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Kol Nidré : le cantique, son histoire et ses légendes

Kol Nidré : le cantique, son histoire et ses légendes

 

La téfila de Kol Nidré est sans le moindre doute l'un des moments les plus émouvants de la journée de Yom Kippour grâce à sa mélodie très poignante, plus populaire encore que la prière elle-même. Parmi les Juifs qui ne fréquentent pas régulièrement la synagogue, nombreux sont ceux qui mettent un point d'honneur à assister à cette introduction au rituel du jour le plus saint de l'année. Et pourtant, ce texte est somme toute très « sec », puisqu'il s'agit d'une formule juridique d'annulation des vœux prononcés par toute la communauté, à l'instar de la fameuse « hatarat nédarim » récitée la veille de Roch Hachana. Comment ces quelques phrases, en partie en araméen, sont-elles donc devenues une véritable pièce maîtresse de la liturgie juive ? La légende raconte que des compositeurs de renommée mondiale, comme Beethoven lui-même, se rendaient une fois par an à la synagogue pour assister à ce moment liturgique.
On ne sait rien de l'auteur de ce texte et son identité est sujette à spéculation. Même la date de la rédaction de ce cantique n'est pas certaine. Le premier texte recensé du Kol Nidré est écrit par rav Amram Gaon, dans son Ma'hzor, dans lequel il ne cite cette prière que pour affirmer qu'il s'agit d'une « coutume sotte » (Minhag Chtoute), suivant ainsi l'opinion de Rav Natronaï Gaon, de Rav ‘Haï bar Na’hchon de Soura et d'autres Guéonim qui craignaient que le public ne voie dans ce texte une autorisation à formuler des vœux sans véritablement avoir l'intention de les réaliser. Rav Yehoudaï Gaon, contemporain de cette époque, va même jusqu’à interdire l’étude du traité de Nedarim tandis que rav Saadia Gaon, se prononce en faveur du Kol Nidré tout en limitant son usage aux vœux extorqués à la congrégation en temps de persécution.
Mais ces interdictions ou restrictions auront peu d'effet, la coutume de réciter le Kol Nidré s'étant déjà propagée un peu partout dans les communautés juives, qu'elles soient séfarades ou ashkénazes.
Selon le rav Yéhouda Ayache, dans son livre Beth Yéhouda, Alger fut d'ailleurs la seule communauté à avoir conservé pendant très longtemps le minhag de ne pas prononcer le Kol Nidré.
Le premier Kol Nidré faisait donc partie du Sidour de rav Amram Gaon. Rédigé en hébreu, il constitue vraisemblablement le texte d'origine, lu par les Juifs en Babylonie. Ce texte n'incluait que les vœux prononcés durant l'année passée. Pour empêcher que les fidèles ne considèrent avec légèreté cette interdiction de s'engager par le biais d'un Néder, Rabbénou Tam, au cours du 12e siècle, décide de changer le rite et d'annuler uniquement les vœux qui seront prononcés durant l'année à venir. Les communautés ashkénazes adoptent cette version tandis que les séfarades la repoussent. Toutefois, de nos jours, quasiment tous utilisent la version allant du Yom Kippour passé à celui à venir, en passant par le Yom Kippour présent.
Le Ma'hzor Vitry des Juifs de France du Nord et de Rhénanie ne se contente pas de citer le texte du Kol Nidré, puisqu'il enjoint également le 'hazan (chantre) à réciter cette prière sur un ton crescendo : « La première fois, il doit l'entonner très doucement, comme une personne qui hésite à entrer dans le palais du roi afin d'obtenir un présent de Lui, qu'il craint d'approcher ; la deuxième fois, il peut parler un peu plus fort et la troisième fois, encore plus fort, comme une personne qui a ses habitudes à la cour et approche son souverain comme un ami ».

Quant à la phrase d'introduction, permettant de « prier avec les transgresseurs », c'est le Maharam de Rottenbourg (13e siècle) qui en a imposé l'usage.

