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Le traumatisme des familles d’otages

Le traumatisme des familles d’otages

 

Une équipe de chercheurs israéliens vient de conceptualiser un traumatisme propre aux familles d’otages : une « perte ambiguë dynamique-statique ». Le terme, forgé pour qualifier l’expérience des proches après les enlèvements de masse du 7 octobre, décrit une existence prise en étau entre deux forces contraires. D’un côté, le temps paraît s’arrêter – impossibilité de faire son deuil, calendrier suspendu, projets gelés. De l’autre, les émotions se bousculent sans répit – espoir, désespoir, colère, culpabilité – au rythme d’informations fragmentaires, de rumeurs, de témoignages et d’annonces officielles souvent contradictoires. Cette tension permanente ne relève pas d’un simple « stress » : elle reconfigure la vie quotidienne, la santé mentale et le lien social.

L’étude, publiée dans une revue de l’American Psychological Association, a été conduite par la psychologue de rééducation Einat Yehene et la chercheuse Shir Israeli, en collaboration avec le professeur Hagai Levin. Les auteurs montrent que ce type de traumatisme ne se réduit ni à un deuil classique ni à un état de stress post-traumatique standard. Il hérite de la notion de « perte ambiguë » – quand un être cher est physiquement absent mais psychologiquement présent – et y ajoute une dimension temporelle paradoxale : la « dynamique-statique ». Autrement dit, une immobilité biographique traversée de secousses émotionnelles continues.

Concrètement, les proches décrivent des symptômes sévères : anxiété persistante, troubles du sommeil, épisodes dépressifs, difficultés de concentration, altération de la mémoire de travail. La vie familiale s’en trouve désorganisée : les rituels s’effritent, les rôles s’inversent, le couple est éprouvé, les enfants absorbent l’angoisse ambiante. Au travail, la performance décline ; la capacité à planifier s’amenuise ; l’attention est happée par la moindre alerte. Plusieurs indicateurs somatiques (douleurs diffuses, troubles digestifs, fatigue chronique) témoignent d’une charge physiologique durable. Cette vulnérabilité est aggravée par l’exposition médiatique, la politisation du dossier et l’attente d’éventuels échanges d’otages, qui relancent cycliquement l’espoir puis la désolation.

Les chercheurs insistent aussi sur l’imbrication du personnel et du collectif. Les familles d’otages vivent un traumatisme intime, mais dans un environnement national bouleversé : cérémonies, places publiques dédiées, manifestations, chaînes d’information continue. Ce contexte amplifie la « résonance » de chaque micro-événement et peut produire, à l’échelle d’un pays, une forme de perte ambiguë collective. Paradoxalement, c’est également là que s’esquissent des facteurs de protection : les réseaux communautaires, les groupes d’entraide, les associations de proches et la solidarité civique offrent un « espace de guérison » – un lieu où la parole circule, où l’on partage des repères, où l’incertitude devient, sinon supportable, du moins partageable.

Sur le plan clinique, l’étude plaide pour une prise en charge pluridisciplinaire et échelonnée. À court terme : sécuriser le sommeil, diminuer l’hyper-vigilance, rétablir des routines (alimentation, activité physique, scolarité des enfants), et encadrer l’exposition aux informations. À moyen terme : thérapies centrées trauma (EMDR, TCC), accompagnement psycho-éducatif des familles, réentraînement cognitif si nécessaire. À long terme : consolidation des appuis sociaux, réhabilitation professionnelle graduelle, prévention des rechutes aux dates anniversaires et lors des « fausses bonnes nouvelles ». Là où une libération survient, la clinique rappelle que la « fin de la captivité » n’est pas la fin du trauma : la réadaptation est un marathon, et les familles restent exposées à des vagues de symptômes différés.

Au-delà du soin, la politique publique a un rôle clé : parcours de soutien dédiés, référents uniques pour les démarches, dispositifs financiers transitoires, congés adaptés, hébergements de proximité lors d’hospitalisations, et reconnaissance officielle du statut des proches. L’architecture hospitalière israélienne s’est d’ailleurs organisée – unités spécialisées, protocoles de ré-alimentation prudente, équipes mixtes santé mentale-médecine interne – avec un impératif : protéger les patients et leurs familles d’une sur-exposition qui retarderait la guérison.

Enfin, l’étude réhabilite une évidence trop souvent perdue sous le fracas de l’actualité : l’attention aux proches n’est pas un « supplément d’âme », c’est une stratégie de résilience. Moins la société laisse ces familles seules, moins le traumatisme s’enkyste. Et plus le signal envoyé aux ravisseurs est clair : la communauté nationale ne cède ni à l’usure ni au chantage.

Pour Israël, protéger et soigner les familles d’otages est un devoir moral autant qu’un choix stratégique. Renforcer la recherche, déployer des soins éprouvés et entourer durablement ces proches, c’est refuser que la barbarie fasse la loi des cœurs. En soutenant cette résilience – individuelle, familiale, nationale – Israël réaffirme sa responsabilité envers les siens et son exigence de vie face au terrorisme.

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