La SNCF et la SHOAH dernier épisode(info # 013012/14)[Analyse]
Par Raphaël Delpard © MetulaNewsAgency
Raphaël Delpard est l’auteur du livre "Les convois de la honte", enquête sur la SNCF et la déportation (1941-1945), éditions Michel Lafon, 2005.
Nous pensions que le débat sur le rôle joué par la SNCF dans le transport de la population juive en France pendant la Seconde Guerre Mondiale - qui fut fort animé il y a quelques années - était clos depuis le 25 janvier 2011 ; jour où le président de la compagnie ferroviaire, Guillaume Pépy, avait prononcé le discours de la repentance que nous attendions depuis cinquante ans.
Un exposé tempéré par l’absence totale d’émotion procurée par les mots qui furent utilisés, idem pour les formules. Jamais nous ne verrons ce discours convenu et compassé gravé en lettres d’or dans le marbre du souvenir. Les phrases étaient mesurées de manière à ne choquer personne et à ce que personne ne se trouve en position d’accusé, particulièrement les représentants de la Résistance cheminote.
Car si, sans nul doute, elle a été active, elle ne le fut pas dans les proportions dont on nous rebat les oreilles depuis la Libération. Qu’il soit dit encore une fois, que sur quatre cent dix mille cheminots que comptait la compagnie ferroviaire à cette époque, quarante mille d’entre eux, soit dix pour cent, eurent le courage de s’opposer à l’ennemi, mais également à la direction de la compagnie. L’action de ces quarante mille, elle, restera à jamais dans notre mémoire.
Du fatras compassionnel du président Pépy, retenons une seule phrase, car la naïveté de son énoncé traduit la terrible vérité.
Il est question de la vieille antienne de la compagnie réquisitionnée par l’occupant. Guillaume Pépy, après l’avoir racontée longuement et pesamment, enchaîne et dit : « Contrainte, certes, notre entreprise a acheminé ces trains jusqu’à la frontière. Elle l’a fait ».
C’est le « elle l’a fait » qu’il faut retenir. Car l’expression centralise la réflexion et permet dans le même temps d’entrevoir l’horreur de la tragédie. Oui, elle l’a fait, et c’est bien cela le problème.
Jamais un convoi ne fut arrêté ni détourné. Jamais la direction de l’époque, dont les membres - tous d’anciens polytechniciens, nourris au lait de la République, chrétiens pour la majorité d’entre eux, issus de familles radicales-socialistes dans les veines desquels coulait encore l’Affaire Dreyfus -, n’ont manifesté la moindre désapprobation à l’occupant devant le sale boulot qu’il leur demandait d’accomplir. Ils « l’ont fait ». Tout est dit dans la simplicité effrayante de la formule.
Inutile d’essayer d’expliquer une fois de plus le fonctionnement du rouage de la mort. Il faudra attendre des années pour qu’il soit compris et que la vérité soit acceptée.
Donc nous pensions que tout était désormais réglé, et voilà que vient de surgir le dernier épisode auquel personne ne s’attendait.
Après d’âpres négociations, les administrations américaine et française ont conclu l’accord suivant : il sera versé 60 millions de dollars aux Juifs américains qui se trouvaient en France au moment de l’occupation nazie et qui ont été raflés et déportés. La somme représente grosso modo cent mille dollars par individu. On a recensé à ce jour à peu près dix mille bénéficiaires. Petit bémol à ce compromis cependant : ne pourront toucher la compensation financière que ceux qui sont encore vivants.
Compte tenu du petit nombre de survivants qui rentrèrent des camps de destruction, et des années passées depuis la Libération, il n’y aura pas foule devant le guichet distributeur. Leurs enfants auront droit à percevoir une partie de la manne, certes. Comme le prétend la sagesse populaire : "vaut mieux parfois un mauvais accord que pas d’accord du tout".
L’énoncé de l’arrangement entre la France et les U.S.A a fait l’effet d’une bombe dans le mainstream parisien. La presse vassale du pouvoir s’est empressée de montrer les crocs et d’entonner le refrain habituel : "Juif, Shoah, business".
Il n’étonnera personne de savoir qu’au premier rang des aboyeurs de la meute se trouvait le journal de référence : Le Monde. Les empressements de ce tabloïd prétentieux à salir les Juifs dès que l’occasion se présente m’évitent de commenter les articles qui ont été consacrés au fonds d’indemnisation. Les autres journaux n’ont guère été plus inspirés, écrivant n’importe quoi, sans se soucier un seul instant de la vérité historique.
Les plumitifs qui ont eu la charge, dans chaque organe de presse, de rédiger l’article n’ont pas eu la curiosité élémentaire d’effectuer les recherches qui s’imposent à un journaliste sérieux ; un stage à la Ména leur ferait le plus grand bien.
Afin d’illustrer ce que je viens d’exposer, prenons en exemple Le Parisiendans son édition du 13 décembre 2014. L’article mentionne des gens arrêtés et déportés par bus « par exemple RATP ». Nous sommes ainsi invités à conclure que l’entreprise qui gérait les bus parisiens était la RATP. Une simple recherche aurait permis au scribouillard de service du Parisiende découvrir que la société de transport des autobus parisiens à l’époque était la TCRP.
Fort de cette lecture parsemée d’erreurs historiques, je cherche le nom de l’auteur à la fin de l’article. A la place réservée je trouve : AFP. Inutile là aussi d’aller plus loin et de m’épuiser en longs commentaires sur l’ineptie actuelle de la presse française. Encore moins sur l’AFP, sicaire de la vérité dès que des Juifs sont concernés.
Voilà aujourd’hui de quelle manière la page de la déportation est traitée dans la presse française. Et, lorsque Guy Millière écrit que, dans dix ans, le sujet de la déportation des Juifs de France ne sera plus abordé, il est à craindre qu’il ait fortement raison.