Plus encore que la prière elle-même, c'est la mélodie chantée par les ashkénazes qui a fait du Kol Nidré le summum de la 'hazanout de Yom Kippour.
Le Kol Nidré s'ouvre par un pneuma, le chantre énonçant les mots d'ouverture avec un long ton soupirant descendant dans les graves avant de remonter, à la manière de sanglots. Ce schéma se répète quatre ou cinq fois durant la prière.
Selon les musicologues, cette mélodie ferait partie d'une compilation de chants liturgiques réunis sous le nom de « Nigouné MiSinaï », issue des communautés d'Allemagne du Sud et composée entre les 11e et 15e siècles.
Mais une légende persistante affirme que cette mélodie si émouvante a été écrite lors d'une période très noire de l'histoire de notre peuple, celle de l'Inquisition.
En 1492, les Juifs d'Espagne sont sommés par la reine Isabelle la Catholique de choisir entre la conversion par la force au christianisme, la mort ou l'exil. Nombreux sont ceux qui se convertissent alors officiellement, mais qui, dans le plus grand secret, continuent à respecter du mieux qu'ils peuvent certaines mitsvot, et particulièrement Pourim, Pessa’h et Yom Kippour.
La reine Isabelle emploie l'un de ces Marranes : il s'agit de Da Silva, son trésorier en qui elle a entière confiance et qu'elle ne soupçonne bien entendu pas d'avoir conservé sa foi juive et continué de respecter les mitsvot.
Deux fois l'an, le soir du Séder et le soir de Kippour, bravant leurs peurs, les Marranes prennent l'habitude de se réunir dans des caves pour y prier. Deux fois l'an, ils retirent les lourdes croix en or qu'ils sont contraints de porter. Deux fois l'an, ils peuvent enfin agir en tant que Juifs.
Mais comment entamer les prières de Kippour, le jour du Grand pardon, alors que l'on s'est durant toute l'année agenouillé devant des crucifix, que l'on a fait le signe de la croix, que l'on a prié dans des églises et que l'on a mangé des nourritures interdites ? Comment se purifier et renouer la chaîne de la filiation juive ?
C'est là qu'intervient le Kol Nidré.
Son introduction d'abord : « Au nom du conseil d'en Haut et au nom du conseil d'en bas, avec le consentement d'Hachem et avec le consentement de cette sainte congrégation, nous déclarons qu'il est permis de prier avec les transgresseurs ». Les transgresseurs, ce sont eux-mêmes, les Marranes, qui s'empressent de prier le Kol Nidré à proprement dit et d'annuler tous les vœux, et tous les mensonges et tous les engagements qu'ils ont été contraints de prendre cette année alors que l’œil de l'Inquisiteur surveillait leurs moindres gestes.
Durant cette prière, les Marranes épanchent toute la douleur enfermée au plus profond de leurs cœurs. C'est ainsi qu'ils entament la journée de Yom Kippour, le cœur brisé.
Cette tradition se poursuit et en 1497, comme chaque année, les Marranes, et Da Silva avec eux, se réunissent dans une cave pour prier l'office de Kippour. Mais au moment où ils entament la Amida, les soldats de l'Inquisition, habillés de blanc, font irruption et arrêtent tous les fidèles. Ils sont immédiatement enfermés dans les cachots les plus sombres et les plus répugnants d'Espagne.
Lorsqu'Isabelle la Catholique entend que son fidèle trésorier a été arrêté, elle se tourne vers l'évêque et use de tout son pouvoir pour sauver Da Silva des flammes de l'autodafé.
L'évêque écrit alors une lettre à Torquemada, le grand Inquisiteur. Cette missive arrive juste au moment où les Marranes sont conduits au bûcher. Le bourreau annonce alors à Da Silva que selon la volonté de la reine, il est gracié, à condition bien entendu qu'il jure sur la croix qu'il sera désormais un fidèle chrétien, adepte de la foi de celle qui l'a sauvé.
Mais à la surprise de tous, Da Silva refuse. Il veut mourir en tant que Juif. Plus encore, il court vers le bûcher et s'immole lui-même par le feu par crainte de céder à la dernière minute.
Un homme est présent, parmi la nombreuse foule venue assister à l'exécution. Il est Marrane également. Compositeur, il assiste à la scène et les premières notes du Kol Nidré se jouent déjà dans sa tête, ce même Kol Nidré que Da Silva a récité quelques jours auparavant.
C'est cet air qui, jusqu'à aujourd'hui, ouvre les Téfilot de Yom Kippour. Kol Nidré, le cantique des Marranes, ces « transgresseurs » auxquels non seulement D.ieu a permis de prier, mais dont les prières prononcées dans la crainte et la peur sont montées directement jusqu'au trône divin.

La traduction du Kol Nidré

La prière de Kol Nidré est récitée en araméen. Voici une traduction de ce texte en français (rite ashkénaze) :

Au nom du conseil d'en Haut
et au nom du conseil d'en bas,
avec le consentement
de l'Omniprésent — loué soit-Il —
et avec le consentement
de cette sainte congrégation,
nous déclarons
qu'il est permis de prier avec les transgresseurs.

Tous les vœux que nous pourrions faire
toute interdiction ou sentence d'anathème
que nous prononcerions contre nous-mêmes,
toute privation ou renonciation que,
par simple parole, par vœu ou par serment
nous pourrions nous imposer,
depuis le jour de Kippour passé
à ce jour de Kippour
et depuis ce jour de Kippour
jusqu'à celui de l'année prochaine
(qu'il nous soit propice),
nous les rétractons d'avance ;
qu'ils soient tous déclarés non valides,
annulés, dissous, nuls et non avenus ;
qu'ils n'aient ni force ni valeur ;
que nos vœux ne soient pas regardés comme vœux,
et nos interdictions comme interdictions
ni nos serments comme serments

Et il sera pardonné
à toute la communauté des enfants d'Israël
et à l'étranger qui séjourne parmi eux ;
car l'erreur a été commune à tout le peuple. 

 

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