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Un "sioniste" à la tête du ministère tunisien des affaires étrangères - Par Jacques BENILLOUCHE

Khemaies Jhinaoui

Un "sioniste" à la tête du ministère tunisien des affaires étrangères

 

Par Jacques BENILLOUCHE

 

 

 

copyright © Temps et Contretemps

 

                      On ne peut pas dire que la Tunisie fasse beaucoup d’efforts pour apaiser ses relations avec Israël. D’ailleurs le nouveau régime avait un temps voulu légiférer pour introduire dans la Constitution l’interdiction de nouer des relations avec l’État juif. Peu d’observateurs comprennent cet acharnement de la Tunisie à se radicaliser au point de devenir d’ailleurs le pays qui envoie le plus de djihadistes en Syrie. Il n’est pas impossible que le président Caïd Essebsi, sous une apparence trompeuse de modéré, orchestre en sous-main la politique intransigeante vis-à-vis d’Israël, pour ne pas dire des Juifs.

 

 

Caid Essebsi et Bourguiba

 

            Il est vrai qu’une période trouble entache sa vie politique et il en fait peu référence. En effet il avait été nommé ministre de l’intérieur, le 5 juillet 1965, le premier ministère qu’il occupa dans sa carrière, ceci expliquant cela. Lors du déclenchement le 5 juin 1967 de la Guerre des Six-Jours, de violentes manifestations ont éclaté dans la capitale tunisienne. Pour un pays réputé policier, les Tunisiens ont agi en toute impunité pour incendier des boutiques et des voitures, le centre d’informations des États-Unis  et l’ambassade du Royaume-Uni.

            Caïd Essebsi avait laissé faire alors que plusieurs membres du gouvernement l’exhortaient à faire appel à l’armée pour remettre de l’ordre. Durant deux jours les manifestants ont pillé les magasins de Juifs et ont brûlé la Grande synagogue de Tunis en criant des slogans hostiles à Israël. Il avait laissé la peur s’emparer des derniers Juifs qui avaient joué la carte de la Tunisie.  Caïd Essebsi a permis aux Tunisiens de se défouler sur les Juifs, soit par manœuvre pour sauver le régime soit par conviction anti-israélienne. Les quelques saccageurs arrêtés pour la forme, ont été relâchés aussitôt. Le Conseil des Ministres lui ayant demandé des comptes face aux accusations de défaillance et d'atteinte à l'ordre public, Caïd Essebsi s’était justifié en expliquant qu’il «ne peut pas massacrer son peuple alors que les Israéliens massacrent les Arabes». La haine d’Israël a alors transpiré dans ses propos. Le 8 septembre 1969, le président l’avait éloigné aux États-Unis comme ambassadeur tunisien.

 

Grande synagogue de Tunis

 

            Pourtant sous l’impulsion de Bourguiba, les relations entre la Tunisie et Israël avaient connu des beaux jours surtout après les déclarations du président tunisien sur l’attitude inadmissible des pays arabes à l’égard d’Israël. Il semble bien que le président Bourguiba ait compris qu’il avait raté le coche en 1948 en adoptant une politique négative vis-à-vis d’Israël. Il le paya cher au lendemain de l’indépendance car les Juifs de Tunisie avaient perdu la confiance dans leur pays et avaient préféré entendre les sirènes des délégués sionistes envoyés en Tunisie pour les pousser au départ. Le risque de vivre dans un État arabe indépendant était grand. La population juive qui comptait 110.000 personnes au lendemain de la guerre se vida subitement de la moitié de sa population qui émigra en masse vers Israël.

            Bourguiba avait anticipé l’hémorragie et avait voulu rassurer les Juifs qui représentaient alors le poumon économique du pays. Il avait mandaté en 1952 son très proche confident, Bahi Ladgham, qui fréquentait les milieux des Nations Unis, pour entrer en contact avec l’israélien Guideon Rafael afin d’obtenir un soutien pour l’indépendance de la Tunisie. Bourguiba, déjà à l’époque, refusait les appels à l’éradication d’Israël et prônait la paix dans la région. Il devait garder cette attitude discrète pendant plusieurs années avant de faire des déclarations tonitruantes où il mettait en cause le comportement des pays arabes.

Jacob Tsur et Golda Meir

 

            Bourguiba était impressionné par la réussite israélienne qui ne l’étonnait pas compte tenu de la réussite de ses propres juifs tunisiens. Il persista dans sa volonté de nouer des relations après l’indépendance acquise en 1955. Ainsi, en 1956 il rencontra secrètement l’ambassadeur d’Israël en France, Jacob Tsur, puis il mandata son ministre des finances, Hedi Nouira, pour demander l’assistance d’Israël dans la mise en place de coopératives agricoles à l’image des kibboutzim ou des mochavim. Bourguiba était persuadé qu’Israël ne se comportait pas comme un pays colonial intéressé uniquement à piller les ressources du colonisé.

            Mais le conflit palestinien pollua toutes les relations bilatérales qui ne prirent aucun essor et qui s’enfoncèrent dans la norme israélo-arabe. Elles se sont détériorées au lendemain de la Guerre des Six-jours pour s’aligner sur la politique arabe moyen-orientale. Bourguiba n’avait jamais voulu sauter le pas en faisant cavalier seul de crainte de mécontenter ses «frères arabes». Et pourtant ses «frères» n’hésitèrent pas à le combattre. L’égyptien Nasser, en particulier, avait des vues sur la Tunisie pour placer des hommes qui lui étaient dévoués. Bourguiba n’avait cependant jamais oublié qu’il devait une fière chandelle au Mossad qui l’avait informé, sans exiger de contrepartie, d’un complot de militaires qui se tramait contre lui. 

