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Les communautés culturelles : des lobbies ? par Victor Teboul

 

 

Les communautés culturelles : des lobbies ?

 

par Victor Teboul
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

Dans le cadre d’un entretien à Radio Ville-Marie, à l’occasion de la parution de «Bienvenue chez Monsieur B. !» (L'Harmattan, Paris), M. Aziz Fares m'a donné l'occasion de répondre à plusieurs questions touchant le contexte de mon dernier roman ainsi que la place qu'occupent dans notre société, les milieux officiels. Qu'ils soient juifs, musulmans ou autres.

 

Et oui, j'ai dû soulever la question de la légitimité des communautés culturelles.

Plusieurs parmi mes proches me le reprocheront, cela d'autant plus que j'ai moi-même oeuvré à titre de directeur au sein d'une grande organisation juive canadienne.

Mais je suis obligé de reconnaître, comme le font plusieurs intellectuels au Canada comme en France, que les gouvernements, mais aussi les médias, accordent une importance démesurée aux «communautés culturelles». En effet, plusieurs chercheurs s’élèvent contre la légitimité qui leur est accordée dans les politiques gouvernementales. On estime avec raison que cette légitimité est susceptible d’exercer des pressions sur la liberté des individus, a fortiori lorsque ceux-ci ne partagent pas les vues du groupe. Le sociologue français Pierre Birnbaum a soulevé plusieurs questions à ce sujet dans son ouvrage L’aigle et la synagogue (Fayard). En analysant les politiques du gouvernement français, Birnbaum affirme que « L'État (français) a tort d'instaurer un dialogue avec les représentants de supposées communautés culturelles, linguistiques ou religieuses, car c'est en les prenant comme interlocuteurs qu'il légitime leur existence ».

Cette critique ne ne devrait-elle pas s’appliquer aussi au Québec ?

Au Canada, comme au Québec, des organismes, subventionnés par les trois paliers de gouvernements (fédéral, provincial et municipal), s’expriment au nom de tous les individus d’une communauté. Cette pratique sert à présenter ces communautés comme uniformes et à occulter la diversité qui les caractérise. De plus, ces organismes, dans lesquels siègent aussi des milliardaires, ne devront-ils pas s'autofinancer plutôt que d'être à la charge des gouvernements ? Le financement que ces organismes reçoivent ne servirait-il pas mieux à des organisations qui, elles, sont moins bien pourvues en contacts dans les hauts lieux et en moyens matériels ?

De plus, ces mêmes milieux reçoivent une écoute attentive de la part des élus et d'autres officiels (milieux où rencontres et réceptions privées abondent), que d'autres, moins bien pourvus en moyens, ne sont pas à même d'obtenir. Et lorsque vient le moment de procéder à des nominations auprès des nombreux organismes gouvernementaux, on peut deviner quel candidat sera le plus favorisé. N'est-ce pas un peu le même scénario que l'on pourrait retrouver lors d'octroi de subventions ou de contrats publicitaires ?

Si, dans le passé, j'ai consacré mes efforts à faire connaître ma communauté dans le monde culturel québécois, je constate aujourd'hui que ce milieu aussi est devenu plutôt frileux lorsqu'il s'agit de faire connaître la diversité. Hormis les quelques artistes issus des communautés noires - toujours des artistes, remarquez bien -, les médias, les éditeurs, le cinéma, le théâtre, s'intéressent peu à faire connaître au grand public québécois la diversité qui existe pourtant bel et bien dans les milieux que nous appelons les «communautés culturelles».

On n'a qu'à faire un tour en Europe pour constater comment cette diversité explose partout dans le monde culturel autant au théâtre qu'au cinéma que dans les médias.

Chez nous, les médias offrent une tribune soit à des porte-parole patentés soit à des spécialistes de ces milieux -historiens et autres experts - qui souvent, en plus, ne sont pas issus de ces milieux, mais ne se trouvent favorisés par les médias québécois que parce qu'ils sont eux-mêmes francophones. Rarement, sinon jamais, voit-on au Québec des Juifs francophones (ou des individus d'autres origines) interviewés dans les médias, et plus particulièrement à la télévision ou à la radio de langue française, et ce, à titre de simples citoyens et non en tant que représentants de leur groupe. Cette façon d'agir joue non seulement contre la diversité, mais aussi contre la liberté d'expression et contre toute forme de discussion ou de débat que la diversité est censée susciter.

Si l'on peut comprendre (sans pour autant l'approuver) un comportement souvent électoraliste de la part des élus, on comprend moins une telle attitude craintive de la part des médias, qui eux aussi craignent finalement de déplaire aux dirigeants de ces milieux, lesquels ne lésinent pas sur les moyens de pression si on ose le moindrement exprimer un point de vue qui les dérange.

À mon humble avis, les gouvernements, les éditeurs et les médias québécois devraient cesser de chercher à tout prix des porte-parole des communautés culturelles ou des spécialistes de ces milieux, et donner la parole à des individus – notamment à des écrivains et à des artistes, qui parlent en leur nom personnel. C’est cela le vrai sens de la diversité, et c’est aux médias de la refléter.

http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=113539&L=fr

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