Lettre de l’Amitié Judéo-Chrétienne à ses amis juifs

Lettre de l’Amitié Judéo-Chrétienne à ses amis juifs

A nos amis juifs,

Nous sommes tous, chrétiens et juifs, au sein de l’Amitié Judéo-Chrétienne, dans la souffrance et le désarroi. Les juifs subissent un déferlement de haine antisémite, déguisée en antisionisme, que rien ne semble pouvoir arrêter. Des chrétiens, sous couvert de sentiments humanistes et de solidarité avec le peuple palestinien désignent celui-ci comme l’incarnation même de la victime, victime notamment des Juifs.

Un vent mauvais souffle dans la presse dans son ensemble, y compris parfois hélas, dans la presse chrétienne. On y reprend sans distance ni critique, le point de vue du Hamas et d’autres organisations terroristes, relayé aussi par un certain parti politique en France.

En ce temps de l’Avent, à l’approche de Noël, des articles présentent l’Enfant Jésus comme « Palestinien » en lui déniant implicitement sa judaïté. S’il était né en 2022, n’aurait-il pas été massacré le 7 octobre 2023, ou bien ne serait-il pas aujourd’hui le compagnon de malheur du bébé Kfir Bibas, enlevé à neuf mois avec son frère Ariel âgé alors de quatre ans, otages à Gaza ?

Depuis le Vatican même, coup sur coup, en quelques semaines, des informations sont venues perturber les relations judéo-chrétiennes, Il y a eu la publication en novembre d’un livre du pape François en préparation du Jubilé de 2025, La speranza non delude mai (L’espérance ne déçoit jamais), puis un discours prononcé le 25 novembre, et le 9 décembre l’inauguration au Vatican, d’une crèche réalisée à Bethléem, présentant Jésus couché sur un keffieh, symbole du nationalisme palestinien. Dans le livre, le Pape s’interroge sur un éventuel « génocide » qui pourrait être commis par Israël à Gaza ; dans le discours, prononcé à l’occasion de l’anniversaire d’un traité de paix entre l’Argentine et le Chili, négocié alors sous l’égide de Jean-Paul II, il met sur le même plan la Russie et Israël et dénonce « l’arrogance de l’envahisseur » [la prepotencia del invasor, en espagnol). En ce qui concerne la pose du keffieh dans la couche de Jésus, nous savons aujourd’hui, qu’il s’agit d’un acte de provocation qui a mis le Pape, devant le fait accompli.

Nous partageons l’inquiétude de la Conférence des Rabbins Européens qui, à la suite de la publication du livre de François, s’est déclarée dans un long communiqué, « profondément troublée » (We are deeply disturbed) et nous partageons avec le Comité international juif pour les Consultations interreligieuses (IJCIC) le rejet de l’accusation « catégoriquement fausse » selon laquelle Israël serait engagé dans un génocide à Gaza.

Nous ne devons pas moins continuer à faire vivre ensemble tout ce qui a été fait et proclamé par les Églises chrétiennes depuis la Conférence de Seelisberg en 1947, sous l’impulsion de Jules Isaac, puis par le concile Vatican II, par les papes successifs, de Jean XXIII à Jean-Paul II et jusqu’à François. Ce dernier, recevant l’AJCF, le 11 décembre 2022, lui a recommandé de poursuivre inlassablement son travail. Lui-même a toujours réaffirmé son refus absolu de l’antisémitisme et en se rendant en Israël, il s’est recueilli, le 26 mai 2014 sur la tombe de Theodor Herzl et devant le Mémorial des victimes du terrorisme. Il a accueilli à plusieurs reprises des familles d’otages et réclame régulièrement la libération de tous les otages.

L’année 2025 qui s’ouvre bientôt sera l’année des soixante ans de la Déclaration Nostra Aetate. Elle doit être l’occasion de rappeler tout au long de l’année, les acquis irréversibles de l’Amitié entre juifs et chrétiens, les textes majeurs du magistère, parmi lesquels, en France, la déclaration de la Conférence des évêques, du 1° février 2021, Lutter ensemble contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme ainsi que les nombreux textes des Églises protestantes.

Nous sommes confrontés à une situation très dangereuse marquée par le renversement du vocabulaire popularisé par la presse, où les descendants des victimes de la Shoah sont accusés de génocide, où les terroristes deviennent au mieux des victimes ou des résistants, au pire, des héros. Notre temps est celui d’une confusion lexicale générale, où les mots sont renversés. Ainsi se développe une agressivité tellement décomplexée que les sociologues parlent d’un « antisémitisme d’atmosphère » qui bascule dans un « antisémitisme de faits » comme le dit le Grand Rabbin de France Haïm Korsia, et malheureusement certains chrétiens n’y échappent pas.

Restons indéfectiblement unis et déterminés. A Toulon, la crèche de la cathédrale présente à l’entrée de l’étable (où Jésus n’est pas encore placé comme il se doit), une Menorah et une Arche d’Alliance. Magnifiques symboles, avec la couche encore vide, de l’attente dans laquelle nous nous trouvons, ensemble mais différents, juifs et chrétiens. Dans quelques jours, le même 25 décembre, les chrétiens fêteront Noël et les juifs allumeront dans la soirée, la première lumière de Hanouka.

Le 16 décembre 2024,

Jean-Dominique Durand
Président de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France

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