La création d’un Etat palestinien rapporterait 123 milliards de dollars à Israël en dix ans
Vingt ans après la signature des accords d’Oslo entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), les arguments politiques des partisans de la solution des deux Etats peinent à s’imposer dans les deux camps. Chaque round de négociations avorté, chaque nouvelle construction dans les colonies israéliennes et chaque renouveau des tensions entre Israéliens et Palestiniens entame le compromis entériné en 1993. C’est donc sur le terrain économique que le think tank américain Rand Corporation a trouvé de nouveaux arguments en faveur de la solution au conflit, prônée depuis des décennies par la communauté internationale. Dans un rapport publié en juin 2015 et présenté au Quai d’Orsay mi-septembre, la Rand Corporation enfonce le clou et détaille, chiffres à l’appui, les bénéfices économiques que retireraient Israël et la Palestine en cas de cohabitation des deux Etats.
Plusieurs solutions ont été envisagées – solution des deux Etats ; retrait unilatéral coordonné ; retrait unilatéral non coordonné ; résistance non violente ; et soulèvement violent –, sous l’angle des coûts et bénéfices économiques, directs et indirects, respectifs pour les Israéliens et les Palestiniens sur dix ans (2014-2024) par comparaison au maintien du statu quo. Dans les projections ont été pris en compte plusieurs facteurs : la hausse du PIB, la croissance démographique, l’extension des colonies, les cycles de tension et incursions israéliennes, et l’aide internationale. L’impact de certains facteurs « intangibles », tels que la défiance réciproque, le facteur religieux ou le sentiment d’insécurité, « principaux obstacles à la paix », ont été considérés. Sur son site internet, Rand Corporation a incorporé une calculatrice interactive permettant de faire sa propre évaluation des coûts du conflit israélo-palestinien.
Investisseurs internationaux
Selon l’étude, la solution des deux Etats apporterait, à l’horizon 2024, à Israël une hausse de 123 milliards de dollars (110 milliards d’euros) de son PIB (établi à 295 milliards de dollars en 2014) et de 50 milliards de dollars de PIB aux Palestiniens (établi à 13,9 milliards de dollars en 2014). Le revenu moyen par ménage augmenterait de 36 % côté palestinien, contre 5 % côté israélien. Ce scénario créerait des opportunités économiques pour les investisseurs internationaux publics et privés. Il est prévu que les coûts de relocation des colons israéliens soient pris en charge par la communauté internationale. L’étude contredit par ailleurs les arguments sécuritaires invoqués par les opposants israéliens à la solution des deux Etats : aucune hausse du budget de la défense n’est à envisager pour Israël, qui pourrait réorienter son budget vers de nouvelles menaces.
L’Etat hébreu verrait une hausse des investissements, de la productivité, des revenus du tourisme et du commerce avec les pays du Moyen-Orient et avec l’Etat palestinien. Ce dernier obtiendrait, outre les bénéfices tirés de l’accès entier à ses ressources et de la libre circulation des biens et des personnes, une réduction des charges sociales, des régulations bancaires et des barrières commerciales.
Le retour à un conflit armé aurait pour conséquence une perte de 46 % du revenu moyen par ménage côté palestinien et de 10 % côté israélien. Israël verrait son PIB chuter de 45,1 milliards de dollars, contre 9 milliards de dollars pour les Palestiniens. Le scénario d’une résistance palestinienne non-violente, qui enregistre ses premiers succès au sein de la communauté internationale avec la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS), pourrait voir le PIB d’Israël perdre 15 milliards de dollars, et le revenu moyen par ménage 3,4 %, tandis que le PIB de la Palestine perdrait 2,4 milliards de dollars, et le revenu moyen par ménage 12 %. L’effet direct et indirect cumulé de la campagne BDS sur dix ans pourrait être pour Israël de l’ordre de 60 milliards de dollars, estime la Rand Corporation. Début 2015, l’ancien ministre de l’économie israélien, Yaïr Lapid, l’avait estimé à 44 milliards de dollars.
Impasse politique
Cette étude, commandée par le philanthrope américain David Richards, et réalisée entre février 2013 et avril 2014 sous la direction de C. Ross Anthony, directeur de l’Initiative israélo-palestinienne, de l’économiste Daniel Egel et de Charles P. Ries, vice-président de Rand Corporation, fournit donc des arguments supplémentaires à la solution des deux Etats. Mais, face à l’impasse politique et au renouveau des tensions autour de l’esplanade des mosquées à Jérusalem, ces arguments trouvent de moins en moins d’écho.
Selon un sondage publié par le Centre palestinien pour la recherche politique et les études stratégiques (CPRPES), lundi 21 septembre, 65 % des Palestiniens estiment que la création d’un Etat palestinien n’est plus possible, compte tenu de la poursuite de la colonisation et de la fragmentation de la Cisjordanie. Ils sont même 51 % à se dire désormais opposés à la solution des deux Etats et 42 % à estimer que seule la violence armée pourra permettre la création d’un Etat palestinien. En juin 2015, un sondage publié par l’université hébraïque de Jérusalem et le CPRPES avait évalué le soutien à la solution des deux Etats à 51 % des personnes interrogées, tant côté palestinien qu’israélien.
Le Monde.fr
Par Hélène Sallon
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