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Hanouna, le rigolo qui a ringardisé Denisot

Hanouna, le rigolo qui a ringardisé Denisot

 

 

 

Chaque soir, en décongelant le dîner ou en baignant la petite, 1 million de téléspectateurs rient de le voir s'esclaffer. Son humour sans prétention a donné un coup de vieux au Grand journal de Canal+.

 

Iznogoud a gagné. Coup sur coup, Michel Denisot et Michel Drucker, les deux califes du PAF, ont dû en rabattre devant la barbe courte et le rire désarmant de Cyril Hanouna. La tête de gondole du groupe Canal, c'est lui. L'espoir de la rentrée 2013 d'Europe 1, c'est encore ce messie qui se contentait jusqu'alors d'un 6-9 heures sur Virgin Radio. Qui ? Hanouna. Qui ça ? Allô ? 

Un velu tordant qui reçoit dans sa loge tel un ressort, assis, debout, assis, debout, et se poile de vos vannes involontaires aussi bruyamment que des siennes, en tapant sur la table basse, sur ses cuisses ou sur votre épaule. Un mec « normal », au sens françoishollandien du terme, c'est-à-dire un ambitieux furtif, qui vous amadoue en s'avouant « dégoûté » d'avoir perdu 6 points pour feu rouge grillé et excès de vitesse, mais que l'on recalcule le jour où il a mis les clés du pouvoir dans la boîte à gants de sa Smart, quand il est trop tard. 

Le héros de la pop culture française est cet ex-ado branleur qui, après chaque direct, s'inquiète du jugement parental et consulte, dès 9 heures pétantes comme les grands pros, les audiences de la veille. Un petit juif tunisien des Lilas qui a choisi d'installer H20, sa maison de production, dans le triangle d'or parisien, rue François-Ier. Avec 4,8 % de part d'audience chez les 4 ans et plus, et 8,6 % chez les CSP +, l'Audimat d'avril a fait entrer Hanouna dans la cour des lurons bancables, sacré par le magazine Stratégies. Au poker aussi, qu'il pratique comme un second métier sous l'égide du site mypok.fr, Cyril Hanouna est du genre filou : il s'avance camouflé en fish (« novice ») pour mieux piéger les sharks (« caïds ») qui débarquent en Porsche Cayenne et repartent en métro. 

A première vue, l'émission qui l'a fait star à 38 ans n'a rien de subversif. «Touche pas à mon poste»  («TPMP») est un talk-show grand public diffusé sur D8, une des 25 chaînes de la TNT, rachetée à Bolloré par le groupe Canal + en 2012. Un access prime time à mater le portable à la main, pendant le bain de la petite, un œil sur les devoirs, une oreille à l'affût du bip-bip du micro-ondes. « Un programme pas impliquant », classe Philippe Bailly, expert en télé à NPA Conseil. « Sans trop de vulgarité », ajoute François Jost, penseur de la télévision.

 

 

CONTRE LA DÉRIVE INTELLO-CHIANTE

La bible de «TPMP» tient en une ligne : huit chroniqueurs blablatent sur les programmes télé de la veille et du lendemain. Et s'esclaffent. Les footeux refont le match, les journaleux refont le monde, Hanouna et sa bande refont la télé pendant quasiment deux heures, avec tout le respect dû à leurs anciens et futurs employeurs. 

« J'en ai ras le cul des gens qui parlent de télé trop sérieusement. Je voulais vraiment que "Touche pas à mon poste" soit un divertissement où on parle de télé comme peuvent le faire les téléspectateurs entre eux », résume Hanouna, visant la dérive intello-chiante d'un théoricien abscons nommé... Jean-Marc Morandini. « Ce n'est pas une émission d'humour mais d'humeur », précise-t-il encore, désarmant cette fois les snobs qui le trouvent moins spirituel que Laurent Ruquier. 

