LA GENTILLESSE, UNE VALEUR EN QUÊTE DE SENS
par Hafid Yatim
Comme le souligne Emmanuel Jaffelin (1) dans son ouvrage 'Petit éloge de la gentillesse', la gentillesse a longtemps été une notion ambiguë. Tout au long de l'histoire, le mot a revêtu des sens différents, voire contradictoires peinant à se trouver une assise lexicale claire et définitive. Le terme 'gentil' vient de 'gentilis' qui dans la Rome antique désignait le noble. On était alors 'gentil' de naissance. Le terme sera plus tard étendu aux esclaves pour souligner leur appartenance physique aux familles fondatrices de Rome. Par la suite, ce sont tous les citoyens romains qui seront qualifiés de 'gentils'. Plus encore, par extension, le terme désignera l'ensemble des nations soumises à l'Empire et même celles qui s'y opposent.
Au début du christianisme, alors que 'goy' définit en hébreu le non juif, c'est le terme 'gentil' qui sera choisi pour nommer le païen. C'est ainsi que saint Paul, chantre du prosélytisme chrétien, est dit 'l'apôtre des gentils' et qu'aujourd'hui encore, au sein de l'église, les impies sont appelés 'les gentils'.
Au Moyen Âge, c'est un retour au sens romain qui s'opère. Les nobles sont qualifiés de 'gentils hommes' puis de gentilhommes (en un mot). Au début du XIIe siècle, 'la jantillesce' décrit les valeurs de la chevalerie qui caractérisent les nobles. De la 'gentilité' marquant l'appartenance au clan de la gens (la noblesse), on passe à la 'gentillesse' qui, elle, exprime une manière morale de se comporter (l'attitude chevaleresque). A l'époque, le rang du noble lui impose une certaine conduite : il doit avoir le sens de l'honneur, être preux, juste, généreux…
Dans la période allant du Moyen Âge à la Renaissance, ce modèle du Chevallier va s'éroder. Le noble change et s'éloigne des valeurs inhérentes à la chevalerie ; il est devenu vil courtisan, faux, flagorneur, calculateur servile et obséquieux. La gentillesse devient l'incarnation morale d'une classe sociale dépourvue de valeurs.
A la Révolution, la gentillesse finit de voir son sens complètement inversé, elle n'est plus que l'expression de la décadence aristocratique. Le gentil est 'une sangsue', un affameur du peuple. L'ère est à l'égalité des hommes ; il sera pourchassé. On assiste à l'avènement d'une classe nouvelle, la bourgeoisie qui privilégie le travail sur l'oisiveté. De nouvelles valeurs vont émerger. La gentillesse ne sera plus une vertu sociale traduisant la supériorité d'une classe - une noblesse de rang et de sang - mais une vertu morale universelle, une noblesse de l'âme, un élan ouvrant la voie à un nouvel humanisme...
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