Share |

L’arche de Noé pouvait-elle flotter ?

L’arche de Noé pouvait-elle flotter ?

 

 

Mercredi sort au cinéma ce qui sera probablement le péplum de l'année, Noé, de Darren Aronofsky, avec Russell Crowe dans le rôle-titre. L'occasion ou jamais pour le chroniqueur de science improbable que je suis devenu, non pas de s'interroger sur la qualité artistique de ce film ou sur l'histoire qu'il raconte, mais de se poser la grande question de physique que ce mythe suggère : l'arche de Noé, dans les dimensions que donne le texte biblique, pouvait-elle accueillir un couple de toutes les espèces animales terrestres (car Dieu aime la biodiversité) et, surtout, une fois remplie, pouvait-elle flotter ? Pour reprendre la formulation humoristique d'une étude parue en novembre 2013 dans le Journal of Physics Special Topics, Dieu, dans son infinie sagesse, s'est-il demandé cinq minutes si la mission qu'il confiait à Noé était compatible avec les lois de la physique ?

 

Avant d'aller plus loin, précisons que le Journal of Physics Special Topics n'est pas une véritable revue de recherche mais une publication de l'université de Leicester (Grande-Bretagne) dans laquelle les étudiants en physique s'entraînent à l'art codifié de l'article scientifique. Cela n'empêche pas ce journal de se comporter comme une vraie revue : il dispose d'un comité de lecture qui fait le tri entre les études qui lui sont soumises et en vérifie contenu et références. Et n'oublions pas le plus important : originalité et humour ne sont jamais bridés. Il faut bien que les étudiants gardent encore un peu leurs illusions sur le monde de la recherche...

Mais revenons à notre ami Noé et à son entreprise de construction navale. Dans la Genèse, le Grand Architecte, qui a décidé de faire le ménage sur la Terre en la noyant sous un déluge, lui dit : "Fais-toi une arche en bois de gopher ; tu disposeras cette arche en cellules, et tu l'enduiras de poix en dedans et en dehors. Voici comment tu la feras : l'arche aura trois cents coudées de longueur, cinquante coudées de largeur et trente coudées de hauteur. Tu feras à l'arche une fenêtre, que tu réduiras à une coudée en haut ; tu établiras une porte sur le côté de l'arche ; et tu construiras un étage inférieur, un second et un troisième." C'est presque aussi précis qu'un plan de montage Ikea.

Pour les physiciens en herbe de l'université de Leicester, il fallait traduire tout cela en chiffres. Premier problème : la coudée. Cette ancienne unité de mesure varie selon les époques et les cultures, de 44,5 à 52,3 centimètres. Les étudiants qui ont rédigé l'étude ont pris le parti de faire la moyenne de toutes les données dont il disposaient, ce qui leur a donné une coudée à 48,2 cm. On arrive donc à une arche de 144,6 mètres de long, sur 24,1 mètres de large et 14,46 de haut. A noter que l'article retient l'hypothèse non pas d'une arche en forme de navire mais ressemblant à une caisse géante (arca, en latin, signifie d'ailleurs coffre ou armoire). C'est d'ailleurs aussi le dessin que reprend le film de Darren Aronofsky, comme on peut le voir sur la photo qui ouvre ce billet ou dans la bande annonce.

Deuxième problème : le bois de "gopher" cité dans le texte. Ce mot n'apparaît qu'une fois dans l'Ancien Testament et personne ne sait vraiment à quelle essence il fait référence. Certaines traductions évoquent des "résineux" et d'autres, se voulant plus précises, parlent de cyprès. Sachant que cela ne ferait pas grande différence au niveau de la masse volumique, les auteurs de l'étude ont gardé l'idée du bois de cyprès. Avec cette donnée en poche, et en supposant que les parois mesurent 20 cm d'épaisseur, il ont obtenu une masse de 1 200 tonnes pour l'arche à vide. Ils ont ensuite calculé la flottabilité de la caisse pour évaluer la cargaison totale qu'elle pourrait embarquer : plus de 50 000 tonnes.

L'étape cruciale arrive désormais : peser toutes les espèces animales et voir si deux exemplaires de chaque ne font pas couler la barquette de Noé. Selon une étude de 2011, plus de 1,2 million d'espèces ont été recensées par les naturalistes mais on considère qu'en réalité la Terre en porte 8,7 millions. Si l'on retire à ce nombre les 2,2 millions d'espèces marines présumées (qui peuvent se débrouiller toutes seules avec le déluge divin), il reste tout de même 6,5 millions de couples de bestioles à caser dans le paquebot de bois. Evidemment, la plupart d'entre elles sont de minuscules arthropodes qui ne pèsent que quelques grammes quand ce n'est pas moins d'un gramme. On peut donc considérer que, avec une capacité de 50 millions de kilogrammes, l'arche devrait rester à la surface des eaux. Ouf : Dieu connaissait la poussée d'Archimède. Cela ne résout pas tous les problèmes du mythe (dont vous pouvez lire une recension exhaustive ici), à commencer par celui... des provisions. Eh oui, pour nourrir tout ce petit monde pendant des mois, combien de tonnes de nourriture fallait-il embarquer ? Prenez du papier et un crayon, vous avez vingt minutes.

Pierre Barthélémy

http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2014/04/06/larche-de-noe-pouvait-elle-flotter/

Publier un nouveau commentaire

CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage.
1 + 2 =
Résolvez cette équation mathématique simple et entrez le résultat. Ex.: pour 1+3, entrez 4.

Contenu Correspondant