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Agnès Jaoui : « L’amour est dans les boulettes »

 

Agnès Jaoui : « L’amour est dans les boulettes »
 

AGNÈS JAOUI COMME SON PERSONNAGE DANS « DU VENT DANS MES MOLLETS » DE CARINE TARDIEU, EST ISSUE D’UNE FAMILLE JUIVE VENUE DE TUNISIE. L’OCCASION D’UN ALLER-RETOUR ENTRE LE FILM ET SES ORIGINES JUIVES.

 

Actualité Juive : Vous jouez Colette, une femme qui semble s’investir plus dehors qu’à la maison ?

 

Agnès Jaoui : Non, elle s’implique aussi, même trop à la maison. Elle est peu engagée dans son rôle d’épouse, mais au début ils y trouvent tous les deux leur compte. Ils sont endormis en tant que couple, sans être malheureux en tant que parents. Mais elle est très présente.

 

Actu.J. : Est-ce que comme dans le
cinéma de Carine Tardieu, les thèmes de la femme et de la mère vous hantent ?

 

A.J. : C’est surtout la condition de la femme qui m’a toujours intéressée. Concernant la mère, c’est plus récent (NDRL : Agnès a adopté deux enfants du Brésil).

 

Actu.J. : Dans le film, vous êtes aussi une maman juive entière, excessive et tendre. Un mot sur cet aspect du personnage ?

 

A.J. : Elle représente effectivement une mère envahissante, qui a peur que les siens manquent de nourriture. Mais dans le livre, si le père est juif, la mère ne l’est pas.

 

Actu.J : À propos d’alimentation, les boulettes sont comme une métaphore de l’amour.

 

A.J. : Tout à fait. L’amour est dans les boulettes entre le mari et la femme, les parents et leur fille. Cela va même jusqu’à cette dernière sachant que ses copines ne vont pas venir, laisse sa mère préparer ses boulettes.

 

Actu.J : Vous qui êtes engagée et d’origine juive, en quoi ce film résonne avec votre propre histoire ?

 

A.J. : Je n’ai pas le sentiment d’être engagée comme l’est Colette. Si ce n’est d’être beaucoup plus féministe, certes une différence fondamentale. Elle m’évoque mes tantes, ma mère par moment, bien qu’elle fût fort différente. Ma mère est morte, c’est pour cela que j’en parle au passé. Il n’y a pas de résonance personnelle, mais dans la qualité de la description des rapports humains et de cet amour mal distribué. Le côté famille, finalement classique, même si la mère est particulièrement névrosée, le père particulièrement fuyant, est très loin de mon enfance. Ma famille était beaucoup plus soixante-huitarde que celle-là. On écoutait Brassens, il y avait toute une ouverture sur la culture française et sur une certaine notion de liberté. Mes parents n’étaient pas pratiquants, mais très attachés à Israël. Ils se sont rencontrés à l’Hashomer Hatsaïr. Émancipés, ils ont vécu ce sentiment de liberté grâce à ce mouvement sioniste socialiste laïc à Tunis, paradis enfermant. Ils avaient une grande autonomie, les filles et les garçons étaient mélangés, et un engagement politique et culturel très fort. Après chacun sa personnalité : ma mère est devenue psy, mon père a une nature très forte et originale. On voit bien la différence entre les Juifs d’Afrique du Nord qui ont connu l’Hashomer et les autres. Mes parents ont essayé en France de nous y inscrire mon frère et moi, mais ce n’était pas du tout la même ambiance. Il n’y avait plus cette nécessité de se libérer d’un carcan. Je n’ai donc pas été attirée par l’Hashomer en France.

 

Actu.J. : Et par Israël ?

 

A.J. : J’y ai passé tous les étés de mon enfance. Encore récemment, j’y suis retournée avec mes enfants. Mon rapport est fort dans la mesure où j’y ai beaucoup de famille, notamment un cousin que j’adore. Et aussi des gens qui me sont très proches. Dans le même temps, ce lien est très tourmenté parce que la situation est extrêmement difficile et douloureuse, et que je ne suis pas d’accord avec les agissements du gouvernement actuel. Je me retrouve plus dans la parole d’un David Grossman. Il est difficile de s’exprimer sur ce sujet. J’ai reçu des menaces de mort, mes parents des appels indélicats, lorsque je l’ai fait et en plus mes propos ont été déformés.

 

Actu.J. : Et côté religieux ?

 

A.J. : Je vais parfois pour Shabbat chez ma tante que j’adore, mais je ne suis pas pratiquante. Mon père souhaiterait que mon fils fasse sa bar-mitzva. Je n’ai pas encore pris ma décision, même si je suis tentée. Cela structure, donne une identité forte que je trouve importante, mais plus culturellement que cultuellement. J’ai fait ma bat-mitzva à une époque où cela ne se faisait pas pour les filles.

 

Actu.J. : À travers le personnage de Podalydès qui joue votre époux et un fils de déporté, la Shoah est représentée.

 

A.J. : Je trouve que la façon dont la réalisatrice en parle est très subtile. Quand on est ashkénaze, enfants ou petits-enfants de déportés, on n’a pas la même histoire que les séfarades, quoi qu’on en dise. Le traumatisme est différent, l’héritage est dans la chair. Il est direct. En tant que séfarade, je l’ai toujours ressenti ainsi.

 

Actu.J. : Cet été, vous étiez en tournée comme chanteuse. On va bientôt découvrir votre prochaine réalisation, « Au bout du conte », dont le sujet aborde le besoin de croire. Aujourd’hui, c’est l’actrice que nous rencontrons. Quel est le lien ?

 

A.J. : Le plaisir du rythme vécu différemment, même si je trouve ces métiers très liés. La pratique et les univers dans lesquels je me promène sont distincts, c’est ce que j’aime. Mais le goût, le sens, la puissance du rythme relient toutes ces activités.

 

Propos recueillis par Robert Sender

 

http://www.actuj.com/culture.html

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