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Chômage, misère… comment l’immolation devient le seul moyen de se faire entendre

 

Chômage, misère… comment l’immolation devient le seul moyen de se faire entendre

 

Réaction désespérée à la crise sociale, l’immolation publique est de plus en plus fréquente. Pour tenter de comprendre ce geste, nous sommes allés à la rencontre de victimes et d’un psychiatre spécialiste du suicide.

On ne retient que les sacrifices qui ont changé l’histoire. Le 17 décembre 2011, le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s’immole par le feu, et c’est toute la Tunisie qui s’enflamme. Ce geste désespéré fut un des détonateurs des révolutions arabes. En 1969, l’étudiant tchèque Jan Palach s’immolait par le feu pour protester contre l’occupation soviétique. Il devint un symbole de la contestation qui aboutit à la Révolution de velours en 1989. Mais il est des pays où chaque semaine un homme brûle quasiment dans l’indifférence. Une soixantaine de Tibétains se sont immolés publiquement depuis mars 2011 pour protester contre la main-mise chinoise. En Algérie, des dizaines de personnes se sont immolées ou auraient tenté de le faire depuis le début de l’année. Sans que le pouvoir ne bouge.

Un ultime geste de dignité

Chômage et misère sont le terreau d’un désespoir provoquant un acte d’une violence inouïe. En Israël, Grèce, Palestine, pays traversés par des mouvements de protestation profonds, les immolés deviennent des symboles. En France, on dénombrerait plus d’une dizaine de cas, ou de tentatives, depuis janvier – en excluant celles liées à des problèmes intimes (il n’y a pas d’observatoire du suicide en France). Marqueur d’un dénuement et d’un isolement profonds, l’immolation publique est un ultime geste de dignité. On brûle pour un logement, un RSA, un emploi, pour se faire entendre d’une administration débordée, dernier interlocuteur avant le vide.

Ces torches humaines provoquent effroi et saisissement. En août, un homme de 51 ans est mort après s’être immolé dans les locaux de la Caisse d’allocations familiales de Mantes-la-Jolie (Yvelines). Des documents manquaient, il ne touchait plus son RSA. En septembre 2011, la prof de maths Lise Bonnafous s’est immolée dans la cour du lycée Jean-Moulin de Béziers. La direction de l’établissement la décrira comme dépressive, en proie à des difficultés avec ses élèves. Une version réfutée par ses proches. Les administrations concernées par les immolations ont tendance à renvoyer cet acte à la sphère privée ou à la folie, contribuant à dessiner une image monstrueuse de l’immolé que renforce la destruction du corps. Paradoxe pour la patrie du sociologue Émile Durkheim, la France a du mal à regarder le suicide comme un fait social.

“Les autorités nient ou occultent les torches humaines car elles comprennent qu’il s’agit, entre autres choses, de l’expression la plus désespérée du conflit social, l’un des indices des crises économiques et du politique, de son éloignement des citoyens”,explique l’anthropologue italienne Annamaria Rivera.

Le 26 mars 2012, au Pôle emploi de Dieppe, un homme de 40 ans radié des listes s’est aspergé d’essence. Depuis, dans le département voisin de Haute-Normandie, toutes les agences Pôle emploi se sont dotées de couvertures antifeu.

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