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Chypre : notre amie, notre alliée

La limite des Zones Economiques Exclusives(ZEE)

Chypre : notre amie, notre alliée (info # 011804/16)[Analyse]

Par Stéphane Juffa © MetulaNewsAgency

 

En 1974, l’Armée turque lançait l’opération Attila contre la Garde Nationale, regroupant les combattants cypriotes grecs. La décision d’Ankara d’intervenir faisait suite à un coup d'Etat contre le président Makarios, ourdi par des officiers grecs, avec l'aide de la faction armée de l'EOKA cypriote, un mouvement qui souhaitait réaliser l'Enosis – le rattachement de Chypre à la Grèce.

 

Suite au refus du commandement de l’Armée grecque d’intervenir sur l’île face aux Turcs, l’affrontement entre l’Armée ottomane et la Garde Nationale est terriblement disproportionné. En quelques jours, les envahisseurs s’emparent de trente-huit pour cent du territoire insulaire.

 

Des centaines de personnes perdent la vie lors du conflit et deux mille individus sont toujours portés disparus. 200 000 Cypriotes grecs sont contraints de fuir vers le Sud, tandis que 60 000 Turcs font le voyage en sens contraire, en direction de la portion de l’île désormais contrôlée par l’Armée turque.

 

En 1983, Ankara fonde la République Turque de Chypre du Nord (RTCN), dans laquelle vivent aujourd’hui 300 000 Turcs sunnites. Parmi ceux-ci, 92 000 colons envoyés d’Anatolie afin d’étoffer la présence tuque sur l’île, qui compte, en tout, environ un million cent cinquante mille habitants.

 

La RTCN n’est reconnue que par Ankara, elle est soumise à différentes sanctions, et notamment l’interdiction de desserte par les compagnies aériennes internationales. Pour pallier à un manque chronique de ressources, le régime d’Erdogan injecte trente pour cent du budget annuel de l’entité septentrionale, et finance l’entretien des hôpitaux et la construction de routes.

 

De plus, l’économie de la RTCN repose en grande partie sur le million de touristes qui la visitent annuellement de même que ses nombreux casinos, sur des dizaines de milliers d’étudiants, principalement turcs, qui fréquentent son université, et sur la présence de dizaines de milliers de militaires d’Ankara, qui protègent son territoire face à la menace d’une agression terriblement improbable en provenance du Sud.

 

Depuis 2004, Chypre fait partie intégrante de l’Union Européenne. Cela n’inclut pas la RTCN, que l’UE, comme d’ailleurs l’ensemble de la communauté internationale, considère comme un "territoire occupé". Ce qui n’empêche pas les Cypriotes turcs de pouvoir voter aux élections européennes.

 

De nombreuses tentatives de rapprochement ont eu lieu entre les deux communautés, notamment sous l’égide de l’ONU, de l’UE et des Etats-Unis, mais elles se sont toutes soldées par des échecs. En 2004, le plan Annan pour la réunification, négocié par l’ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, est soumis à référendum dans les deux parties de l’île. Il est accepté à 65 % côté turc, et rejeté, à 70 %, côté Sud.

 

L’espoir d’une réunification a refait surface à partir de mai 2015, lorsqu’une nouvelle tentative de médiation de l’ONU a permis l’ouverture de négociations sérieuses entre le Président cypriote grec, Nicos Anastasiades, et son homologue turc, fraichement élu, Mustafa Akinci.

 

En fait, on n’a jamais été aussi près d’une solution pacifique, ce qui a amené M. Anastasiades, au récent forum économique de Davos, à affirmer : "Je pense que 2016 pourrait être l’année où nous mettrons fin à un statu quo inacceptable". Le président de la République de Chypre n’avait pas été démenti par Mustafa Akinci. On parle même d’un référendum à l’automne.

 

Mais l’avenir de l’île n’est pas encore scellé ; avant qu’une solution puisse être à nouveau soumise aux électeurs des deux communautés, il faudra que le projet d’Anastasiades soit indirectement entériné lors des élections législatives prévues le 22 mai prochain. Reste aussi à résoudre des questions épineuses, au premier rang desquelles la sécurité. On devra également trouver des garants pour l’accord, s’entendre sur le pourtour définitif des deux zones, sur la restitution des biens et des propriétés des personnes déplacées, sur le retour chez elles d’une partie de celles-ci, et obtenir le retrait de l’Armée turque.

 

Là, on touche à l’aspect stratégique de la réunification : si les Cypriotes devaient s’entendre uniquement entre eux, on pourrait parier sur le succès de leur entreprise, mais le dernier mot appartient à Erdogan, qui conçoit les choses à une autre échelle.

 

C’est aussi là qu’interviennent les relations spéciales qui unissent Chypre et Israël, et qui font d’eux les meilleurs alliés de la région. Ensemble, dès 2010, Nicosie et Jérusalem ont convenu de la limite de leurs Zones Economiques Exclusives (ZEE) ; c’est extrêmement simple, elle passe exactement au milieu de la distance séparant les deux pays.

 

C’est une zone où les fonds marins regorgent de conséquentes réserves de gaz et de pétrole, que les deux Etats exploitent et surveillent en étroite collaboration. Or cela irrite Ankara au plus haut point, et Erdogan ne reconnaît pas le droit de la République de Chypre sur cette zone, et compte lui interdire d’effectuer des forages comme elle l’entend, prétendant qu’ils se font au détriment de la minorité turque de l’île.

