Les noms de rues de Tunis : Un parcours hautement signifiant.

Les noms de rues de Tunis : Un parcours hautement signifiant.

 

Tunis est peut-être la seule ville au monde  dont l’espace topographique porte , au niveau de l’appellation de ses rues, ses avenues et boulevards l’empreinte directe  d’un discours symbolique  auquel renvoient ces appellations. Ce discours ne se contente pas, en effet, de consacrer, dans la mémoire  et l’inconscient collectifs, des noms de personnes ou bien des dates événements historiques, mais utilise le corps même de l’espace de la ville en tant que parcours, pour faire du tout un ensemble signifiant et témoignant d’une démarche politique qui a permis selon l’optique  propre à Bourguiba,  de couronner de succès la lutte nationale pour l’Indépendance.

Cela commence par le recouvrement symbolique de la souveraineté nationale par le changement d’appellation de la Rue de l’Eglise en Rue de la Mosquée de la Zitouna, et qui est  l’une des deux grandes artères qui traversent la Médina d’Ouest en Est, liant la place de la Kasbah à Bab Bhar. La colonisation qui s’était permis la transformation de la Grande Mosquée Kitchaoua d’Alger en Cathédrale, s’était contenté, en Tunisie (protectorat et non pas colonie annexée) d’ériger un monument en face de la Médina représentant le Cardinal Lavigerie menaçant de sa croix la vieille cité musulmane et de  restaurer et agrandir l’Eglise Sainte Croix, dont la première fondation remonte au XVIIème Siècle , située à l’intérieur  même de la Médina, à quelques centaines de mètres de la Grande Cathédrale Saint Vincent de Paul, située dans la ville dite européenne, en face de la Résidence Générale. Toujours dans cette même logique du recouvrement de l’identité, une place a été aménagée  autour de la Porte de France ( Bab El Bahr ) et baptisée Place de la Victoire. Le passage de l’espace urbain spécifique à la Médina, à celui « moderne de la nouvelle ville de Tunis, s’effectuera, désormais sous le signe de la victoire sur les nouveaux croisés du Cardinal Lavigerie.

Ce marquage symbolique de recouvrement de l’identité propre, va laisser place par la suite à une attitude fondée sur le dépassement assumé du comportement anticolonial, par l’instauration d’une logique post coloniale, toute de souplesse et de reconnaissance de l’Autre, dans le cadre d’un échange libre entre partenaires égaux. La place de la Victoire, donne sur L’Avenue de France,  et sur laquelle ouvre la Rue du Général De Gaule (de son vivant), mène tout droit à la Place de l’Indépendance sur laquelle donne et l’Ambassade de France et La Grande  Cathédrale et qui donne accès à l’Avenue Bourguiba. Celle-ci croise une première artère, dont la partie droite est l’Avenue de Carthage, et celle de gauche est l’Avenue de Paris. Si la première continue jusqu’à Bab Aleyoua et le Cimetière Jallez, la Seconde va s’arrêter, sous son appellation d’Avenue de Paris, au niveau de la Place de La République, pour continuer, par la suite, sous l’appellation d’Avenue de la Liberté, jusqu’à la Place Pasteur, qui donne à son tour sur l’Avenue Alain Savary (de son vivant). L’Avenue de la Liberté, bien avant la Place Pasteur, croise sur la gauche, l’Avenue des Etats Unis D’Amérique qui mène à la première porte du Belvédère. Au bout de cette dernière, en oblique, se trouve la Rue Hooker Doolitle (le diplomate américain au Caire qui avait aidé Bourguiba à aller en Amérique).

