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Georges Bensoussan: « L'exode des Juifs des pays arabes, un véritable nettoyage ethnique par la peur »

Georges Bensoussan: « L'exode des Juifs des pays arabes, un véritable nettoyage ethnique par la peur »

 

C'est ce lundi 30 novembre qu'a lieu en Israël la commémoration annuelle de l'expulsion des 850 000 Juifs des pays du monde arabo-islamique à partir de la fin de la Seconde guerre mondiale. Auteur d’une somme sur le sujet,"Juifs en pays arabes, le grand déracinement.1850-1975 (Tallandier, 2012)", l'historien Georges Bensoussan analyse les ressorts d’un épisode majeur de l’histoire juive contemporaine.

 

Actualité Juive : Quelles sont les principaux facteurs du « grand déracinement » des Juifs en pays arabes ? 

Georges Bensoussan : Le facteur numéro un est l’émancipation des Juifs, réalisée tout au long du XXe siècle d’abord dans les têtes, en particulier par l’école, mais pas dans la loi. Elle s’est doublée souvent d’une occidentalisation liée au processus colonial. Les colonisateurs ont été perçus comme des libérateurs par les minorités juives en pays arabes, les libérateurs d’un statut d’oppression. Cette émancipation et cette libération progressives des Juifs, au moins psychiquement, sont apparues insupportables à l’économie psychique du monde arabo-musulman, en particulier au droit musulman qui fonde l’infériorité du Juif – considéré comme un « dhimmi » – comme une condition permanente et non négociable. 

 Du fait de la colonisation et de l’éducation, les Juifs se libèrent de cette violence arabe, et en particulier de cette violence codifiée par l’islam. C’est à partir de ce moment que la libération du juif apparaît intolérable. Les Juifs vont être qualifiés dans les années 1920 d’« arrogants », traduire se prenant pour l’égal des musulmans, alors que le droit musulman tout entier stipule que le Juif est un inférieur.

Le facteur numéro un du divorce n’est pas par conséquent la création de l’Etat d’Israël. Cette idée est une vision de myope. On peut l’assimiler à l’affirmation selon laquelle l’Etat d’Israël a été créé suite à la Shoah. Israël n’a rien à voir avec la Shoah, mais est un enfant du sionisme.

   Il faut d’ailleurs rappeler que le mouvement sioniste n’a pas été très puissant chez les Juifs du monde arabe. Il était par exemple très faible en Irak. Or tous les Juifs de ce pays ont quitté l’Irak en 1950-1952, poussés au départ par l’atmosphère de terreur et de peur. La minorité juive en Irak était riche, diplômée, instruite, souvent très cultivée. En tant qu’élite, elle a fait l’objet d’une forme de jalousie sociale, de ressentiment des populations arabes. Surtout quand l’instruction a donné naissance à une bourgeoisie arabe diplômée : se développe alors une concurrence pour les places de médecins, d’avocats, d’ingénieurs, d’architectes, des fonctions où les juifs étaient surreprésentés. La création de l’Etat d’Israël n’est qu’un accélérateur de l’histoire. Quasiment partout, les sociétés arabes ont créé un climat de peur autour des communautés juives, sauf au Liban. 

Le second facteur, c’est la perspective des indépendances arabes. Avec la fin du colonialisme et l’indépendance arabe programmée, les Juifs ont eu peur de retrouver l’oppression d’autrefois, en Irak, en Syrie, au Maghreb, en Libye. La lune de miel entre Juifs et musulmans en pays arabes est un mythe inventé au XIXe siècle. 

 

A.J.: Quelles sont les conséquences matérielles de ces départs ? 

G.B. : C’est une catastrophe. On assiste au départ de la quasi-totalité des Juifs du monde arabe. Sur les 900 000 ou 1 million de Juifs qui y vivaient, il en reste 4000 aujourd’hui. On peut parler d’un véritable nettoyage ethnique par la peur. Il n’y a pas eu d’expulsion sauf en Egypte, mais une incitation au départ par la peur, par le chantage et les pressions. On a rendu la vie difficile aux artisans et aux commerçants. On a tout fait pour les faire partir. 

   Dans la majorité des cas, les Juifs ont vu leurs biens saisis par l’Etat. C’est une spoliation difficile à calculer mais immense, probablement équivalente à plusieurs milliards de dollars. Les spoliations ont été très importantes en Libye, en Syrie et en Egypte. Mais c’est surtout en Irak que la spoliation a été la plus importante, ce fut le vol de la communauté juive la plus riche du monde arabe. Les Juifs irakiens ont vu leurs biens bloqués, y compris leurs comptes bancaires ; ils n’ont pu souvent partir qu’avec 50 dollars en poche. Des pillages ont été menés, des Juifs ont été enlevés par la police et libérés en échange d’une rançon. On a vu des femmes se faire dévaliser leurs bijoux à l’aéroport. Même si vous parveniez à liquider votre usine ou votre logement, vous le faisiez à perte. Il suffisait pour les Arabes d’attendre que les prix chutent. Le temps jouait toujours contre les Juifs.

 

"De manière très étonnante, les Israéliens ont fait profil bas sur la question"

A.J.: Quelles sont les destinations vers lesquelles vont se tourner les Juifs quittant les terres arabes ? 

G.B. : Les trois quarts vont s’installer en Israël, avec des diversités en fonction des pays. En Tunisie, la population se répartit de manière égale entre Israël et la France. En Algérie, 90% choisissent la France et 10% Israël. Au Maroc, le rapport est de 75% pour Israël et 25% pour la France et le Canada. Les Juifs irakiens rejoignent Israël, même si certains partiront ensuite vers l’Angleterre. Un pourcentage important de Juifs égyptiens a choisi Israël, mais d’autres ont rejoint la France, l’Italie ou l’Angleterre. De manière générale, les plus pauvres allaient en Israël et ont connu de graves problèmes d’intégration, en particulier les Juifs marocains. 

A.J.: Quelle a été la position israélienne sur cette question dans les années 1950 et 1960 ?

G.B. : De manière très étonnante, les Israéliens ont fait profil bas sur la question, même s’ils ne l’ont pas totalement négligée. Ils ne l’ont pas utilisée dans les négociations pour réclamer des réparations pour les réfugiés juifs spoliés. Cela change aujourd’hui. Je pense que c’est probablement dû notamment au manque de sensibilité des instances dirigeantes israéliennes d’origine ashkénaze à ce déracinement, bien que quelqu’un comme David Ben Gourion ait été très conscient de cette tragédie. Peut-être également n’a-t-on pas voulu, en évoquant le départ forcé des Juifs du monde arabe, voir soulever dans la communauté internationale la question des réfugiés palestiniens. 

 

*Juifs en pays arabes, le grand déracinement.1850-1975 (Tallandier, 2012)

 

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