L’économie française est-elle fichue ?(info # 011010/16)[Analyse économique]
Par Sébastien Castellion© MetulaNewsAgency
Au cours de la dernière semaine, deux grandes économies européennes ont vu leurs prévisions de croissance pour 2016 modifiées. En Allemagne, première économie de la zone, les prévisions ont été revues à la hausse, de 1,7% à 1,8%. En France, désormais troisième économie d’Europe (le Royaume-Uni lui a ravi la deuxième place en 2014), elles ont été revues à la baisse, de 1,5% à 1,3%.
Il y a désormais cinq ans (de 2012 à 2016) que l’économie française croît, chaque année, moins vite que la moyenne européenne. Ce qui pouvait, en début de quinquennat, apparaître comme une difficulté passagère, semble de plus en plus clairement refléter un problème structurel, propre à la France, ou du moins plus grave chez elle que chez ses voisins.
L’écart de croissance de la France par rapport à la zone est à peu près comparable, en chiffres (0,2% à 0,4% de la richesse produite chaque année), au déficit de sa balance commerciale, qui n’a plus jamais été excédentaire depuis les toutes premières années de notre siècle. Chaque année, quelques dizaines de milliards d’euros consommés ou investis en France (entre 75 milliards en 2011 et 45 milliards en 2015 après la forte baisse des prix du pétrole) ne peuvent être financés ni par la richesse créée à l’intérieur du pays, ni par les exportations. Leur financement prend donc la forme d’une vente progressive des capitaux français – entreprises, monuments, clubs sportifs etc. – à des investisseurs étrangers.
En d’autres termes, si la France parvenait à combler son écart de croissance, elle pourrait jouir du même niveau de vie et des mêmes investissements sans avoir à se vendre, chaque année un peu davantage, par appartements. Ou, dit de manière un peu différente : si la France parvenait à exporter autant qu’elle importe, sa croissance moyenne rejoindrait enfin la moyenne européenne.
Pour comprendre les principaux obstacles qui ralentissent la croissance et la compétitivité française, on peut partir de trois pourcentages significatifs.
Le premier de ces pourcentages est 64%. C’est le nombre des habitants en âge de travailler qui sont effectivement au travail. Les autres sont étudiants, chômeurs, pré-retraités, femmes (ou hommes) au foyer ou, pour une autre raison, les personnes qui ne sont ni au travail ni en recherche d’emploi.
Le pourcentage français de participation au travail est proche de la moyenne européenne. Il est en revanche très inférieur à celui de l’Allemagne, où le même paramètre atteint 73%. Si la France avait la même participation au travail, 3 millions de Français supplémentaires seraient actifs – avec toutes les conséquences que cela comporte en matière de revenus et de capacité des individus à maîtriser leur propre vie. Nous ne vivrions pas dans le même pays.
Quelles sont les causes de ces 3 millions de travailleurs manquants ? D’abord, une formation souvent insuffisamment adaptée aux besoins des employeurs.
La formation générale dispensée par les écoles françaises met la France tout juste dans la moyenne des pays industrialisés. L’OCDE publie tous les trois ans un classement international des systèmes scolaires, en fonction des compétences moyennes acquises par un élève de 15 ans. Dans la dernière édition, parue il y a une semaine, la France est classée au 25ème rang sur 65 pays étudiés, et au 14ème rang sur 30 parmi les pays européens (l’Asie monopolise les 7 premières places du classement, suivie par des pays d’Europe du Nord comme les Pays-Bas, l’Estonie et la Finlande).
Mais surtout, la formation professionnelle a plusieurs fois été dénoncée en France pour son coût très élevé (32 milliards de dollars par an, soit 1,5% de la richesse annuelle produite) et pour sa gestion archaïque et émiettée entre une multiplicité de collectivités locales, d’associations et d’entreprises. Faute d’une organisation systématique permettant d’adapter les formations aux besoins de compétences exprimés par les entreprises, le chômage des moins de 25 ans en France est trois fois et demi supérieur à celui de l’Allemagne (24% contre 7%).
La formation n’est cependant pas la seule raison du relatif sous-emploi français. Pour les moins qualifiés, le niveau du salaire minimum réduit les possibilités d’emploi. Et pour tous, le droit du travail français n’incite pas les employeurs à recruter au-delà du strict nécessaire.
Ce droit du travail est fondé sur une séparation nette entre, d’une part, de nombreux contrats flexibles – contrats à durée déterminée (CDD), intérim, et une multitude de contrats aidés et stages, et, d’autre part, des contrats à durée (CDI) particulièrement protégés.
Grâce aux contrats flexibles, les employeurs n’ont pas trop de difficultés à remplir un besoin ponctuel, à condition que la compétence soit disponible. En revanche, il est difficile de mettre fin à un CDI : ni le fait que le licenciement améliorerait les comptes de l’entreprise, ni même le fait que l’emploi n’est plus indispensable ne suffisent à rendre ce licenciement légal, soumis au contrôle de juges imparfaitement informés et imprévisibles. Il faut, soit que l’entreprise soit menacée, soit que l’employé se rende coupable d’une faute « réelle et sérieuse » pour avoir le droit de s’en séparer.
