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Quand l’Eglise se taisait

Pie XII

 

Quand l’Eglise se taisait

 

Michaël de Saint-Cheron

 

 

Sous le titre L’apologie qui nuit à l’Église. Révisions hagiographiques de l’attitude de Pie XII envers les Juifs[1] de Menahem Macina, suivi de deux contributions signées Michaël R. Marrus et Martin Rhonheimer, l’historien juif spécialiste des doctrines messianiques autant que des rapports entre les religions juive et chrétiennes, revient sur la question qui n’a cessé de diviser juifs et catholiques depuis la sortie du livre de Rolf Hochhuth, Le Vicaire (1963).

Passionnante étude scripturaire, historique, historiographique aussi mais également talmudique (au sens propre) sur la révision hagiographique de Pie XII pendant la guerre. On connaissait les principales critiques émanant d’historiens ou de personnalités juives depuis cinquante ans, comme on connaissait les thèses très favorables au pape de l’écrivain juif israélien Pinchas Lapide, qui fut l’un des rares parmi les juifs à avoir défendu jusqu’à sa mort la mémoire de Pie XII.

Menahem Macina, après être revenu sur les témoignages hagiographiques de la part des historiens catholiques mais aussi anti-hagiographiques, propose un appareil des sources émanant des Églises chrétiennes (en particulier protestantes et catholiques) faisant acte de contrition pour les crimes commis par l’Allemagne nazie, et appelant les chrétiens à approfondir leurs connaissances du judaïsme.

Nous relisons avec effroi en juin 2012 l’adieu des dirigeants juifs polonais à l’adresse des juifs de Palestine, en 1943 :

« À la dernière minute avant leur anéantissement total, les derniers survivants du peuple juif en Pologne ont lancé un appel au secours au monde entier. Il n’a pas été entendu […] Le sang de trois millions de Juifs hurle vengeance, et il sera vengé ! Et ce châtiment ne frappera pas seulement les cannibales nazis, mais tous ceux qui ne firent rien pour sauver un peuple condamné[2][…]»

La seconde voix que nomme l’auteur est le magnifique appel d’Albert Camus, le seul des écrivains français avec Claudel, à avoir dès 1946, parlé du silence du pape durant l’Holocauste. Son discours avait lieu au couvent des dominicains de la Tour Maubourg. Il leur dit :

« J’ai longtemps attendu, pendant ces années épouvantables, qu’une grande voix s’élevât à Rome. Moi, incroyant ? Justement. Car je savais que l’esprit se perdrait s’il ne poussait pas devant la force, le cri de la condamnation. Il paraît que la voix s’est élevée. Mais je vous jure que des millions d’hommes avec moi ne l’avons pas entendue et qu’il y avait alors dans tous les cœurs, croyants ou incroyants, une solitude qui n’a pas cessé de s’étendre à mesure que les jours passaient et que les bourreaux se multipliaient. […] Ce que le monde attend des chrétiens est que les chrétiens parlent, à haute et claire voix, et qu’ils portent leur condamnation de telle façon que jamais le doute, jamais un seul doute, ne puisse se lever dans le cœur de l’homme le plus simple[3]. »

Dans l’exergue tiré du long et accablant témoignage de Ian Karski, le célèbre courrier du gouvernement polonais en exil, dans le film Pie XII, les Juifs et le nazisme (BBC, 1995), par Menahem Macina, il est une évidence que son témoignage ne fut entendu ni à Londres ni à Rome, ni nulle part.

Le chapitre crucial du livre est la « réponse d’un rabbin aux inquiétudes de l’abbé Journet à propos de la défaillance de l’Église à l’égard des Juifs ». Le rabbin qui parle ici est le grand rabbin Safran, qui fut au pire de la guerre d’extermination, grand rabbin de Roumanie, et fit preuve d’un vrai courage auprès des autorités religieuses chrétiennes de Roumanie. La responsabilité du Vatican et donc du pape Pie XII est proportionnelle à la puissance qu’aurait eu une condamnation papale entre 1940 et 1945 vis-à-vis de l’Allemagne hitlérienne. Condamnation qui ne vint donc jamais. Et, même après la guerre, pas une parole radicale, forte, ne sortit de la bouche du prélat, qui n’eut au contraire que des paroles horriblement conventionnelles et diplomatiques sans portée ni politique, ni théologique. Macina rapporte que la réponse de Safran au futur cardinal Journet fut sans appel, utilisant une page du Talmud de Babylone (traité Shabbat) sur la responsabilité. Ce texte parle de la responsabilité de celui qui est témoin de quelque faute commise par « les gens de la maison », mais les a laissés faire sans les réprimander : « [il] est coupable [du péché] des gens de la maison. »

Le texte se poursuit ; « Selon Rav Pappa, même les gens de la maison du Chef de l’Exil [Exilarque] sont coupables [du péché des gens] du monde entier. Si les princes ont péché, les anciens en quoi ont-ils péché ? Il y a lieu de répondre : il s’agit des anciens qui n’ont pas réprimandé les princes » (Shabbat, 54b-55a[4]).

Pie XI, lui, avait parlé haut et fort en 1938 dans son encyclique au titre allemand : Mit brennender Sorge (avec une brûlante angoisse), où il n’avait pas craint d’écrire que les chrétiens étaient « spirituellement des sémites. »

Ce livre de Menahem Macina a le grand mérite de faire le point sur un « brûlant » sujet qui mériterait que la haute hiérarchie catholique puisse enfin l’aborder sans peur mais dans la vérité des faits. Léon XIII, au XIXe siècle, savait, lui, que l’Église serait d’autant plus grande qu’elle serait davantage capable de « ne rien dissimuler [des] fautes de ses enfants et parfois même de ses ministres[5] »

 

Menahem-Macina

Menahemn Robert Macina, L’Apologie qui nuit à l’Église, Cerf, 15 mars 2012, 300 pages, 25 euros, ISBN-10: 2204097446

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