L'AIR DU PAYS NATAL....RETOUR À TUNIS, par Lucie Bitbol

L'AIR DU PAYS NATAL....RETOUR À TUNIS, par Lucie Bitbol

L'air du pays natal a quelque chose de particulier, d'exceptionnel.

C'est l'air que l'on a respiré tout en ouvrant les yeux au monde : l'air qu'ont cherché avidement nos narines de nouveaux nés,

l'air de la vie, celui de la maison maternelle, celui que l'on recherche pour essayer de retrouver les sensations heureuses de

la petite enfance, celui, aussi qui a soufflésur nos premières amours, nos premières rencontres, nos espérances...

Le mien, mon air à moi, (comme pour chacun d'entre nous sans doute) , personne ne pourrait le composer, aucun nez

même muni des plus précieuses essences de la terre! Il s'est fait jour après jour, au fond de mon être, de mes pensées, de

mes rêves et provient en grande partie de cet endroit du monde qui m'a vu naître et que je viens retrouver après trente cinq

ans d'absence.

Ces dernières années ,il semblait se répandre bien souvent autour de moi, soudainement, en même temps que mes souvenirs.

Comment dire avec de simples mots, de quoi est faite sa composition?

Parfums de mille fleurs, sans doute, exhalation d'épices, goût de miel et d'amandes mêlés, et de mer Méditerranée

s'évaporant au soleil : il est à la fois salé, piquant ,et pourtant si doux!

Pendant les étés brulants, le sirocco impétueux et ensabléy apportait les senteurs asséchées du désert, et venait nous chasser

de la ville caniculaire, et une foule bigarrée, bruyante assaillait le T.G.M, : là tout entassés les uns contre les autres, dans la

chaleur étouffante, nous étions enveloppés par une odeur plus humaine, ajoutée à la senteur forte du lac Bahira (parsemé de

gracieux flamants roses!), au remugle familier ,qui nous faisait pincer les narines en riant quand nous étions enfants.

Le petit train tortillard nous déposait enfin tout près des plages accueuillantes où un délicieux air marin plus pur nous attendait :

le souffle généreux et iodé du large, de notre belle Méditerranée!

Mais ce que je respire en premier, dans le coin privilégié de ma mémoire olfactive, ce sont les effluves triomphants des jasmins

enchanteurus, ravissants de blancheur dans l'éclatante verdure, qui ont parfumé si généreusement les étés de mon enfance. Et

puis les fleurs d'oranger dardés des rayons flamboyants : quelle senteur merveilleusement lénifiante! même ajourd'hui après

tant d'années, leur extrait m'apaise et me tranquillise!

Coriandre, harissa, cumin, clous de girofle, feuilles de rosesdans ma cuisine..et tant d'autres fragrances...

Je l'ai cherché partout cet air, j'ai voyagé dans les pays les plus lointains les plus charmeurs...mais je ne l'ai retrouvé nulle part...

Il y manquait chaque fois quelque chose! je ne savais pas que cela s'appelait "nostalgie"

Alors, dans cet avion qui nous ramène aujourd'hui vers le pays natal,'attend avec impatience de retrouver cet oxygène de mes jeunes années, et j'espère y revivre, en pensée du moins et ne serai-ce que quelques instants, le bonheur d'y repirer un peu du souffle de mes parents bien aimés.

Nous sommes là tous réunis dans cette attente. La joie à venir se lit dans tous les visages de mes compagnons de voyage tous natifs de Tunisie. On va, on vient à travers les couloirs de l'avion, tout le monde rit et plaisante, mais l'on perçoit tout de même dans chacun , un peu de cette émotion et de cette impatience...

Nous arrivons. Le gros Boeing atterrit...

Le voici cet air que je cherchais. Je le retrouve enfin. Il m'accueille, m'étreint, m'envahit délicieusement. Il est doux, tiède, dans ce bel été qui s'attarde. Il a cette légère moiteur apaisante d'un sein maternel. Il m'enchante dès la sortie de la passerelle.

Oui, il m'étreint si fort, joyeusement , brusquement..trop peut être..car soudain je suffoque presque par l'effort que je fais pour contenir quelques larmes...

(extrait de mon carnet de voyage au cours du voyage organisé pour les 70 ans du collège de Sousse)

Lucie Bitbol