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La vérité sur Jérusalem

 

La vérité sur Jérusalem

Par Marc Riglet

 

En biographe et historien, Simon Sebag Montefiore pose un regard passionnant sur la ville trois fois sainte.

Lorsque, à Jérusalem, vous sortez de la Vieille Ville par la Porte de Jaffa et que vous entreprenez de grimper, à l'ouest, jusqu'à l'Hôtel du Roi David, le long de la route, à votre droite, sur le flanc de la colline, se dresse un étrange moulin. Avec son toit rouge, ses murs blancs, ses pales noires, il semble sorti tout pimpant d'un Walt Disney. Simon Sebag Montefiore a quelque chose à voir avec ce moulin. C'est, en effet, à l'un de ses ancêtres, Moses Montefiore, qu'on en doit l'insolite érection.

Moses Montefiore était né à Livourne et il avait fait fortune à la Bourse de Londres. Comme Rothschild, son beau-frère, il avait été anobli et offrait les allures d'un authentique aristocrate britannique. Et, comme lui aussi, il se souciait du sort des Juifs persécutés à travers le monde. Un pèlerinage à Jérusalem le convainquit de faire quelque chose pour la petite et misérable communauté juive qui y survivait. Lors de son cinquième voyage, en 1857, pour approvisionner ses coreligionnaires nécessiteux en pain à bon marché, il fit construire le moulin. Faute de vent régulier en Judée, le moulin cessa vite de remplir sa fonction, mais il est toujours là, surplombant la Vieille Ville, à peu près aussi kitsch que notre Moulin-Rouge. Cette petite histoire, à côté de cent autres, Simon Sebag Montefiore ne pouvait pas ne pas la raconter dans sa "biographie" de Jérusalem.

C'est une entreprise audacieuse que de "biographier"... une ville. Il faut d'abord détenir une certaine maîtrise du genre. Simon Sebag Montefiore est, de ce point de vue, un maître. Ses deux livres sur Staline, La cour du tsar rouge et Le jeune Staline, ont mérité leur immense succès. Il faut, ensuite, supposer qu'une ville a une "vie" et que cette "vie" mérite d'être racontée. La métaphore de la "vie", pour Jérusalem, est recevable. Non seulement Jérusalem a une vie, mais elle a des survies et même encore des résurrections. Et puis, surtout, cette vie est immense puisque l'on peut, au prix d'un occidentalo-centrisme non déguisé mais aussi sans exagération, dire de l'histoire de Jérusalem qu'elle est l'histoire du monde. Nous voici donc embarqués dans une histoire de trois mille ans puisque, comme il convient, notre biographe doit, pour les commencements de son récit, faire confiance... à la Bible. Simon Sebag Montefiore est toutefois attentif à la fiabilité des sources et il ne manque pas, par exemple, de préciser que si "toutes les Jérusalem idéales, antique et moderne, céleste et terrestre, sont fondées sur la description que donne la Bible de la cité de Salomon", cette description "n'est confirmée par aucune autre source et qu'aucun vestige de son Temple n'a été trouvé". De toute façon, il y a comme une unité entre les commencements mythologiques et les temps historiques plus sûrement établis. Cette unité, c'est la démesure des événements et des personnages.

Tout se passe comme si les trois monothéismes s'étaient ligués pour faire de Jérusalem le lieu des espérances les plus séraphines et le théâtre des pires barbaries. Messies et massacres, édifications et destructions, lucre, viol et inceste scandent l'histoire des Jérusalem judaïque, païenne, chrétienne, musulmane, franque, mamelouke, ottomane. Triomphante, souffrante ou militante, Jérusalem est la rumeur du monde. Elle est son bruit et sa fureur. Il en faut du souffle pour raconter cette histoire. Simon Sebag Montefiore en est généreusement doté. Tout comme il est plein de scrupule lorsqu'il s'agit de confronter la mythologie à la réalité. Avec Melville, Thackeray, Flaubert, par exemple, il nous dit l'état misérable dans lequel ces voyageurs découvrent la Ville trois fois sainte. "Un charnier entouré de murs où pourrissent les vieilles religions", Thackeray. Le quartier juif et "ses ruines puantes à la vénérable saleté", Melville. Le Saint-Sépulcre, "un amas à demi en ruine de grottes moisies qui sentent la mort", encore Melville. Et puis Flaubert, sur les pitoyables affrontements qui opposent les gardiens du même Saint-Sépulcre, avec ces "Arméniens qui maudissent les Grecs qui détestent les Latins qui exècrent les Coptes".

Mais, au-delà du récit passionnant et maîtrisé de ces trois mille ans d'histoire, ce qu'il faut plus encore saluer, c'est l'exceptionnelle probité dont il fait preuve dans le traitement des conflits contemporains. Il en sait trop pour accepter que Jérusalem soit la "capitale éternelle" de quiconque. Avec Athènes, elle est notre capitale éternelle à tous.  

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