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Le cinéma a-t-il encore un avenir en Tunisie ?

Les marches de la salle Le Colisée à Tunis, un jour ordinaire, sans tapis rouge ni stars et paillettes

 

Le cinéma a-t-il encore un avenir en Tunisie ?

 

 

Les salles de cinéma ferment les unes après les autres et le public ne s'en rend même pas compte. Comment réconcilier le public tunisien avec le cinéma dans les salles obscures?

Par Samir Messali*

En voyant ce monsieur sur le quai de la gare d'Hammam-Lif avec son gros sac gris vous vous demanderez certainement qu'est ce qu'il peut porter dans son sac? Il s'agit en fait de Laroussi.

Laroussi : guichetier, projectionniste et placeur

Ce quinquagénaire est le seul employé du cinéma l'Oriental à Hammam-Lif qui emmène dans son sac les bobines de films pour les échanger auprès du distributeur à Tunis. Laroussi est, à la fois, guichetier, projectionniste et placeur de la dernière des trois salles de cinéma de cette ville de banlieue encore ouverte au public.

Durant des décennies, ces salles ont fait le bonheur des hammamlifoises et des hammamlifois. Elles ont connue leur heure de gloire entre les années 1950-1970, lorsque toute la famille, grand-père, grand-mère et petits-enfants compris y allaient pour voir ensemble un western spaghetti ou le dernier film du crooner égypto-libanais Farid Latrach. Pour attirer le maximum de spectateurs, ces salles durent même coller les affiches des films sur le tronc des palmiers qui ornent rond-point de la ville.

L'Oriental fait de la résistance

Vers les années 80, avec l'apparition du VHS, le public commence petit-à-petit à déserter ces salles et vers le milieu des années 90, on dirait que pour elles le temps s'est arrêté. Le Colisée ferme ses portes, l'Empire est rasé et remplacé par un immeuble neuf. Seul donc l'Oriental continue de faire de la résistance en projetant en énième vision des films d'action et érotiques des années 90. Certainement plus pour longtemps.

Les salles de cinéma continuent de fermer en Tunisie les unes après les autres malgré les efforts du ministère de la Culture. D'ailleurs, on ne voit pas comment en marge de ces Jcc 2012, qui se déroulent du 16 au 24 novembre, l'idée est venue au ministère d'exposer le bilan de ses efforts tout au long de l'avenue Habib Bourguiba, en affichant, tels des pierres tombales, les photos des salles de cinéma tunisiennes ayant fermé leurs portes. Peut-être que ça ferait le bonheur de ceux qui considèrent le cinéma comme un art propageant des valeurs occidentales contraires aux nôtres, frappées du sceau de la culture arabo-musulmane.

Il ne faut pas aussi trop en vouloir au ministère de la Culture. Si le cinéma est un art, l'exploitation des salles de cinéma est un business. Aux Etats-Unis et en Europe, le succès d'un film est souvent mesuré par le nombre d'entrées et l'importance des recettes dégagées. Si ce business ne marche plus en Tunisie, il faut l'analyser à l'aune de l'équation produit-marché.

Inadéquation entre l'offre de film et les attentes du public

Il est facile bien sûr d'attribuer l'échec de ce business à l'apparition du VHS d'abord et du DVD ensuite, ainsi qu'à la multiplication de l'offre au niveau des chaines télé. Mais dans les pays occidentaux, les moyens technologiques sont plus avancés que chez nous et l'offre des chaines TV est encore plus abondante, mais malgré cela, les gens continuent à être de plus en plus nombreux à affluer vers les salles de cinéma.

A notre sens, ce problème est du à une inadéquation entre l'offre de film et les attentes des spectateurs. Il y a aussi un problème de langue. Les films américains ou européens projetées sont en langue française et le Tunisien, en général, ne comprend plus bien le français, ou du moins pas assez pour comprendre un film qui véhicule une histoire, d'autant qu'il faut en plus assimiler les codes de la vie occidentale véhiculés par ces films.

C'est à cause de cela, entre autres raisons objectives, que seul les films d'action basique ou les films érotiques ont continué à avoir un certain succès auprès des exploitants des salles de cinéma. Ce sont ces films qui font le plus recette.

Des solutions pour raviver la flamme du cinéma

Quant aux films tunisiens, faute de salles de cinéma et de public, les producteurs préfèrent coproduire, et souvent avec des institutions culturelles européennes, des films destinés beaucoup plus au public européen et aux festivals qu'au public tunisien. Et pour que ces films plaisent sous d'autres cieux, nos cinéastes sont obligés de sacrifier aux poncifs habituels et aux idées reçues : les images des femmes battues et des hommes qui pleurent sont récurrentes dans leurs films. Très rares sont, d'ailleurs, les films tunisiens qui ont rencontrés un grand succès populaire en Tunisie.

Comment maintenant réconcilier le public tunisien avec le cinéma dans les salles?

Les producteurs doivent, à leur niveau, et à chaque production, penser d'abord aux attentes du public tunisien.

Le ministère de la Culture, au lieu de se contenter de subventionner des productions, ferait mieux de concentrer ses efforts dans la lutte contre la contrefaçon et la garantie des droits d'auteur, tout en développant un terrain favorable au développement du cinéma, notamment une infrastructure rénovée et up to date et une législation propice à l'investissement privé dans ce secteur.

Et, d'ailleurs, pour commencer, il est temps que le ministère de la Culture se résolve enfin à confier l'organisation des prochaines Jcc à des organismes privés.

* Cadre de banque et cinéphile.

 

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