N'en déplaise à Alain Finkielkraut, éternel contempteur de la niaiserie revendiquée, les seules exigences du programme hanounesque s'expriment en part d'audience et part de marché. « Quand j'étais petit, je me dépêchais de rentrer de l'école pour regarder Dechavanne », raconte ce garçon qui s'ennuyait en classe et n'hésite pas à s'en vanter. Les téléspectateurs amateurs de citations, égarés ici, se contenteront de l'anthologie des slogans publicitaires (« Petit mais costaud », « Laissez le charme agir », etc.) gravés dans le cortex d'un enfant de la télé des années 80 qui a redoublé dans les années 90.

 

 

PAS DRÔLE ? MIEUX VAUT EN RIRE

Toutefois, contrairement à Sébastien Cauet, qu'il n'aime pas, ou à Michaël Youn, qu'il aime bien, Hanouna ne milite pas par principe contre l'intelligence. Au contraire, « grand fan de Philippe Bouvard », l'animateur invite ses grosses têtes à exposer des raisonnements, à condition de ne pas dépasser les vingt secondes. « Je leur dis : "Pour les blagues, il y a Jean-Luc Lemoine ; vous, faites de l'info. C'est l'éditorial qui prime"», expose le meneur de jeu. 

Insistant sur cette audace copernicienne au point de vouloir en faire la marque de fabrique de sa chaîne, Ara Aprikian, le directeur de D8, a pondu un concept, le « smartainement », le divertissement intelligent. Qu'on se le dise : «TPMP» chante « quand il pète, il troue son slip » à la manière de Patrick Sébastien, mais «TPMP» sait aussi se mettre « en mode bibliothèque ». Lourd et fier de l'être, mais pas trash, disent-ils. 

De fait, l'autre mardi, juste avant de faire « splasher » le nageur Alain Bernard dans une piscine gonflable (trop marrant !), Enora Malagré (blonde trop méchante mais gentille), Gérard Louvin (vieux producteur trop sympa) et François Ouisse (journaliste trop cool de Télé-Loisirs) ont mené une ardente controverse sur la rumeur qui prête à Alessandra Sublet l'intention de présenter l'année prochaine un talk-show féminin à la «Frou-frou» (affaire à suivre, mais trop intéressante, franchement). 

« On fait de l'actu légère, mais on fait de l'actu », insiste Hanouna, qui se revendique « animateur d'une émission de médias, mais pas comme "Arrêt sur images" ». A preuve, quand Libé se la joue people et consacre son portrait de dernière page à Nabilla («Allô, quoi !»), une bronca se lève du plateau de «TPMP» pour reprocher au quotidien, « qui n'est plus ce qu'il était » (sérieux ?), d'avoir bâclé son enquête. 

«Touche pas à mon poste», syncopé de fous rires et d'applaudissements plus ou moins spontanés, est une émission miroir qui déculpabilise le zappeur immergé dans la médiocrité télévisuelle : premier, deuxième ou huitième degré, la nouvelle télé se consomme au gré des envies et des disponibilités intellectuelles. Si vous avez honte de reluquer avec les enfants une fausse Britney Spears exécutant une chorégraphie lascive, dites-vous que ce string rose, « c'est juste une blague ». C'est drôle ? Alors, rions. Pas drôle ? Mieux vaut en rire. 

Empathie, parodie ou autoparodie ? Le nouveau Guy Lux grignote l'audience de M6 et des jeux de TF1 et de France 2, mais aussi du «Grand journal», l'émission tristement institutionnelle de Canal + qui était le Graal des politiques sachant glousser, des penseurs sachant tchatcher et des journalistes en cour. 

Le 1er mai, le décryptage antiraciste moralisant de Yann Barthès en marge du défilé de Marine Le Pen n'a pas fait le poids face aux pitreries de Cyril Hanouna. Il a fallu repousser «Le petit journal» après la fin de «TPMP» pour lui redonner des couleurs ! Officiellement, Ara Aprikian se réjouit : «Jamais le groupe Canal n'avait atteint 20 % de part de marché. » Officieusement, la chaîne cryptée se demande si elle n'a pas créé un monstre (lire l'encadré). 