Les Juifs « américains » étaient en effet des Juifs qui fuyaient, souvent dans des conditions terribles, l’enfer nazi qui sévissait en Allemagne, en Autriche, dans les territoires des Sudètes, et en Pologne. Ils arrivèrent en France avant que son territoire soit envahi par l’armée du Reich. Mais, une fois sur place, l’étau se refermant sur eux, ils eurent à subir l’humiliation du racisme, l’arrestation arbitraire et la déportation, au même titre que les Juifs français.
Le dernier acte du procès contre la SNCF qui vient de surgir est en réalité le premier volet du combat pour la reconnaissance de ces Juifs. Nombreux quittèrent l’Europe juste après l’anéantissement du troisième Reich. Arrivés aux U.S.A, ils essayèrent de faire leur place dans la société américaine, et, à titre personnel, de se reconstruire. Ils étaient éloignés, géographiquement et mentalement, des efforts entrepris par les instances françaises en vue de réclamer des compensations financières pour les victimes des crimes racistes perpétrés par l’occupant nazi.
Lors de la mise à plat des indemnités accordées aux victimes de l’Allemagne nazie, ils auraient tout simplement été oubliés s’il n’y avait eu des avocats américains, à la tête desquels nous trouvons Harriet Tamen. Ils formèrent un groupe et se lancèrent voici quatorze ans dans le combat de la reconnaissance.
Il faut savoir qu’ils ne se sont pas contentés de travailler outre-Atlantique, ils sont entrés en contact avec des consœurs et des confrères français, les exhortant à se lancer, à leur tour, dans la même bataille. C’est ainsi qu’est né en France le mouvement qui fut à l’origine du procès contre la SNCF.
Mais les procès furent des échecs, aussi bien aux U.S.A qu’en France. C’est alors que la Commission des Droits de l’Homme a pris le dossier en main et a travaillé avec les avocats américains de l’association Coalition for Holocaust Rail Justice(coalition pour la justice de l’Holocauste ferroviaire) qui a conclu ce que nous connaissons désormais.
Les Américains sont partagés sur l’accord. Une partie d’entre eux "saluent et applaudissent", et se sentent récompensés de quatorze années de combats. Les autres regrettent que, au regard de l’Histoire, la SNCF échappe à la condamnation universelle pour avoir transporté dans des conditions d’inhumanité absolue, des femmes, des hommes, des personnes âgées, des grabataires, des malades, des bébés et onze mille enfants.
L’accord jette un voile définitif sur le sujet et le fait disparaître à jamais. Maître Harriet Tamen rappelle que « la SNCF était payée pour chaque personne transportée ». Il est vrai que l’examen des livres comptables de la compagnie montre un excédent financier important. Particulièrement pour l’année 1942, pendant laquelle la déportation fonctionnait à plein régime.
J’ai pu les consulter - non sans mal d’ailleurs -, ce qui m’autorise donc à écrire que les avocats américains ont raison lorsqu’ils avancent que la SNCF a gagné de l’argent avec la déportation. Certes, les recettes n’étaient pas exclusivement liées aux convois, mais aussi à d’autres transports. Cela étant, les chiffres repérés dans la colonne réservée à ces voyageurs spéciaux sont financièrement éloquents.
Les avocats américains ont tenté durant les quatorze années qu’aura duré leur bataille d’obliger la SNCF à payer elle-même les indemnités réclamées. Requête qui n’a jamais pu aboutir. La compagnie ferroviaire est une société d’économie mixte et, à ce titre, ne possède pas de fonds propres. Si elle devait payer, ce serait des caisses de l’Etat que sortirait l’argent ; c’est ce qui va se produire avec l’accord dernièrement intervenu. De même, comme elle n’a jamais été reconnue coupable par aucun tribunal, elle a été tenue éloignée des discussions qui ont abouti à l’accord que nous connaissons maintenant.
Les observateurs ne sont pas dupes. Cet accommodement entre les administrations américaine et française sur le paiement des indemnités versées aux Juifs devenus américains, qui se trouvaient sur le territoire national pendant l’occupation nazie, intervient uniquement dans l’objectif que la compagnie française puisse désormais travailler en toute tranquillité sur le sol américain. Puisqu’il est clairement provisionné qu’aucune entité ne pourra plus jamais engager une procédure contre la SNCF pour le rôle qu’elle a joué durant la Seconde Guerre Mondiale.
Les contrats pour l’exportation du TGV représentent quelques trois milliards de dollars (deux milliards quatre cent soixante-six mille euros) uniquement pour la première tranche de la transaction. Ce que l’Etat français va devoir verser aux Juifs américains est finalement peu de chose comparé aux marchés juteux qui attendent la compagnie française, et, par extension, les caisses de l’Etat.
A bien réfléchir et sans cynisme, on peut dire que chacun y trouve son compte. Les survivants toucheront de l’argent, certes tardivement ; leurs enfants, une pincée de quelque chose, tandis que d’autres ne toucheront rien, parce qu’ils ont eu la chance de pouvoir fuir avant l’arrivée des Allemands. Et le dossier de la SNCF sera désormais clôturé. Du côté des avocats américains, ils auront mené une belle bataille, même s’ils n’ont pas obtenu tout ce qu’ils espéraient.
Il n’y a que les journalistes et les Français qui vitupèrent contre les Juifs à la moindre occasion qui ne trouvent pas leur compte. Les uns dans leur presse chiffon, les autres dans les réseaux sociaux.
Dans une semaine ou deux, ils auront oublié. L’actualité venue du Proche Orient leur procurera sûrement une nouvelle et belle occasion de hurler contre les Israéliens. Les vivants, cette fois !
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