          Des officiers et des généraux, manipulés par les Moukhabarates égyptiens, voulurent imiter l’épopée des officiers libres égyptiens. Soutenus par Nasser, ils avaient comploté contre le président Bourguiba. Le complot avait été éventé par des agents du Mossad basés à Paris. En décembre 1962, le président tunisien décapita son armée en fusillant ceux parmi les hauts officiers qui avaient osé songer à le remplacer. C’est d’ailleurs depuis ce temps que l’armée tunisienne a été mise à l’écart du pouvoir sans espoir de modernisation. Elle en paie d’ailleurs le prix aujourd’hui contre les djihadistes.

Yasser arafat en Tunisie au côtés de Bourguiba vieillissant

 

            Israël a peut-être ses torts de n’avoir pas exploité à fond les possibilités d’un pays à l’époque le plus modéré du monde arabe. Avec un Bourguiba vieillissant, dépassé par son entourage, la Tunisie, par dépit, prit fait et cause pour le peuple palestinien au point de devenir le lieu d’exil de Yasser Arafat lors de son expulsion du Liban. Les Palestiniens en Tunisie polluèrent l’atmosphère pour la Tunisie plus palestinienne que les Palestiniens. 
          La situation avec Israël empira à l’occasion de l’opération jambe de bois menée par Israël le 1er octobre 1985 pour détruire le siège de l’OLP à Hammam Chott, à vingt kilomètres de Tunis faisant entre 100 à 271 morts selon les sources. Cela ne découragea pas Bourguiba dans la voie de la paix. Il fut de ceux qui ont joué un rôle primordial dans les pourparlers secrets entre l’OLP et Israël qui ont abouti aux accords d’Oslo de septembre 1993.  Ces accords débloquèrent la situation puisque, Yossi Beilin, alors vice-ministre israélien des Affaires étrangères, visita la Tunisie. Des liens téléphoniques directs furent établis. Après la fermeture des bureaux de l’OLP en Tunisie en juin 1994, les premiers touristes israéliens commencèrent à entrer en Tunisie librement.

            Des canaux de communication furent ouverts avec Israël à travers les ambassades de Belgique à Tel Aviv et à Tunis. Le ministre tunisien des Affaires étrangères, Habib Ben Yahia, et le ministre israélien des Affaires étrangères, Ehud Barak, se rencontrèrent à Barcelone en 1995 pour élargir les relations officielles entre les deux pays. Le 15 avril 1996, Israël ouvrit un bureau d’intérêt en Tunisie et, six semaines plus tard, en mai 1996, le diplomate tunisien Khemaies Jhinaoui arriva en Israël pour ouvrir le bureau d’intérêt de son pays à Tel Aviv.

            C’est ce qui nous amène au présent car l’ancien «ambassadeur» tunisien vient d’être nommé ministre des affaires étrangères de Tunisie. Il semble que sa biographie officielle laisse dans l’ombre son passage à Tel-Aviv car de nombreux intégristes tunisiens le critiquent d’avoir été en poste à Tel Aviv sous la présidence de Ben Ali. Le 11 janvier 2016, à l’Assemblée nationale et au cours de la plénière consacrée au vote de confiance pour le gouvernement Habib Essid, un député d’un micro-parti s’en est violemment pris à Khémaïes Jhinaoui dont il conteste la désignation à la tête du ministère des Affaires étrangères. Il l’accuse d’avoir accepté d’être le chef du bureau des intérêts tunisiens dans la capitale israélienne. Il osa même une comparaison audacieuse : «S’il y avait au sein de l’État israélien et sioniste un ancien nazi ou collaborateur de Vichy, est-ce qu’on lui permettrait d’en être membre ?». Le député a conjuré le chef du gouvernement «au nom du nationalisme, de l’arabisme et de l’islam, de ne pas accepter un ministre des Affaires étrangères qui a travaillé avec cette entité sioniste…Il y a dans la fonction que vous venez de lui attribuer une humiliation de la Tunisie et une agression contre les Tunisiens».

            Ce député et ses amis ignorent que l’ouverture d’un Bureau d’intérêt à Tel Aviv, en 1996, était la conséquence logique des accords d’Oslo conclus entre les Palestiniens et le Israéliens. Cette décision du gouvernement tunisien avait été prise avec l’aval de Yasser Arafat, et était parfaitement compatible avec la vision bourguibienne de la diplomatie tunisienne.  Il serait temps que les Tunisiens évitent d'être plus royalistes que le roi et cessent de se substituent aux Palestiniens pour défendre leur cause. Ils devraient prendre exemple sur l’Égypte, la Jordanie, la Turquie et plus récemment le Qatar qui, malgré les événements, ont ouvert et gardé des relations avec Israël.

            Khémaïes Jhinaoui est un professionnel de la diplomatie qui a été en poste dans de grands pays à part Israël. Un vrai serviteur de l'Etat qui a appliqué la politique de son gouvernement et qui ne fait pas de lui un"sioniste" même s'il a côtoyé des Israéliens en période de paix. Il faut souhaiter qu’il ait gardé un bon souvenir de son séjour à Tel-Aviv où il a visionné de près la réalité israélienne. Pendant son séjour, il s'était attaché à renouer des liens avec les Juifs tunisiens qui sont restés attachés à leur pays natal et qui n'ont pas le droit de fouler le sol de leurs ancêtres parce qu’ils détiennent un passeport bleu. Jhinaoui peut marquer l’histoire en étant la passerelle entre deux pays qui devraient parler en termes de paix et non d’invectives. Mais il est probable que des esprits revanchards ne lui pardonneront pas d’avoir eu des accointances avec des sionistes qui, selon eux, l'ont contaminé.  

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