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Auschwitz et le pardon

Auschwitz et le pardon

 

J'ai perdu ma mère et ma sœur dans la chambre à gaz d'Auschwitz-Birkenau et mon père est mort désespéré, en juillet 1945.

Moi-même, j'avais 11 ans quand, le 17 mars 1943, les nazis m'ont pris, jeté dans un cachot, la cave de la Gestapo avenue Louise à Bruxelles, puis dans une grande prison, la Caserne Dossin à Malines, le Drancy belge. Un mois plus tard, le 19 avril 1943, ils m'ont mis dans un wagon à bestiaux du 20e Convoi vers Auschwitz. Par miracle, j'ai sauté du train et échappé à la mort. Et tout cela pourquoi ? Parce que mes parents étaient nés Juifs.

Il m'a fallu 60 ans pour raconter le drame de mon enfance (L'enfant du 20e convoi, éd. Luc Pire, 2002, rééd. Renaissance du Livre, 2013). Il a fallu soixante ans à Koenraad Tinel pour raconter le sien, son histoire de fils d'un nazi flamand. Il l'a fait courageusement par des dessins extraordinaires dans un livre qu'il a intituléScheisseimer (Lannau, 2009) ; c'est un artiste, dessinateur et sculpteur.

 

 

LE PARDON

Son père adorait Hitler. Il envoya ses deux fils aînés dans les Waffen SS, le plus grand au front de l'Est, l'autre âgé de seize ans et demi, trop jeune pour allercombattre, dans la Flämisch Wachzug (Garde flamande), auxiliaire de la Gestapo, gardien des camps de Breendonk et de Malines. Heureusement, Koenraad n'avait que 6 ans quand Hitler est entré en Belgique, sinon il aurait imité ses frères. Il a complètement rejeté l'idéologie de son père.

Nous nous sommes rencontrés par hasard en février 2012. Un garçon de 16 ans que je ne connaissais pas mais qui connaissait nos deux histoires, nous a réunis. Koen m'a dit à ce moment: "Quand j'ai lu votre histoire, j'ai pleuré." Je lui ai répondu : "Les enfants des nazis ne sont pas responsables." Une grande amitié est née entre nous. Nous étions deux enfants écrasés par une guerre à laquelle nous ne comprenions rien, chacun d'un côté de la barrière, moi du côté des victimes, lui du côté des bourreaux.

Pendant soixante ans, il a porté en lui le poids de la faute de son père. Notre douleur n'est pas comparable mais je comprends la sienne. Il s'en est libéré d'abord par son livre Scheisseimer, ensuite par notre amitié.

Nous en avons fait un livre : Ni victime, ni coupable, Enfin libérés (Renaissance du Livre, 2013): j'ai écrit, Koenraad a dessiné. En janvier, Koenraad m'a dit : "Mon frère connaît ton histoire, il veut te voir", ce frère, gardien à la Caserne Dossin quand j'y étais détenu, qui m'a conduit à la pointe de son fusil dans le wagon de la mort.

Il regrettait donc ce qu'il a fait et me demandait pardon.
Quand je l'ai vu, nous sommes tombés dans les bras l'un de l'autre sans mot dire, en pleurs.  Je lui ai pardonné uniquement en mon nom personnel, pas au nom des autres victimes et j'ai pardonné à lui seul, pas à tous les nazis. Je l'ai fait surtout pour moi car je m'en sens transcendé.

Le pardon ne signifie pas l'oubli. Au contraire, il donne à la mémoire un plus grand relief, une plus grande dimension. La mémoire est essentielle: il faut connaître la barbarie d'hier pour défendre la démocratie d'aujourd'hui. La démocratie est un combat de tous les jours.

L'amnistie est inadmissible : c'est une mesure collective aveugle qui exonère tous les coupables sans qu'ils doivent se repentir.
Le pardon est une vertu religieuse. Pour les bouddhistes, c'est un acte de sagesse libératrice.
Plus grand est le crime, plus grand est le pardon.

Certains disent qu'ils ne pourraient pas pardonner : - cette affirmation n'a pas de sens car ils n'ont jamais été sollicités comme je l'ai été et il est peu probable qu'ils le soient un jour ; mais si cela leur arrivait, que feraient-ils ? - 70 ans après, ils souffrent encore de leurs blessures et de leur ressentiment alors qu'il faudraitaimer la vie et croire au bonheur, par respect pour les proches disparus.

Quand le coupable se repent et demande pardon, la victime non seulement peut mais doit pardonner car le refuser c'est entretenir la haine des deux côtés. Certains critiquent mon amitié pour Koenraad et mon pardon à son frère.
Ils veulent maintenir les enfants et descendants des victimes et ceux des coupables en deux camps ennemis, séparés à jamais.

Ce sont souvent des victimes du nazisme. C'est normal, ils ont subi de terribles traumatismes dans leur chair et dans leur âme. Mais ils se figent ainsi dans leur posture victimaire, enfermés dans leur amertume.
Ne songent-ils pas trop à leur douleur, pas assez à celle des autres ? Certains, nés après la guerre et qui n'ont pas subi la Shoah, ne sont pas les moins haineux.

Un tel schéma est la voie ouverte à de nouvelles haines, de nouvelles guerres, de nouvelles souffrances pour nos enfants.
Ce n'est pas car enfants des victimes et enfants des coupables porteront encore longtemps, pendant des générations, inconsciemment, les stigmates du mal absolu, qu'il faut les maintenir dressés les uns contre les autres.
Il ne faut pas séparer les hommes mais les rapprocher, il faut aller vers l'autre, pour progresser et grandir ensemble, pour un monde meilleur, de paix et de respect mutuel. Ceci est un message d'espoir et de bonheur.
Moi qui ai perdu ma famille par la haine criminelle, je n'ai pas de haine. Malgré les événements tragiques d'hier et d'aujourd'hui, car aujourd'hui encore dans le monde il y a des peuples qui souffrent, des hommes qui souffrent, je garde ma foi dans l'avenir car je crois en la bonté humaine.

Vive la paix et l'amitié entre les hommes !

 

Gronowski Simon (Avocat)

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