Boycott des artistes juifs depuis le 7-Octobre

Boycott des artistes juifs depuis le 7-Octobre

 

 

Certains artistes israéliens font, eux, l'objet d'appels directs au boycott, comme le chanteur franco-israélien Amir, et des militants propalestiniens ont récemment perturbé le concert de l'Orchestre philharmonique d'Israël à Paris

Des portes qui se referment, des dates qui se raréfient: des musiciens français et juifs témoignent d’un horizon artistique qui s’est peu à peu rétréci dans le sillage du 7-Octobre, de la guerre à Gaza et des appels au boycott d’artistes israéliens.

« On nous assigne comme si on était des copains de Netanyahu alors qu’on est pacifistes »: guitariste de la scène indépendante, David Konopnicki explique à l’AFP avoir ressenti une « déflagration » quand il a voulu reformer, le temps d’un concert, son trio mêlant rock alternatif et klezmer, musique juive d’Europe de l’Est.

Quatre salles parisiennes où il avait déjà joué déclinent. « Une programmatrice m’a dit: ‘Je te connais, tu n’es peut-être pas génocidaire, mais si je fais un concert juif, je vais devoir prendre quatre mecs en plus à la sécu’, » raconte-t-il à l’AFP. Un autre argumente: « Je ne fais plus de klezmer. »

« Est-ce que c’est de l’antisémitisme ou une pure crainte sécuritaire ? », s’interroge-t-il. Son concert a finalement eu lieu jeudi mais au Musée d’art et d’histoire du judaïsme. « Je crois quand même pas avoir l’âge d’être dans un musée », ironise-t-il.

 

Difficile de jauger combien d’artistes juifs partagent son amertume et le sentiment de payer le prix d’avoir dénoncé à la fois le pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre 2023 – les hommes armés avaient massacré plus de 1200 personnes dans le sud d’Israël et enlevé 251 personnes, qui avaient été prises en otage à Gaza – et la guerre à Gaza qui a suivi, qui ont creusé en France de profondes lignes de fractures.

Chanteuse soul active depuis 15 ans, Lisa Spada tournait jusqu’à peu à environ « 40 à 50 concerts par an » mais a dû abandonner sa carrière. « Je n’ai soudainement plus eu aucune proposition. J’avais l’impression d’être devenue infréquentable », raconte-t-elle à l’AFP.

« C’est plus insidieux qu’un boycott. J’ai ressenti un climat de suspicion après le 7-Octobre parce que j’ai dénoncé le silence de mes frères et soeurs de musique et ça a été assimilé à un soutien à un génocide », dit cette ex-sympathisante de la gauche radicale, qui se sent victime de la « cancel culture ».

Sous couvert de l’anonymat, un jazzman bien implanté à Paris assure, lui, ne pas être « directement impacté » dans son travail mais ressent, en tant que juif, un « climat pesant ». « Il y a une sorte de maccarthysme potentiel qui est flippant », raconte-t-il à l’AFP.

Signe de la crispation généralisée autour du sujet, le même spectre d’un « maccarthysme à la française » a été agité après l’annulation, sous la pression d’associations, d’un colloque sur la Palestine qui devait avoir lieu au Collège de France, et qui a finalement pu se tenir dans un autre endroit.

Parallèlement, certains artistes israéliens font, eux, l’objet d’appels directs au boycott, comme le chanteur franco-israélien Amir, et des militants propalestiniens ont récemment perturbé le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à Paris.

« Non-sens »

Clarinettiste française versée dans la culture yiddish, Marine Goldwaser raconte, elle, la montée en puissance des questions de sécurité dès qu’elle se produit sur scène en France, en Allemagne ou en Pologne.

« Il y a toujours cette question et aussi celle de savoir comment présenter les choses en édulcorant certains points », dit-elle à l’AFP. « Il faut éviter le mot musique juive, rester un peu dans le brouillard pour ne pas risquer d’être ciblées. »

L’onde de choc de la guerre à Gaza l’a aussi atteinte parce que l’un des musiciens avec qui elle avait conçu un projet baptisé « Noces yiddish » n’a soudainement plus voulu y être associé. Des heures de discussion n’y ont rien changé.

« C’est vraiment un non-sens d’associer la culture yiddish à l’État d’Israël mais cet amalgame est tellement ancré qu’il a tout emporté », se désole Marine Goldwaser, 37 ans, regrettant que cette musique soit renvoyée à ses seules racines juives alors qu’elle est le fruit d’un « métissage ».

Directrice artistique du festival Jazz’n’Klezmer, dont la 23e édition se tient jusqu’au 23 novembre, Laurence Haziza témoigne, elle aussi, d’un climat qui conduit une salle partenaire à refuser d’afficher le nom de l’évènement.

« La chose qui est surprenante c’est qu’on est un festival français de musique juive, pas du tout un festival israélien », explique-t-elle. « Des salles ont sans doute peur pour leur public mais cela déploie une toile perverse d’invisibilité sur certains artistes ».

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