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La panne des économies du "printemps arabe"

 

 

La panne des économies du "printemps arabe"

 

 

Par Alexandre Kateb (Economiste)

 

Le renversement du président Morsi par l'armée égyptienne, avec l'appui d'une grande partie de la population, sanctionne la dégradation de la situation économique et sociale dans un pays de 80 millions d'habitants, dont près de la moitié vit avec moins de 2 dollars par jour.

La crise politique qui n'en finit pas a retardé le déblocage d'un prêt du Fonds monétaire international (FMI) très attendu de 4,8 milliards de dollars (3,7 milliards d'euros). Mais ce dernier ne suffira pas, en l'absence d'une stratégie cohérente de développement, à relancer l'économie du pays et à combler un besoin de financement colossal qui a siphonné les réserves de change en deux ans.

Si la transition est moins chaotique en Tunisie, le pays renouant même avec une croissance – modérée – en 2012, il n'y a pas eu là non plus de véritable aggiornamento du modèle économique et d'amélioration sensible de la situation des diplômés-chômeurs, ni de rééquilibrage de la croissance entre les régions côtières et celles de l'intérieur. Ces déséquilibres sont pourtant au coeur du malaise social à l'origine du soulèvement de janvier 2011.

AU POUVOIR, LES ISLAMISTES ONT MONTRÉ LEUR INCOMPÉTENCE

Les dernières alternances électorales avaient porté au pouvoir des partis revendiquant explicitement une référence à la religion islamique, sinon comme guide dans les choix concrets en matière d'organisation politique et sociale, du moins comme source d'inspiration sociétale.

Très tôt, ces partis, ne disposant d'aucune expérience gouvernementale et qui ont dû constituer des coalitions hétéroclites pour gouverner en raison d'une légitimité électorale parfois ténue, ont été confrontés à une situation difficile, aggravée par les conséquences de la crise économique et financière mondiale sur leurs économies et sur celles de leur premier partenaire économique : l'Union européenne.

Les déceptions et les frustrations suscitées par ces gouvernements issus de la volonté populaire sont à la hauteur des espoirs qui ont été placés en eux. Non seulement ils n'ont pas été capables de faire mieux que leurs prédécesseurs en matière de gestion économique et sociale, mais ils ont donné l'impression d'une impéritie et d'une incompétence chronique. Ils ont été incapables de fournir une vision claire de leur stratégie économique.

Certes, l'Egypte et la Tunisie ont beaucoup souffert de la désaffection des touristes et des investisseurs étrangers. Mais d'autres facteurs, plus institutionnels, expliquent les difficultés économiques qu'ils rencontrent.

DES SUBVENTIONS INEFFICIENTES ET INÉQUITABLES

Les pays de la région restent en effet caractérisés par une captation des ressources économiques et financières au profit d'une oligarchie rentière, qui a été peu touchée par les bouleversements politiques survenus depuis 2011. Les banques financent les circuits de la rente (mines et énergie, commerce de gros, tourisme et immobilier de luxe), mais distribuent toujours aussi peu de crédit aux PME industrielles, jugées trop risquées.

Les systèmes de formation sont trop orientés vers la production de cadres pour le secteur public et la formation professionnelle n'est pas assez développée. L'agriculture souffre quant à elle d'une faible productivité, tributaire d'un sous-investissement chronique et d'un sous-emploi massif. Enfin, le maintien de taux de change surévalués et la suppression des barrières tarifaires à la suite de plans d'ajustement structurel des années 1980-1990 ont empêché toute spécialisation industrielle hors de la sous-traitance passive, et ont encouragé l'importation au détriment de la production locale.

Aucune réforme ne cristallise autant le mécontentement populaire que celle des caisses de compensation pour les prix de l'énergie et de l'alimentation. Créées il y a plusieurs décennies pour protéger les populations de la hausse des prix de ces biens de première nécessité, dans un contexte de forte dépendance vis-à-vis de l'extérieur pour la satisfaction des besoins locaux, ces mécanismes de subvention représentent désormais entre 5 % et 10 % du produit intérieur brut (PIB) et absorbent entre 20 % et 30 % des budgets nationaux.

De nombreuses études ont montré le caractère inefficient et inéquitable d'un système qui bénéficie proportionnellement davantage aux riches qu'aux pauvres. C'est pourquoi le FMI préconise son remplacement par des transferts monétaires ciblés vers les pauvres. Mais l'expérience de l'Iran, où une telle réforme a été conduite dans la précipitation en décembre 2010, présente un bilan mitigé. Dans ce pays, l'abandon précipité des subventions, s'il a soulagé le budget, s'est aussi soldé par une forte hausse de l'inflation, par des faillites industrielles et par la paupérisation des classes moyennes.

A rebours des prescriptions orthodoxes du FMI, regroupées sous l'expression de "Consensus de Washington", l'expérience des "trente glorieuses" chinoises (1979-2008) montre que la stabilisation macroéconomique doit être graduelle et aller de pair avec des objectifs ambitieux en matière de croissance et de création d'emplois.

UNE INTÉGRATION RÉGIONALE NÉCESSAIRE

De manière générale, le modèle de développement est-asiatique, d'abord suivi par le Japon, puis par la Corée du Sud et par la Chine, repose sur des synergies puissantes entre l'Etat et le secteur privé. Dans ce modèle de développement en "double hélice", décrit par les économistes Ha-Joon Chang et Dani Rodrik, la libération des initiatives privées et la remise en cause périodique des rentes inefficaces a été couplée avec des politiques industrielles, commerciales et financières soutenues dans la durée. S'il semble plus difficile d'appliquer des politiques hétérodoxes dans un monde où les barrières commerciales et financières ont fortement baissé, des marges de manoeuvre existent néanmoins.

Au niveau financier, les pays du "printemps arabe" pourraient faire jouer la concurrence entre les bailleurs de fonds traditionnels (FMI, Banque mondiale) et des institutions comme la Banque islamique de développement (BID), la China Development Bank ou la future banque des BRICS. En outre, les excédents d'épargne et de liquidité des pétromonarchies du Golfe pourraient être mobilisés de manière plus coordonnée et multilatérale à travers des mécanismes comme le Fonds monétaire arabe, au lieu d'être négociés de manière bilatérale.

Au-delà de ces mécanismes institutionnels, l'intensification des échanges Sud-Sud permettrait aussi de réaliser des gains de productivité considérables. C'est le cas dans le secteur agricole, où le Brésil et l'Inde possèdent des expertises reconnues ou dans le secteur industriel où les expériences de la Chine, de laThaïlande et de la Malaisie pourraient servir d'inspiration.

Enfin, il est indispensable que les pays arabes développent une vision plus ambitieuse de l'intégration régionale, en s'inspirant de modèles conjuguant flexibilité et efficacité tels que celui de l'Asean, l'Association de libre-échange et de coopération économique et monétaire qui regroupe les pays d'Asie du Sud-Est.

Alexandre Kateb (Economiste)
Alexandre Kateb

 

Alexandre Kateb est maître de conférences à Sciences Po, spécialiste des économies émergentes.

Il est l'auteur des Nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les BRIC changent le monde (2011, éditions Ellipses).

 

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