ZORAN MUSIC - par Vanessa De Loya

ZORAN MUSIC - Propos recueillis par Vanessa De Loya, psychanalyste .
 
 

 

Peintre déraciné d'origine slovène, Zoran Music vivait entre Paris et Venise. Une consécration lui a ete  réservée au Grand Palais en  avril 1995. On pourrait dire de lui que c'est un peintre assis, à la manière des orientaux, de ceux qui attendent l'événementiel : que la lumière advienne. Pour avoir longtemps médité sur le paysage intérieur des hommes, Music réussit à peindre l'inénarrable, à faire un « tableau » de sa vision vécue à Dachau. Peintre de la transhumance, du dedans et du dehors, des cathédrales et des portraits, de l'univers concentrationnaire aux déserts dalmates, il transfigure la mémoire en « trésor » d'où il puise indéfiniment. Ses tableaux sont des offrandes issues des traversées-trouées. Recevons-les comme les relais de transmission d'un peintre survivant, devenu anachorète.

Zoran Music, témoin d'un événement insoutenable: - Dachau, que pouvez-vous en dire aujourd'hui, à 85 ans?
L'énormité des camps et ce qui s'y déroulait n'est pas mesurable. L'insoutenable, je l'ai vécu, il m'est apparu bénéfique ultérieurement. Avec du recul, il me semble que cet accident date d'un siècle, tout comme d'hier. En fait, c'est le caractère omniprésent d'un événement qui finit par être positif, nous incitant à une réflexion active.

Vous avez dit: « Ce ne sont pas les yeux qui travaillent mais ce qu'on porte en soi.. Il faudrait pouvoir travailler les yeux fermés. »
L'image rendue serait plus authentique sans le recours des yeux, la mémoire y suffirait. On s'encombre souvent de superflu, de détails.

Pensez-vous que sans chercher à l'être, tout art est commémoratif ?
Certainement. On ne raconte que soi-même et rien d'autre. L'art illustratif ne me touche pas à cause de sa superficialité.

Transfigurer le désastre en lui donnant une dimension métaphysique, là est votre force. En êtes-vous conscient ?
Cette dimension et cette force dont vous par-lez, je les espère mais ne les contrôle pas. Trop de conscience conduit à un système. Je me méfie des formulations rhétoriques. Ma préoccupation première est d'éviter l'illustration. Ce qui importe, dans la création, c'est d'où elle revient, par quoi elle a été traversée.

Comment échapper au thème récurrent qui nous obsède ?
Pourquoi y échapper ! L'obsession peut présager un aspect positif, tel un trésor vers lequel on revient pour s'y plonger.

Peindre l'insoutenable pour le conjurer, l'exorciser ?
La notion d'insoutenable est relative souvent inconsciente. Tout vécu finit par vous imprimer : Ça reste en nous, jusqu'à modifier notre mentalité positivement. Le besoin d'exorciser ce « vécu » ne s'est pas imposé à moi. La période « dalmate » en rapport avec mon enfance, m'est revenue comme un rêve. Peut-être comme un répit pour estomper momentanément Dachau.

L'artiste est porteur d'un « trésor » dites-vous, la mémoire comme tréfonds inépuisable ?
Certes, la mémoire a une fonction de puits, mais ou s'arrête l'eau ? On n'y pense pas c'est l'œuvre qui répond à toutes ces questions.

En 1972, vous revenez à la thématique des chantiers des camps avec une série intitulée: « Nous ne sommes pas les derniers. » Qu'entendez-vous par ce titre ?
Dans les camps de Dachau, entre nous, nous formulions une conviction : « Jamais plus une chose pareille ne se répétera. » Vingt cinq ans plus tard, aujourd'hui même, l'histoire et l'actualité démentent notre souhait. D'où le titre de cette série.

Klimt, Schiele, Goya, Gréco, Bacon, Giacometti, vous ont touché. Qu'en est-il de Primo Lévi, Paul Celan, Georges Perec ?
Si j'étais écrivain, je ne me serais pas attardé sur des illustrations mais sur des souffrances intérieures, invisibles. L'illustration sous toutes ses formes me gêne, elle est fatalement superficielle. Dans une toile, ce qui importe, c'est la lumière rendue ; dans un livre, ce que l'on retient, c'est l'émotion véhiculée par les personnages : la narration n'est que broderie. Paul Celan, par sa concision et sa pudeur m'est plus proche.

Qu'est-ce qui est tapi derrière le tableau ?
Ces interrogations concernent le regardant, pas le peintre. L'Artiste doit exprimer sa vérité, faire un avec elle. Il voudrait être dans la toile et la toile dans lui. Ne plus savoir où il commence, où elle finit. Le tableau n'est pas créé intentionnellement : l'artiste le porte sur tout un parcours et le transmet dans un second temps.

Souvent, l'artiste part d'un morcellement d'identité et tente de peindre pour se rassembler, se définir par là -même. L'œuvre a-t-elle un tel pouvoir d'unité ?
Je ne suis pas d'accord avec l'idée de morcellement comme point de départ. L'idée de chercher ou de se chercher m'est étrangère. L'artiste devrait être porteur d'un monde intérieur déjà constitué. Le temps et la maturité contribuent à un rapprochement vers sa vérité. Là est l'essentiel.

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