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Politique : Les Tunisiens n'ont pas fini de «tuer» Bourguiba

Politique : Les Tunisiens n'ont pas fini de «tuer» Bourguiba

 

 

Alors que le pays est bloqué et plus que jamais clivé entre islamistes et modernistes, l'ombre de Bourguiba rejaillit et remplit la scène de son insolente éternité. Nous vivons des temps étonnants où quand on évoque l'avenir on tombe dans le passé...

Par Karim Ben Slimane*

On le soupçonne d'avoir prédit sa postérité ou même de l'avoir préparée. Le «Combattant Suprême», Habib Bourguiba que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, est éternel. Les années de plomb sous Ben Ali n'ont pas pu enterrer la mémoire du «Père de la nation» malgré tant de travail pour l'oubli. Il a fallu qu'une révolution faite par les arrières petits-fils de Bourguiba pour qu'enfin la prophétie «Bourguiba ne meurt jamais» se réalise. L'ombre de Bourguiba a été de tous les débats. Qu'il s'agisse de la femme, de l'islam ou de l'unité nationale, sa mémoire a toujours été présente ressuscitée, convoquée et jugée.

Les coups de boutoir des yousséfistes et des islamistes

Les yousséfistes (partisans de Salah Ben Youssef, rival de Bourguiba au sein du mouvement national, NDLR) et les islamistes se souviennent encore. Depuis leur ascension au pouvoir en octobre 2011, ils ont entrepris de réparer leur mémoire et de laver le déshonneur de leurs aïeux malmenés par Bourguiba.

Au tout début de l'année 2013, l'association des «militants de 1962» a commémoré les cinquante ans de l'exécution des putschistes qui ont comploté contre Bourguiba et que ce dernier a envoyés sans ménagement à l'échafaud. Ceux qui ont projeté de tuer le «Père de la nation» dans son lit gisent aujourd'hui dans le carré des martyrs du cimetière du Sejoumi à côté de ceux qui ont donné leur vie pour l'indépendance de la Tunisie. Acte hautement symbolique béni et voulu par le président provisoire de la république Moncef Marzouki, lui-même fils d'un yousséfiste (selon ses allégations démenties par certains acteurs du yousséfisme – et animé par un désir de revanche sourde contre la mémoire de Bourguiba.

Soixante ans après son indépendance, la Tunisie s'est découverte de nouveaux martyrs. Les islamistes ne sont pas en reste.

Leur cheikh Rached Ghannouchi a toujours refusé de lire la prière à la mémoire de Bourguiba; pourtant l'Islam, celui de tous les Tunisiens du moins, recommande le pardon et implore la rédemption pour tous les morts. Le sinistre ministre de l'enseignement supérieur Moncef Ben Salem, dans sa première sortie publique, n'a-t-il pas traité Bourguiba de «juif à la solde des Américains» (désolé pour les juifs et les Américains !)?

Récemment, cheikh Hamda Saïed, le très controversé mufti de la république, véritable éléphant dans un magasin de porcelaine, a attribué à Bourguiba la responsabilité d'avoir semé les germes du terrorisme qui ne cessent d'éclore aujourd'hui et de répandre la terreur dans le pays.

Il renaît le Divin Président

Mais Bourguiba, jadis rassembleur, est-il devenu aujourd'hui Bourguiba le clivant? Signe supplémentaire, s'il en fallait encore un, qu'on n'en a pas encore fini avec Bourguiba.

Oui car Bourguiba, aujourd'hui et plus que jamais, est encensé par les modernistes de tous poils et l'ombre de sa mémoire unit les destouriens et les «patriotes» qui se présentent comme ceux qui ont servi la Tunisie avec abnégation et honnêteté. Appelé au secours de la femme, de l'école et de l'Etat, Bourguiba est leur sauveur. Alléluia, il renaît le Divin Président, chantent-ils.

La querelle sur la mémoire continue en ce moment même où on tergiverse encore sur le nouveau candidat à la primature. Alors qu'il s'agit de l'avenir de la Tunisie, nos politiciens nous parlent encore du passé et donc de Bourguiba. Les deux candidats encore en lice à la primature ont connu la guerre et la lutte pour l'indépendance et tous les deux ont côtoyé le Président Eternel.

Les islamistes poussent pour la candidature de Ahamed Mestiri, grande figure de la politique tunisienne des années 1950-1980. Son plus grand fait d'armes, selon le président d'Ennahdha, est qu'il a osé défier Bourguiba. Ahmed Mestiri a en effet lézardé le monolithisme de surface du parti unique en créant, dans les années 1970, le Mouvement des démocrates socialistes (MDS) dans lequel un certain Mustapha Ben Jaâfar, actuel président de l'Assemblée nationale constituante (ANC) a fait ses classes. De l'autre côté, une personnalité de moindre envergure, Mohammed Ennaceur, appuyé par l'opposition et les destouriens, dispute la primature à Ahmed Mestiri. Homme d'Etat qui a été longtemps ministre de Bourguiba, notamment et surtout aux Affaires sociales, M. Ennaceur incarne parfaitement la figure du commis de l'Etat zélé et impartial, affirment ses soutiens.

Encore un fois, l'ombre de Bourguiba a été là. Nous vivons des temps étonnants où quand on évoque l'avenir on parle du passé et quand on parle du passé on évoque les querelles, les clivages et les stigmas.

Après la révolution, la première chose que mon père a faite a été de sortir un vieux portrait poussiéreux de Bourguiba qu'il avait caché après l'ascension de Ben Ali au pouvoir en 1987. Alors qu'il le contemplait fièrement, ma nièce d'à peine 5 ans lui demanda qui était-ce. Il lui répondit, des trémolos dans la voix, c'est Bourguiba, le premier président de la Tunisie. Elle haussa les épaules en signe d'indifférence et partit jouer avec sa sœur.

*spectateur rigolard.

Kapitalis.com

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