« Marguerite Duras a embrassé la cause juive à travers ses propres souffrances »
L'écrivain dunkerquois Jean-Marc Alcalay, psychologue clinicien de profession, publie ce mois-ci « M. D. la Juive. Les Écritures juives de Marguerite Duras ». Il y met en scène la romancière, disparue en 1996, en proie à un questionnement sur le « peuplement juif de son oeuvre ». Il y a quelques jours, il était à Jérusalem pour présenter son livre. Retour à Dunkerque. PAR BENJAMIN CORMIER
Quel a été le point de départ de votre démarche d'auteur, pour le moins originale ?
« Je lis Duras depuis longtemps... J'ai en particulier été marqué par La Douleur (sorti en 1985), un livre puissant.
Jusqu'à ce jour, il y a environ trois ans, où je suis tombé sur un de ses recueils de textes, Le Monde extérieur, outside II, paru en 1993, où elle raconte que, invitée au centre Rachi - haut lieu de la culture juive à Paris -, elle refuse de s'y rendre. Dans une lettre, elle explique pourquoi, par ces mots : "Je ne sais pas de façon décisive pourquoi tout le peuplement de mes livres est juif. Mais l'idée qu'on me l'apprenne m'est insupportable". Cela a été l'élément déclencheur. J'ai voulu en savoir davantage. »
Pourquoi avoir choisi de romancer cette facette de la personnalité de Marguerite Duras ?
« J'avais deux choix. Soit je m'accrochais à mes travers professionnels - je suis psy ! - et je procédais à une recherche patho-analytique, pour comprendre d'où lui venait cette forme d'autocensure. Mais j'aurais détricoté l'oeuvre, qui en serait sortie asséchée. Je ne voulais pas de cela. J'ai préféré l'autre option : romancer, en effet, Marguerite Duras, en la mettant en scène dans une sorte de biographie fictionnelle. »
Racontez-nous un peu...
« Je l'imagine à Trouville, un soir, en train de s'alcooliser. L'histoire se passe pendant une nuit où elle va s'interroger sur les personnages juifs qui ont traversé sa vie personnelle, depuis la Cochinchine où elle a grandi jusqu'à la période de la Résistance, avec Mitterrand notamment. Je reviens sur sa vie d'écrivain, où les Juifs sont aussi omniprésents. Dans La Douleur, elle traite de la Shoah, dans Abahn Sabana David, du thème du Juif errant. La pièce de théâtre Un homme est venu me voir met en scène un certain Steiner... »
Ce nom revient en effet beaucoup dans son oeuvre. Pourquoi selon vous ?
« Lol V. Stein, Steiner, Aurélia Steiner, Yann Andréa Steiner... apparaissent de manière récurrente. Stein, c'est la pierre, c'était aussi le prénom germanisé de son frère aîné, Pierre, qu'elle soupçonnait de livrer des filles à la prostitution et d'avoir eu, envers elle, des attitudes incestueuses. Mais ce n'est qu'une interprétation très personnelle. »
Pourquoi, en définitive, cette « attirance » pour la question juive ?
« Marguerite Duras n'était pas juive, mais elle disait : "J'aurais pu porter l'étoile jaune", elle qui a travaillé sous Vichy au contrôle des papiers avant de rejoindre, en 1943, la Résistance. Je pense qu'elle a ressenti une grande culpabilité de n'avoir pu faire plus contre la Shoah. Tous ses traumatismes - les agissements de son frère Pierre, mais aussi l'année 1942, année des rafles, durant laquelle elle perd un autre frère et un enfant -, ont été autant de blessures à son "être femme". Marguerite Duras a en quelque sorte embrassé la cause juive à travers sa propre souffrance. »
Quel lien tissez-vous, précisément, entre son oeuvre et cette déchirure ?
« Duras a essentiellement écrit sur le désir, sur l'amour, dans ce qu'il a parfois d'extrême, de compliqué. D'un autre côté, être Juif, c'est toujours être sur le fil, c'est une condition fragile. La condition amoureuse est très proche de cela. On peut aller très loin, regardez la Bible... Mais on est toujours, aussi, au bord du précipice de l'histoire. Comme en amour... » •
« M. D. la Juive », de Jean-Marc Alcalay, Elkana textes, 143 pages.
L'auteur dédicacera son livre le 31 mars à la librairie Majuscule, à Dunkerque, place Jean-Bart, de 15 h à 18 h et le 6 avril à Bergues à la librairie Lamartine, à 18 h.
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