L’équilibre mondial remis en question - David Bensoussan

L’équilibre mondial remis en question

David Bensoussan

L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec

 

Le président Biden a déclaré que les manœuvres russes aux frontières de l’Ukraine sont le facteur le plus lourd de conséquences depuis la Seconde Guerre mondiale. Étudier les tractations géopolitiques qui ont mené à la conférence de Yalta et à l’équilibre mondial qui s’est maintenu tant bien que mal jusqu’à l’implosion de l’Union soviétique permet de jeter certains éclairages sur les ambitions soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale et les ambitions russes actuelles.

Vers la conférence de Yalta

3 septembre 1939 : l’Angleterre et la France déclarent la guerre à l’Allemagne après que celle-ci ait envahi la Pologne. Le blitzkrieg allemand laisse la France exsangue. À Dunkerque, les troupes alliées se replient vers l’Angleterre dans un désordre cauchemaresque. Envers et contre tout, l’Angleterre tiendra bon contre l’ennemi nazi. 

22 Juin 1941 : 3 millions de troupes, 3000 tanks (opération Barbarossa) , 000 pièces d’artillerie et 2500 avions attaquent l’Union soviétique sur trois fronts, malgré le pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939. L’histoire se rejoue comme au temps de l’invasion napoléonienne. Staline pratique la politique de la terre brûlée et consolide son armée opposant graduellement 350 divisions aux 150 divisions allemandes.

7 décembre 1941 : le Japon qui est allié aux forces germano-italiennes de l’Axe attaque la flotte américaine à Pearl Harbour. L’Amérique entre en guerre et met à la disposition des alliés des véhicules et des armements. Son intervention va changer le cours de l’histoire.

14 Janvier 1943 : lors de la conférence de Casablanca, Roosevelt et de Gaulle s’engagent à exiger une capitulation inconditionnelle de l’Allemagne.

28 novembre 1943 : les trois grands, Churchill, Roosevelt et Staline se rencontrent à Téhéran. Au moment de la rencontre, l’Afrique du Nord est prise par les Alliés (opération Torch) et 250 000 troupes de l‘Axe sont défaites. La campagne d’Italie est commencée et l’Allemagne y consacre 18 divisions. La victoire soviétique à Stalingrad qui a coûté la vie à 800 000 Soviétiques s’est conclue par la reddition de 400 000 militaires de l’Axe le 2 février 1943.  L’expansion allemande à l’Est est freinée. La victoire soviétique est devenue inévitable. 

Churchill voulait avant tout sauver l’Angleterre et son empire. Il était toujours conscient du danger que pouvait représenter une Union soviétique qui dominerait l’Europe orientale. Il préconisait d’attaquer l’Afrique du Nord et retarder le débarquement pour plus d’une raison : les États-Unis n’étaient pas encore prêts pour un débarquement massif ; le bataillon canadien de 5000 personnes qui débarqua à Amiens fut décimé à 70% ce qui promettait une campagne militaire implacable contre l’Allemagne ; il voulait tenir les Soviétiques à distance de la Méditerranée et souhaitait que les troupes alliées et soviétiques se serrent la main le plus à l’Est possible.

Staline était un politicien cynique. La crise de famine qui fit des millions de morts dont 4 millions d’Ukrainiens servit à imposer un régime de terreur inhumain. La vie humaine importait peu dans sa logique de fin qui justifie les moyens. Durant la Seconde Guerre mondiale, il envoya au front des centaines de milliers de paysans difficilement armés, n’en fit pas cas pour les remplacer par d’autres vagues de centaines de milliers d’autres. Les pertes de l’Union soviétique sont estimées à 20 millions de personnes, ou même 27 millions selon certains experts.

Staline visait la reconquête de son pays et convoitait la domination des états baltes, de la Bessarabie et de la Pologne dont il s’était approprié une grande partie après la ratification de l’accord germano-soviétique de 1939. En arrière-plan, il souhaitait étendre l’influence communiste en Europe et ailleurs. Il insista pour que le débarquement allié commence au plus tôt, car seulement 30 divisions allemandes se trouvaient en poste à l’Ouest, à comparer à 270 à l’Est. Mais le débarquement allié en Normandie ne se tint que le 6 juin 1944 (opération Overload). 156 000 soldats alliés y prirent part.

De son côté, Roosevelt souhaitait que l’Union soviétique déclare la guerre au Japon, ce qu’elle fit en 1945, s’emparant de la péninsule de Sakhaline et des iles Kouriles. Au cours de la guerre, le nombre de divisions militaires américaines passa de 39 en 1941 à 95 en 1943. Roosevelt investit 30 % des forces militaires contre le Japon et 70% en Europe et Churchill usa de toute son influence pour que ce ratio ne change pas.

4 février 1945 : la conférence de Yalta réunit les trois grands qui décident de l’avenir de l’Europe libérée.  L’ancrage de l’Union soviétique dans les pays de l’Europe de l’Est est amorcé et l’armée soviétique se trouve à 50 km de Berlin. La France est libérée. La libération des pays de l’Europe de l’Ouest est en cours. Les 72 divisions allemandes en Europe occidentale fléchissent et les armées alliées commencent à investir l’Allemagne.

Hier la Pologne, aujourd’hui l’Ukraine.

À Téhéran puis à Yalta, Roosevelt a pratiquement laissé la Pologne entre les mains des Soviétiques, comptant sur une promesse solennelle de Staline d’établir des démocraties dans les pays libérés qui deviendraient souverains. Naïveté américaine ou bien admission de la réalité de terrain ?

La Pologne fut divisée entre l’Allemagne et l’Union soviétique en 1939. Staline fit exécuter 22 000 officiers polonais à Katyn en avril 1940. L’Armée rouge ne vint pas au secours des Polonais durant l’insurrection de Varsovie alors soumise à un bombardement allemand impitoyable du 1é août au 2 octobre 1944.  Après la guerre, la frontière polonaise fut déplacée de 300 km en moyenne à l’Ouest et la Pologne reçut en échange des territoires allemands vidés de leurs habitants.

Des élections accompagnées de nombreuses irrégularités se tinrent le 19 janvier 1947 et la Pologne bascula dans le camp communiste. Le coup d’État communiste en Tchécoslovaquie le 17 février 1948 aboutit à un régime communiste. L’Ouest ne réagit pas. Depuis, l’équilibre entre les superpuissances a maintenu une certaine stabilité mondiale.

Lors du démantèlement de l’Union soviétique en 1991, le secrétaire d’État Jim Baker fit une promesse au président russe Gorbatchev, à savoir que l’OTAN n’incorporerait pas les pays de l’Europe de l’Est. Or, après la dissolution de l’empire soviétique, l’Amérique a continué d’agir tout comme si elle voulait mettre à l’œuvre le plan Unthinkable du premier ministre Churchill qui voulait repousser les armées russes à l’Est en 1945.

Les pays qui  firent autrefois partie de l’Union soviétique et qui ont opté pour l’Occident et ses valeurs furent intégrés à l’OTAN entre 1999 et 2020 : les pays du pacte de Varsovie ainsi que des pays qui firent partie de la Yougoslavie. La présence de troupes russes en Géorgie et en Ukraine empêche ces pays de continuer leurs démarches en vue d’une intégration à l'OTAN.

L’ordre mondial a changé et la Russie n’a pas participé au nouvel ordre. Le président Poutine essaie de faire marche arrière, quitte à recourir à des propagandes et des agissements qui évoquent l’ère soviétique. La souffrance qu’il inflige aux Ukrainiens lui importe peu.

 

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