Être juif : un dialogue avec la République, par Sacha Ghozlan

Être juif : un dialogue avec la République

par

Sacha Ghozlan

 

Les valeurs du Front National sont incompatibles avec les valeurs du judaïsme.

Je suis français juif, j’ai 24 ans.

 

Mon grand-père Marcel, est né à Paris en 1932. Il a dû quitter l’école à cause de la guerre. En 1942, son père Paul, était assassiné au Mont Valérien après avoir été arrêté par des policiers français. Marcel a toujours conservé un amour pour la France, tout en gardant une méfiance pour l’autorité et les religieux de tous bords.
Mon grand-père Edouard, est né en 1923 à Setif. Fils de Rabbin, il a quitté l’Algérie en 1948 pour Paris. Féru de littérature, profondément juif, son départ fût un acte fondateur pour sa famille qui le rejoint quelques années plus tard pour construire un avenir en France.

Etre juif est, pour moi, avoir une identité particulière en dialogue avec la République. C’est une interrogation constante faite de partages, de récits tumultueux et d’espoirs, d’interrogations et de combats. Mais cette identité juive est faite d’ouverture, de tolérance, construite sur le verset biblique le plus répété «Tu aimeras l’étranger comme toi-même, car tu as été étranger en terre d’Egypte». C’est une des raisons pour lesquelles, les valeurs du Front National sont incompatibles avec les valeurs du judaïsme.

Je suis un étudiant.
Il y a cinq ans, un soir alors que je sortais de l’Université avec des amis, j’ai été confronté pour la première fois à la violence de l’extrême-droite. D’anciens militaires reconvertis en skinheads distribuaient des tracts du GUD devant ma fac et menaçaient les étudiants.
A la rentrée suivante, mon professeur de finances publiques, Jean-Claude Martinez, ancien vice-président du Front National, était accueilli par une haie d’honneur faite de gudards hurlant le bras droit levé «Martinez, nous voilà».
Cette haine, c’est celle d’amis proches de Marine Le Pen, de Frédéric Chatillon, d’Axel Lousteau et du fondateur du Front National. Cette haine a toujours été, au mieux, diffuse et tolérée au Front National.

Je suis un étudiant soucieux que l’Université soit fidèle à sa vocation : un lieu d’émancipation intellectuelle et d’ouverture. Nous, étudiants, sommes tournés vers l’avenir, vers la France et vers l’international.
Etudiant, je veux pouvoir découvrir d’autres cultures, Marine Le Pen veut m’enfermer, nous enfermer. Faisant miroiter une protection dont elle n’a en réalité ni le désir, ni le secret. Plus que d’autres elle veut faire régresser la France vers une période que l’on pensait révolue.
Mes ancêtres ont connu la guerre en Europe. Je veux pouvoir construire mon avenir dans une Europe de la paix.

Mes amis ont peur. Certains ont une double nationalité. Marine Le Pen voudrait qu’ils choisissent entre leur passeport français et un autre, comme s’il y avait incompatibilité. Certains de mes amis ont acquis la nationalité française par le droit du sol, droit inscrit dans la Constitution. Marine Le Pen voudrait le supprimer.

A ceux qui pensent que le Front National a changé, c’est un leurre. Hier, Marine Le Pen prononçait son discours sous les cris de «la France aux français».

Quel autre responsable politique accepterait de parler sous des slogans pétainistes ? Il n’y a qu’au FN que c’est possible.
Parce que la France des fondateurs du Front National n’était pas à Londres avec De Gaulle pour préparer la résistance, mais à Vichy avec le Maréchal Pétain.

Il y a deux mois à Lyon, au lancement officiel de la campagne présidentielle du Front National, j’ai à nouveau expérimenté l’antisémitisme et le racisme inhérent à ce parti. Nous avons tracté pour démontrer que la gestion des villes FN depuis 2014 est catastrophique. Nous avons été pris à parti par des militants du FN, non pas parce que nous étions des opposants politiques, mais parce que sur nos tracts il y avait ce mot : après union des étudiants… Il y avait le mot «juif». Ce mot, a suscité les pires poncifs de la haine antisémite… les Juifs… oligarchie financière qui contrôle le monde. A la triple nationalité : française, israélienne et américaine. Le négationnisme serait une position historique comme une autre. Certains parmi nous, ont été insultés de «sales juifs» ou de «bronzés»… et même ceux qui ne l’étaient pas…

Voilà ce que disent des militants du Front National quand ils s’adressent à des juifs.

Lucien Vidal Naquet, avocat et résistant, écrivait à propos des lois scélérates du régime de Vichy, que Marine Le Pen et ses sbires tentent de réhabiliter : «Je ressens en tant que français l’injure qui m’est faite comme juif ».

Je refuse que la France trahisse à nouveau ses promesses républicaines et détruise la vie de celles et ceux, Juifs, et non Juifs, qui œuvrent pour sa concorde et sa grandeur.