En conséquence de cette division en deux catégories d’emplois, les employeurs hésitent à intégrer les employés engagés à titre précaire dans des conditions stables, même s’ils ont donné satisfaction. Le temps que ces employés passent entre deux affectations fait baisser le taux d’emploi du pays, détériore leurs conditions de vie et aggrave l’angoisse générale. Quant aux employés en CDI, la difficulté de les licencier conduit, d’abord, à en limiter le nombre. Ensuite, elle incite les employeurs comme les employés à créer de mauvaises relations de travail au sein de l’entreprise – les employeurs pour pouvoir évoquer la faute au moment du licenciement, les salariés, pour négocier un licenciement fictif qui les protègera mieux qu’une démission.
Le deuxième pourcentage qui explique les faiblesses de l’économie française est 57%. C’est la part de la richesse nationale qui est dépensée par les administrations (Etat, collectivités locales, sécurité sociale) et non par les ménages ou les entreprises. Par comparaison, le chiffre correspondant est de 51% en Italie, 44% en Allemagne et au Royaume-Uni, 41% en Israël, 34% en Suisse.
Il est impossible d’expliquer la totalité de cet écart par la meilleure qualité des services publics : quiconque est allé à l’école en Suisse ou à l’hôpital en Israël n’aura pas remarqué une situation particulièrement dégradée par rapport à celle de la France. Personne n’a remarqué non plus que la qualité des services se soit améliorée depuis l’an 2000, alors que la France comptait 15% de fonctionnaires de moins qu’aujourd’hui.
On ne peut pas non plus expliquer l’écart des dépenses publiques par une redistribution plus efficace qu’ailleurs. Il y a bien une spécificité française dans le montant des dépenses sociales : avec 4% de la richesse produite dans le monde, les dépenses sociales françaises représentent 15% de toutes les dépenses sociales de la planète. Mais ces dépenses gigantesques se font presque exclusivement au sein de la classe moyenne. Elles n’ont rien fait pour résorber la misère, qui est de plus en plus visible dans les rues de toutes les villes françaises.
Puisqu’elles ne peuvent être expliquées ni par de meilleurs services publics, ni par la lutte contre la misère, les dépenses publiques exceptionnellement élevées de la France ne peuvent s’expliquer que par le gaspillage. Aucun autre grand pays n’a une double administration de ses dépenses de sécurité sociale – Sécu et mutuelles. Aucun n’a autant d’élus et de structures de gouvernement comparées à sa population [si, la Belgique. Ndlr.]. Aucun n’a une telle variété d’aides à la personne ou au logement, coûteuses à gérer et faciles à frauder. Aucun n’a vu sa fonction publique territoriale augmenter de plus d’un tiers en trente ans sans augmentation manifeste de la qualité des services.
A lui seul, ce gaspillage des dépenses publiques explique une partie importante du retard de croissance du pays. Toutes les ressources dépensées pour le secteur public sans être indispensables à la qualité des services doivent être financées : elles le sont en prélevant plus d’impôts sur le secteur productif, ce qui diminue d’autant sa capacité à investir, à embaucher et à innover. Ces impôts ont conduit, de surcroît, un grand nombre d’entrepreneurs et de grandes fortunes à quitter la France pour mettre leurs ressources à l’abri. Une fois expatriées, toutes ces ressources cessent naturellement de contribuer à la croissance française.
Un pays dont la structure économique est déséquilibrée en faveur des administrations est toujours confronté aussi à un problème politique. La France compte 22% de fonctionnaires, contre 15,5% pour la moyenne des pays de l’OCDE. Ses électeurs auront, tout naturellement, tendance à soutenir des programmes politiques qui promettent des nouveaux programmes administrés plutôt que ceux qui cherchent à encourager l’investissement, l’embauche et l’entreprise, seuls moteurs qui pourraient redémarrer la croissance française.
Enfin, le troisième pourcentage qui caractérise la France aujourd’hui est 100%. C’est, à peu de choses près, le poids de la dette publique dans la richesse créée chaque année. Ces derniers temps, ce pourcentage n’a pas eu trop de conséquences, parce que les taux d’intérêt de la dette sont particulièrement faibles. Mais le jour où les taux, inéluctablement, vont remonter, la France devra consacrer au seul remboursement de sa dette, qui ne crée aucune richesse, des ressources de plus en plus considérables. Cela rendra d’autant plus inéluctable la réduction des autres dépenses publiques – tout simplement parce que les ressources nécessaires pour financer les deux à la fois ne pourront plus être trouvées. Les réformes indispensables pour remettre l’économie française sur le chemin de la croissance, faute d’avoir été réalisées pendant les années relativement fastes, devront donc se faire dans la douleur. La société française, déjà fragile, se prépare des années particulièrement difficiles.
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