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Tunisie. Ce que disent les célébrations autour de Bourguiba

 

Tunisie. Ce que disent les célébrations autour de Bourguiba

 

Sélim Jeddi écrit - Célébrer Bourguiba aujourd’hui, c’est redonner toute sa place à un homme qui a participé à la construction du roman national tunisien et donc à la formation de la nation.

 

Il serait inutile de se lancer dans l’énumération des bienfaits que le volontarisme et le pragmatisme de Bourguiba ont apportés à la Tunisie qu’il s’agisse de l’indépendance retrouvée ou du statut si particulier de la femme tunisienne dans le monde arabe. Il serait tout aussi vain de comptabiliser les occasions où cet homme a ordonné la répression des divers opposants qui ont eu le courage de se dresser face à lui.
De la même manière, l’étude des mécanismes par lesquels il a institué le parti unique et développé le culte de la personnalité serait trop complexe à décrire ici.
Il reste qu’opposants et admirateurs d’Habib Bourguiba s’accordent aujourd’hui sur le fait qu’il n’a pas su renoncer assez tôt au pouvoir. De la même manière, il n’a pas cru à la capacité des Tunisiens à décider de leur sort par eux-mêmes. Toutefois, cette mobilisation autour de sa mémoire est très instructive à l’heure ou nous nous interrogeons sur l’état de la société tunisienne au lendemain de la révolution du 14 janvier.

Une nation formée
Au cours de la révolution, ce sont d’abord des symboles nationaux qui ont été brandis. La révolution s’est ainsi faite au son de l’hymne national tunisien tandis que les hommes et les femmes qui y ont participé agitaient fièrement des drapeaux tunisiens pour mieux dénoncer un régime disqualifié.
Pourtant, Ben Ali a essayé, tout au long des 23 ans qu’il a passé au pouvoir, de confisquer les symboles du patriotisme. Avant lui, Bourguiba avait prétendu en 1973 avoir fait «d’une poussière d’individus, d’un magma de tribus, de sous tribus, tous courbés sous le joug de la résignation et du fatalisme… un peuple de citoyens».
En réalité, les Tunisiens sont devenus pleinement citoyens le jour où ils se sont pleinement saisis du destin de leur pays. Ils l’avaient fait une première fois, sous la direction du Néo-Destour, pour réclamer l’indépendance de la Tunisie. Ils ont confirmé leur attachement à la nation tunisienne et à leur qualité de citoyens en abattant le régime de Ben Ali par eux-mêmes.
Aujourd’hui, célébrer Bourguiba, c’est redonner toute sa place à un homme qui a participé à la construction du roman national tunisien et donc à la formation de la nation. Mais ne nous y trompons pas, cette révolution est au moins aussi importante que l’épopée de Bourguiba dans la consolidation de la nation tunisienne.

Une mémoire trop courte ?
Ces célébrations populaires nous enseignent également que les peuples ont parfois la mémoire trop courte. Bien entendu, des voix se sont élevées pour rappeler les dérives du régime de Bourguiba et pour indiquer qu’il avait lui même installé les cadres politique et institutionnel qui ont permis à la dictature de Ben Ali de s’enraciner et d’éliminer toute contestation pendant tant d’années. Pourtant, une sorte de nostalgie a vu le jour. D’autres, regrettant l’époque de Bourguiba, en minimisant le culte de la personnalité, l’instabilité gouvernementale qui a prévalu au cours des années 1980 du fait de sa sénilité et les risques encourus par la Tunisie en raison des jeux de pouvoirs qui se nouaient entre courtisans.
Il ne faut d’ailleurs pas oublier que bien des Tunisiens ont accueilli avec espoir l’arrivée au pouvoir du général Ben Ali en 1987 dans un contexte de fin de règne et de crise économique.

Une société inquiète en quête d’unité
Enfin, cette célébration est également le symptôme d’une certaine inquiétude qui monte au sein de la société tunisienne. Les partisans de l’ordre craignent que la révolution ne s’éternise et ils savent bien que ce désordre n’aurait pas été du goût de Bourguiba qui plaçait la façade de l’unité de la Tunisie au-dessus de toute considération. D’autres, inquiétés par la liberté retrouvée des islamistes, en arrivent à préférer le temps ou l’Etat réprimait un mouvement qu’ils estiment trop dangereux pour les acquis de l’indépendance.
Pourtant, bien que la démocratie soit ressentie par certains comme un risque, il semble désormais impossible de diriger la Tunisie de manière paternaliste.
Bien entendu, la démocratie présente l’inconvénient d’une certaine instabilité, du moins à ses débuts. Toutefois, et nous devons tous nous en convaincre, la véritable unité du peuple tunisien ne se réalisera que si tous les courants politique ont droit de cité et s’ils s’accordent, lors de l’écriture d’une nouvelle constitution, sur un cadre démocratique faisant consensus. En Tunisie comme ailleurs, il demeure impossible de construire une société durablement pacifiée si l’unité est imposée par le haut et ce, quelles que soient les qualités de la personne en charge des destinées de la nation.

 

El Mouwaten 

www.elmouwaten.com

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