été complices de la Shoah gardent une mentalité de complices.
Note :
Raphael Delpard, La conférence de la honte, Michalon, 2015, 250p., 19€
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