Combien de vies seraient bouleversées si Marine Le Pen prenait le pouvoir ? Combien de vies seraient bouleversées si l’extrême-droite française dirigeait le mois prochain la police, la justice, les forces armées, les fonctionnaires, et muselait les journalistes et affaiblissait les contre-pouvoirs ? Combien de familles seraient détruites si le Front National appliquait son moratoire sur l’immigration ?

Je suis français profondément. La France est la terre des droits de l’Homme, celle des Lumières, celle d’Emile Zola et de Charles Péguy, de Victor Hugo et de René Cassin.
Je refuse la France que le front national veut m’imposer. Une France recroquevillée, rabougrie, pétrie dans la haine rance et l’ignorance. La France est une terre d’accueil, une terre d’espérance, un refuge quand elle ne trahit pas ses valeurs. Elle l’a été pour mes ancêtres qui ont quitté la Pologne des pogroms antisémites du début du 20ème siècle pour s’y installer. Elle était le pays de mon grand-père né en Algérie qui l’aimait, la chérissait, elle et sa littérature.

Car le Front National est certainement légal, mais il n’est pas pour autant républicain. Il ne partage pas le socle commun de valeurs civiques et universelles.
Depuis 3 ans, avec SOS Racisme, nous coordonnons dans les villes Front National des comités de vigilance citoyens qui décryptent, analysent la politique du Front National. Et je peux vous dire dans quel climat de terreur militent ces personnes courageuses à Hayange, à Fréjus, à Cogolin, Beaucaire, Mantes-la-Ville et dans d’autres lieux.
Le FN veut abattre les contre-pouvoirs et détruire la liberté : la liberté d’opinion en persécutant les opposants politiques, la liberté de religion en interdisant le voile et la kippa dans l’espace public.
Le Front National méprise la liberté de la presse parce qu’elle est critique et qu’elle permet aux citoyens de se forger une opinion éclairée. Et la seule liberté d’association qui vaille au FN c’est l’association de malfaiteurs.

L’égalité, valeur républicaine, serait remplacée par la priorité nationale. Cette mesure est sans doute celle qui exprime le mieux à quel point le FN est profondément anti-républicain. La priorité nationale permettrait de faire des distinctions entre des catégories de français, ceux qui viennent de l’étranger et ceux qui sont nés sur le territoire français. Au niveau local, cette priorité régionale appliquée dans certaines villes du Sud de la France se traduit par l’expulsion des commerçants qui ne vendent pas des produits «de Provence», à savoir les commerçants qui vendent des kebabs !

La fraternité. Comment le Front National peut-il prétendre qu’il défendra cette valeur alors que son fondateur est un multirécidiviste de la haine ? Que certains candidats investis par le parti aux législatives tiennent des propos antisémites et racistes sur les réseaux sociaux ? Et que le maire de Béziers explique qu’avec 91% d’enfants musulmans dans les écoles de Béziers, on atteint le seuil de tolérance ?

Le Front National méprise la France, son peuple, son histoire, ses enfants et ses valeurs. Toute son action politique est construite contre le peuple.

La vague populiste pourrait sembler inéluctable. Donald Trump aux Etats-Unis, le Brexit en Angleterre, les pleins pouvoirs accordés à Erdogan, la popularité record de Vladimir Poutine.

Depuis quelques mois, la peur de l’autre semble avoir pris le dessus sur toute vision politique.

A ceux qui ont peur et qui pensent que le Front National pourrait les aider je leur dis : vous vous trompez. Aux juifs qui pensent que le Front National les protègera du terrorisme islamiste, je leur dis que la haine de l’autre, de l’étranger ne protège pas de la haine que l’on ressent parfois contre soi-même. Qu’une France refermée, alliée des dictatures et des régimes autoritaires qui méprisent les droits de l’Homme n’est pas une solution.
Nous célébrions cette semaine, à travers la fête de Pessah la sortie d’Egypte, d’une terre de servitude vers une terre de liberté. Nous le rappelons chaque année comme si nous l’avions vécu nous-mêmes. C’est bien plus qu’un souvenir. C’est un appel à la vigilance et à l’action pour s’opposer aux ennemis de la liberté d’hier et d’aujourd’hui.

A ceux qui ne veulent pas voter, faute de candidat satisfaisant, je vous le dis. C’est une chose d’être dans l’opposition en démocratie, c’en est une autre d’être l’opposant d’un régime totalitaire qui classe ses citoyens et méprise certains de ses enfants pour ce qu’ils sont. Ne prenons pas le risque en ne prenant pas part au processus démocratique.

Nous étudiants juifs de France, savons que la paix est la fille du courage et pas celle de la peur.
Nous n’avons pas peur. Lorsque l’on est étudiant juif aujourd’hui, partout dans le monde, la peur est une condamnation. Elle enferme et détruit.

Notre combat est juste, il est d’utilité publique. Ensemble nous pouvons faire la différence et sauver l’Humanité en chacun d’entre nous, en France et pour le monde.

Alors, ce soir nous nous rassemblons et dimanche barrons la route au parti de la haine. Nous protègerons la République, nous protégerons les français, nous protégerons la France.

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