 

IL S'INSPIRE DE... CHIRAC

Revenu basané d'une semaine plage-tennis-poker dans un palace marocain, le bateleur Sentier chic habillé par Sandro et The Kooples a le triomphe modeste. En 2003, le crash de sa matinale sur M6 l'a renseigné sur la vanité des modes audiovisuelles : qui sait s'il devra renoncer demain à ses 15 000 € mensuels et aux jolis bonus ? 

« Si ça se trouve, dans cinq ans, je serai expert-comptable », répond-il encore à ses parents bosseurs, Ange et Esther, respectivement généraliste aux Lilas et gérante d'une miniboutique de fringues multimarques à Vincennes. Ayant soutenu le candidat Hollande « pour ses petites réformes, le mariage gay, tout ça », et néanmoins plaidé en faveur de Gérard Depardieu quittant la France pour échapper à l'imposition de 75 %, Hanouna s'inspire avant tout du modèle Jacques Chirac : 

« Les gens l'aiment pour son physique. S'il a battu Edouard Balladur puis Lionel Jospin, c'est pas pour ses idées. » Quand la crise déchire la société, cloisonne en castes, incite les meilleurs d'entre nous à confondre survie et sauvagerie, le quasi-quadra entraîne les vieux, les jeunes, les gros, les maigres, les prolos et les cadres dans la Danse de la sardine, reprise tricolore du tube planétaire Gangnam Style. 

Le jeune Cyril sur son plateau, comme le grand Jacques jadis au Salon de l'agriculture, embrasse les adolescentes, caresse le menton des mamies et s'exclame : « C'est magnifique ! » Sympa, tout un programme. Le nouveau calife a le mérite d'y avoir pensé. 

 

ET PENDANT CE TEMPS-LÀ... "LE GRAND JOURNAL" PASSE DE MODE 

Jusqu'à la semaine dernière, Michel Denisot avait pris l'habitude de se dresser sur un mot talonnette : «statutaire». Rabâché dans les réunions internes par l'animateur du «Grand journal» et son producteur, Renaud Le Van Kim, repris par les médiologues admiratifs, cette boursouflure puisée dans le glossaire du marketing devait hisser le fameux talk-show au-dessus des émissions vulgaires. 

Y paraître, c'était en être. Y chroniquer, c'était non seulement dominer les dominants de l'édition, du cinéma et de la chanson, mais aussi faire chanter des élus de moins en moins dominateurs. Lundi 20 mai pourtant, l'émission «statutaire» a perdu son statut. Entre 19 h 8 et 20 h 18, «Touche pas à mon poste» a réuni 1,41 million de téléspectateurs, contre 1,37 million pour «Le grand journal» - très loin derrière les audiences de TF1 et de France 2. 

Après des semaines d'érosion douce de l'audience, ce croisement des courbes sonne «comme un coup de tonnerre». Sans l'excuse du Festival de Cannes, Canal + exigerait de Denisot qu'il assume pleinement cet échec et se retire de la vie médiatique après la fin de la saison... 

Un mythe s'effondre ainsi, qui prétendait dévoiler la comédie du pouvoir à coups de vidéos moqueuses (un slogan creux, un stylo empoché, une glissade...), mais aussi faire découvrir un chef-d'œuvre entre hi-hi-hi et clap-clap-clap. L'abus d'insolence, qui épargnait les oligarques et les people, a fini par dégrader «Le grand journal», devenu carrefour de tous les conformismes. 

La fausse camaraderie d'une bande déchirée, à la longue, suscite une gêne. Soudain, ce «must» est passé de mode, ramené au rang d'émission d'accueil dont les animateurs sont tenus de traiter les vedettes avec égard pour ne pas déplaire aux communicants tyranniques et volages. Pour autant, l'explication du «20 mai» de Denisot est peut-être moins dans la qualité intrinsèque du «Grand journal» - et du «Petit» - que dans la mutation du PAF. 

Quand la télé elle-même perd son rang, concurrencée par les autres écrans, lorsque les spectateurs s'émancipent des robinets à programmes au profit des vidéos à la demande et d'Internet, lorsque les annonceurs radinent pour tous les supports excepté la radio, faut-il incriminer un patriarche à peine âgé de 68 ans ?

Marianne.fr

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