 

Peu après la première visite d’un président cypriote en Israël, c’était en mars 2011, la Turquie a envoyé un soi-disant navire de recherches sismiques dans le bassin oriental de la Méditerranée. Il comptait en fait tester le degré de détermination de Nicosie et Jérusalem. Il fut servi ! A en croire la presse turque, des chasseurs bombardiers à l’étoile de David survolèrent l’entièreté de l’île, y compris la RCTN. Furieux, le demi-dictateur islamiste alla jusqu’à brandir la menace d’un conflit armé ; mais rapidement refroidi par son état-major, il rappela au contraire le bâtiment de recherche.

 

Depuis, les relations militaires israélo-cypriotes n’ont fait que se renforcer. Elles ont principalement pour objectif de sécuriser le secteur des forages contre de possibles agressions turques ou terroristes. Parallèlement, l’Etat hébreu veille à la sécurité de la République de Chypre, qui fait toujours face à des dizaines de milliers de soldats ottomans.

 

Un mois après l’incident, la presse de Nicosie narrait par le détail les péripéties d’un exercice militaire conjoint, à l’occasion duquel des chasseurs-bombardiers israéliens, de même que des hélicoptères d’assaut, effectuèrent des atterrissages sur les aéroports de l’île. En 2013, Jérusalem reçut l’autorisation de stationner en permanence des appareils sur l’aéroport de Paphos, en en faisant la première base militaire à l’extérieur des frontières d’Israël. Cela signifiait du même coup la fin de l’hégémonie militaire turque sur l’île d’Aphrodite.

 

La même année, de vastes manœuvres maritimes communes furent organisées dans la zone des plateformes de forage. Le 11 février 2014, les deux alliés lancèrent l’exercice "Onisilos-Gidéon" ; il se déroula à l’intérieur de la FIR de Nicosie, la région d’information de vol civile délimitant un espace contrôlé. 38 avions hébreux, dont des F-15 et des F-16 y participèrent, simulant notamment des attaques d’objectifs au sol entre Larnaka et Paphos.

 

La coopération entre les deux pays ne se limite pas aux forages et à l’alliance militaire ; Elle touche une infinité de synergies économiques, médicales et de protection de l’environnement. Elle prévoit également l’immersion du plus long câble électrique sous-marin au monde, l’EuroAsia Interconnector. D’une longueur totale estimée à 1 000 kilomètres, atteignant parfois des profondeurs de l’ordre de deux kilomètres, il reliera le réseau électrique israélien à celui de Chypre, puis à l’île de Crète, depuis lequel le courant empruntera un câble existant jusqu’en Grèce, à partir de laquelle le câble sera raccordé au réseau européen, notamment par l’Italie et la Suisse, la Bulgarie et la Serbie. La première section,  Hadera (Israël)-Vasilikos (Chypre), mesurera 329 kilomètres, et coûtera l’équivalent d’1.325 milliards d’euros, dont une partie sera prise en charge par l’Union Européenne, dans le cadre de son programme Connecting Europe Facility(CFF).

 

D’une part, ce câble, d’une capacité de 2 000 mégawatts dans chaque direction – on prévoit déjà d’en doubler la capacité – va désenclaver les îles naturelles ou politiques que sont Israël, Chypre et la Crète. Il permettra de réguler la production électrique en vendant les surplus de courant lorsqu’ils ne seront pas localement nécessaires, d’en importer, depuis l’Europe si besoin est, en période de haute consommation, le tout sans avoir à débourser des sommes colossales pour construire des centrales électriques qui ne tournent à plein régime que quelques jours par an.

 

D’autre part, l’EuroAsia Interconnector pourrait permettre à Chypre et Israël de transformer le gaz naturel qu’elles exploitent en électricité et de fournir de l’énergie sous cette forme, plutôt que dans des gazoducs. Cela aurait notamment l’avantage de pouvoir se passer des services du Sultan, qui compte sur un conduit de gaz sous-marin passant par la Turquie pour acheminer les produits des forages israélo-cypriotes en direction de l’Europe.

 

Son autre intérêt à voir les négociations sur la réunification cypriote se concrétiser tient à son désir de voir son pays accepté au sein de l’Union Européenne. Or, en attendant que cela soit finalisé, la République de Chypre, membre de l’UE, s’oppose farouchement à l’adhésion d’Ankara. Un refus qui a poids de veto.

 

L’alliance aussi solide que discrète entre Chypre, Israël et la Grèce d’Aléxis Tsipras, au-delà des intérêts économiques et militaires évidents, a pour elle le partage des mêmes valeurs de démocratie, d’Etat de droit, de respect de la personne et, n’hésitons pas à le mentionner, de rejet des croyances barbares et expansionnistes qui les jouxtent géographiquement et les menacent.

 

La Turquie, elle, balance entre la barbarie et la civilisation. Permettre la réunification de Chypre la ferait sans doute basculer du bon côté du monde, la forçant à s’éloigner de l’Iran et des forces djihadistes avec lesquelles Ankara se compromet. La normalisation de ses relations avec Israël – les discussions ne sont pas interrompues – faciliterait le processus à Nicosie. Car l’essentiel, pour les Grecs de l’île d’Aphrodite, grâce à leur lien solide avec Jérusalem, consiste en cela que, sur les plans de l’énergie et de la sécurité, la réunification peut se discuter sereinement et pas à n’importe quel prix. Ce qui fait immanquablement penser aux pourparlers entre Israël et la Turquie. Si cette dernière s’entête à réclamer des aménagements pour Gaza qui mettraient des Israéliens en danger, nous transporterons le pétrole et le gaz par câble électrique. Il ne restera plus à Recep Erdogan qu’à organiser des bals masqués islamiques dans le gigantesque château qu’il s’est fait édifier. Jusqu’à ce que les Turcs, lassés, finissent par le passer à la Guillotine.

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