Revenons à présent à l’Avenue Bourguiba. Celle-ci croise une seconde artère, plus étroite dont la partie droite s’appelait, les premières années de l’Indépendance , Rue Larbi Zarrouk, Maire De Tunis qui avait protesté contre l’instauration du Protectorat en (1881-83 ) et qui sera attribuée, plus tard à Ibn Khaldoun. Tout comme La Rue Sadiki qui donne sur la Place De l’Indépendance, va être rebaptisée Rue Jamal Abdennasser (après la mort du Leader Egyptien). Quant à la partie gauche de cette seconde artère, elle continuera, en parallèle à l’Avenue de Paris, à s’appeler Rue de Marseille. La  grande place désormais dédiée au 14 Janvier 2011, avait été baptisée, jusqu’aux débuts des années 70, Place d’Afrique et sera rebaptisée, après la prise en otage de Bourguiba par ses courtisans, Place du 3 Août, faisant redondance à  l’ Avenue Bourguiba  et de ce fait avait encouragé, plus tard, Ben Ali à la consacrer à la date de son Coup d’Etat. Mais la référence à l’Afrique  est liée à celle faite au Maghreb puisque la Place se situe au point commun de perspective des deux plus grandes Avenues de la Capitale à l’époque : L’Avenue Bourguiba et l’Avenue Mohamed V.  Malgré l’abolition du régime monarchique, la Tunisie de Bourguiba a été toujours proche de la monarchie marocaine. Bourguiba a assisté aux obsèques de Mohamed V, en étant placé entre Moulay Hassan et Moulay Abdallah. On peut toujours rappeler que l’Avenue parallèle à celle qui porte le nom de  Bourguiba porte celui de Farhat Hached et que le Boulevard périphérique dédié aux martyrs du 9 Avril, commence à Bab Sadoun, passe non loin de Bab Bnet  et surplombe, vers sa fin, Sijoumi. Trois lieux  marqués par les différentes générations de martyrs de la lutte nationale : Bab Saadoun où ont été pendus les condamnés à mort de la Révolte de Jallaz en 1911,  Bab Bnet pour ceux tombés le 9 Avril 1938 et Sijoumi  où l’on  a fusillé les condamnés à mort de la révolution des années cinquante. (18 Janvier 1952).

En procédant à cette lecture du parcours symbolique, hautement politique  de l’espace urbain de la capitale, je pensais surtout à mes enfants que les programmes scolaires durant les vingt trois ans d’obscurantisme avaient coupé  de la mémoire collective, à laquelle les Tunisiens de ma génération ne sont pas prêts à  renoncer. .

Artiste peintre mais également journaliste culturel et politique et enseignant à l’Université de Tunis depuis les années soixante-dix. il est Professeur émérite d’Enseignement Supérieur en Sciences et Techniques des Arts à l’Ecole Supérieure des Sciences et Technologies du Design.(Denden) (Université de Manouba).

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Oui, globalement d'accord. Il est évident que la toponymie a un sens, partout, pas uniquement à Tunis (mais, contre-exemple: on pourrait se demander, d'ailleurs, pourquoi ni Bonaparte ni Napoléon ne sont "honorés" à Paris...mais c'est un autre sujet!).

Un bémol: pourquoi "menaçante", en parlant de la croix du Cardinal? Si on commence à entrer dans ce champ lexical, on ouvre un beau bazar de contre-arguments. Qui, historiquement, est venu en Afrique du Nord (et ailleurs) menacer les Juifs, les Chrétiens, jusqu'à les remplacer et les "tolérer", si ce ne sont les Arabes musulmans? Qui, aujourd'hui, fait de Ste Sophie une mosquée,en Turquie. Qui massacre allègrement les Chrétiens d'Orient? Qui menace qui? 

Au fait, rappel historique et autre (gros) bémol: c'est la Tunisie sous domination ottomane qui a demandé à la France (plutôt qu'à l'Italie beaucoup plus présente à l'époque) de la "protéger". Vieil héritage, en Droit international, de la "proxénie" qui régissait les relations entre cités grecques...Coup de génie tunisien d'ailleurs de court-cicuiter les Italiens, qui ne le digérèrent jamais (Mussolini terminait ses discours en criant: Tunisia...et la foule répondait: A noi!). 

Oui, ne pas renoncer à la mémoire. Toute la mémoire.

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