La "maison de Hbiba Msika" à Testour ne s'appellera plus ainsi: Retour sur la vie de la diva tunisienne

La "maison de Hbiba Msika" à Testour ne s'appellera plus ainsi: Retour sur la vie de la diva tunisienne, par Sarah Benali

 

Suite au message alarmant de l'avocat Ramzi Jebabli concernant le changement de nom de la maison de Hbiba Msika à Testour, la société civile avait relayé l'information selon laquelle il y a une intention délibérée de la part du directeur de l'établissement de travestir l'histoire par conservatisme.

Maitre Ramzi Jebabli avait alors affirmé que cette maison a été construite par l'amant de la starlette dans les années 20 et qu'elle y est morte en 1930.

Grâce au livre de l'historienne Sophie Bessis "Les valeureuses: Cinq Tunisiennes dans l'Histoire", le film de Salma Baccar "la danse du feu" et le documentaire de Sarah Benillouche "Ciao Hbiba!", nous allons pouvoir revenir sur le parcours de cette figure du 20ème siècle et vérifier l'exactitude de ces affirmations.

Enfant d'une dynastie musicale, Hbiba Marguerite Msika est née d'un père violoniste. Elle est la nièce de Kheilou Esseghuir et de Leila Sfez. L'enfant de la Hara, le quartier juif de la ville de Tunis, elle sera vouée à un avenir prometteur. Son rêve était de devenir "tragédienne".

Si sa mort a définitivement lié son nom à un destin tragique, sa courte existence a été couronnée de succès.

Musicienne, chanteuse, actrice et danseuse, dès ses vingt ans, Hbiba Msika fut la star de l'époque. Dès son plus jeune âge, elle a fréquenté les grands artistes de l'époque.

À 17ans, elle travaillait déjà au cabaret de sa tante Leila Sfez, elle assurait les premières parties des artistes, chantait au casino de Tunis et dans les salles de la Marsa. Elle apprend à jouer du Luth grâce à Acher Mezrahi, le célèbre poète compositeur, qui l'a pris sous son aile. Une rencontre décisive avec Hassan Banane lui permettra, plus tard, d'interpréter les chansons d'Oum Kolthoum et d'Abdelwahab, malgré son accent prononcé et son incapacité à lire la langue arabe.

Elle retrouvera les planches avec Mohamed Bourguiba, le frère ainé de Habib Bourguiba, qui a fondé la troupe de théâtre "al-shahaama al-adabya" en 1910. Ça sera lui qui l'aidera à se défaire de son accent de la Hara. Avec l'aide de son frère Mahmoud, il va lui permettre de décrocher ses premiers rôles au théâtre. On lui retranscrirait les textes arabes en lettres latines pour qu'elle puisse jouer Shakespeare et Molière. On raconte même qu'elle a joué avec Habib Bourguiba en 1923, à Monastir, dans une pièce de Victor Hugo.

Quelques années plus tôt, le futur président de la première République tunisienne traduisait la pièce de Victorien Sardou, "Patrie!" que notre Hbiba jouera sous la direction de Mohamed Bourguiba. L'interprétation de "Patrie!" lui a valu une nuit en prison pour avoir soutenu la cause nationale.

"Hbiba Msika était extrêmement populaire, c'est une chanteuse de son époque mais elle n'a pas été considérée comme une grande voix par les musicologues des années 20, on pensait que sa tante, Leila Sfez avait une plus grande voix que Hbiba Msika". Entretien avec Sophie Bessis sur RTCI

On racontera plus tard que Hbiba Msika provoquait chez les conservateurs une colère noire en interprétant des rôles masculins tel que le personnage biblique de Joseph. Les milieux conservateurs l'accuseront d'avoir insulté l'Islam, parce que femme et juive, elle incarnait un prophète.

"Hbiba Msika est considérée comme l'une des plus grandes tragédiennes de son temps. Malheureusement, on n'en garde aucune trace. Or les années vingt en Tunisie sont des années absolument passionnantes, au niveau du théâtre. Le théâtre tunisien est d'une richesse, d'une variété... quand on pense à l'époque que tout le théâtre classique européen était traduit en arabe, était joué en arabe... c'était un art populaire". Entretien avec Sophie Bessis sur RTCI

Hbiba Msika était, de fait, l'aimée de tous. Ses admirateurs feront d'elle une diva, et l'un d'eux finira par la tuer. Ses "soldats de la nuit" -Asker Ellil- sa garde dont elle ne se séparera jamais, ne réussiront pas à l'arracher de la mort.

On lui prêta plusieurs amants, dont le chanteur Irakien Mohamed Kabandji et le poète Chedly Khaznadar. On prétend même qu'elle avait une liaison avec un membre de la famille beylicale dont on méconnait l'identité.

Celui qui mettra une fin à la vie de l'impératrice des songes portera le nom de Liahou Ben David Meimouni, un commerçant de soixante-dix ans, originaire de la ville Andalouse de Testour.

Épris d'elle, Meimouni dépense une fortune pour satisfaire les désirs de sa bien-aimée: il lui paie ses voyages à Berlin où elle avait l'habitude d'enregistrer ses chansons, il couvre les dépenses de ses tournées en Algérie, au Maroc, en Égypte, en France et en Italie. Il va même lui construire la maison qu'on connait aujourd'hui sous le nom de "la maison de Hbiba Msika" à Testour. Elle n'y mettra jamais les pieds, Hbiba Msika résidera au 22 rue Alfred-Durand-Claye/ Rue Borj Bourguiba jusqu'à sa mort.

Au fil des années, elle fréquentera un certain Raoul Merle, un français catholique, qu'elle décidera de prendre pour époux. Meimouni en devient fou et commettra l'irréparable la nuit du 21 février 1930 lorsqu'il se faufilera dans sa chambre, l'aspergera d'essence et y mettra le feu. Il s'immolera avec elle.

Hbiba Msika rendra l'âme le 22 février à la clinique de la rue Courbet et ainsi, deviendra une immortelle, grâce à son œuvre dissidente, son histoire romancée et son admirateur qui lui ôta la vie.

Si la maison, appelée à tort "la maison de Hbiba Msika" n'est que le cadeau empoisonné d'un prétendant rejeté par la starlette, elle symbolise l'amour unilatéral, abusif et passionnel. Cet amour qui tue et qui a éteint définitivement la perle de l'orient.

Rien que pour faire perdurer la légende de notre "Sultane", les détracteurs de l'initiative du directeur de la maison de la Culture s'opposent farouchement à la modification du nom de la maison Msika et appellent à la révision de cette décision.

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