La mémoire retrouvée des Juifs d’Orient

La mémoire retrouvée des Juifs d’Orient

Article de Élise Lépine

La journaliste et romancière Michèle Fitoussi, née à Tunis en 1954, n'a passé que cinq ans en Tunisie avant que sa famille ne s'installe en France. Pour retrouver son pays natal, elle fait de ce récit, La Famille de Pantin, une machine à remonter le temps. Le récit commence à Pantin, là où reposent ses proches, dans le carré juif du cimetière, « concentré d'histoire et de géographie sur quelques mètres carrés de pierres et de boue ».« À eux tous, combien de passeports et combien de valises, combien de larmes et combien de regrets ? » écrit Michèle Fitoussi, en imaginant « les adieux, les départs, les frontières? ». Mais le temps de l'imagination a laissé place au besoin de savoir. De renouer, d'interroger et de transmettre. C'est là l'objectif de ce livre érudit et sentimental, cette enquête identitaire traversée de souvenirs d'enfance et portée par le désir farouche de plonger tout droit, et tout en justesse, au c?ur de l'Histoire. Après avoir fait l'un de ces tests ADN disponibles sur Internet, qui lui révèle qu'elle est « juive tunisienne à 85 %, asiatique, grecque et italienne à 2 %, et 13 % ashkénaze », Michèle Fitoussi, qui s'est toujours sentie française avant tout, retrouve une partie de son arbre généalogique. Faisant renaître (et avec quel talent de portraitiste !) les parents, les oncles, les tantes, les arrière-grands-parents et ceux et celles qui vinrent avant eux. Par ce stratagème, elle retrace l'histoire longue des Juifs d'Orient et de Méditerranée, remontant jusqu'au Moyen Âge.

Vibration. Son récit est une passionnante leçon d'histoire convoquant périodes florissantes, comme en l'an 670, quand juifs et musulmans cohabitèrent en harmonie dans la ville tunisienne de Kairouan, la faisant rayonner pendant deux siècles, ou désastres, comme lorsqu'ils furent chassés du pays en masse, au XIIe siècle, ou forcés de se convertir. Michèle Fitoussi raconte les pogroms, les lois infamantes, les décrets mortifères qui ont poussé les juifs, depuis la nuit des temps, d'exil en exil, jusqu'au départ massif de Tunisie après l'indépendance. Elle dit aussi la joie, les chants, la vibration d'un peuple animé par l'amour. Le livre élargit ses horizons, saute d'Andalousie en Toscane, de l'Algérie au Maroc, parcourt même l'Europe de l'Est. Bien qu'il ait les yeux rivés sur la France, patrie fascinante et ambivalente qui sait être, vis-à-vis des juifs, mère ou monstre, la Tunisie est son c?ur battant. Puissant, généreux et blessé. Michèle Fitoussi évoque la synagogue de la Ghriba, où se pressent, une fois par an, les fidèles du monde entier, et que la violence terroriste vient de frapper de nouveau, après l'attentat dévastateur de 2002. « Les Juifs de Djerba sont les garants de notre mémoire tunisienne. S'ils disparaissent, il n'y aura là-bas plus rien de nous », écrit-elle. Un avertissement plus glaçant que jamais §

« La Famille de Pantin », de Michèle Fitoussi (Stock, 288 p., 20,90 ?).

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