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Le corps sacrificiel des Femen tunisiennes

Le lait de la mort

 

Le corps sacrificiel des Femen tunisiennes

 

 

 

 

 

« Ce n’est plus que dans les légendes des pays à demi barbares qu’on rencontre encore ces créatures riches de lait et de larmes dont on serait fier d’être l’enfant », écrivait Marguerite Yourcenar dans Le lait de la mort.

Amina et Meriam, deux Femen tunisiennes ont posé seins nus pour défier les obscurs qui, portés par le gouvernement islamiste, veulent jeter la Tunisie dans le puits de l’abîme. Ces jeunes filles arabes, musulmanes qui ont osé braver le tabou de la nudité, subissent un crachat affligeant d’insultes et de sarcasmes enragés. Elles sont même menacées de mort. «Amina doit être flagellée une centaine de fois sachant que, vu l’ampleur de son péché, la jeune fille mérite la lapidation à mort. », a prêché le salafiste Adel Almi.    

Le corps devenu le lieu de lutte, de révolte d’un pays tourmenté, divisé et en construction. Les indignés le revendiquent, le dénudent, le brûlent (Mohamed Bouazizi), le mettent en danger, l’exposent jusqu’à son point de rupture –Amina est aujourd’hui séquestrée, bourée d'antidépresseurs et passée pour folle par sa famille-, jusqu’à la mort : pour la dignité, pour la liberté, contre l’oppression. Un corps  sacrifié dans un acte de désespoir, de fortune, de frayeur, de courage inouï ou tragique. Les seins nus de Amina et Meriam tagués « Mon corps m’appartient, il est l’honneur de personne » ou « Fuck your morals » ont effrayé les yeux chastes de beaucoup de conservateurs et progressistes confondus. Des féministes tunisiennes contestent la forme et les armes de lutte de ces jeunes militantes. Une forme qui sied  mal à une société musulmane où le mot laïcité est à peine prononcé et remplacé par des termes mieux accommodants. Dans le glissement sémantique et la bien-pensance, la démocratie et les droits des femmes  prendront l’eau. Plusieurs formes de combats méritent  d’exister à l’unisson contre le monstre intégriste galopant. Ce geste de nudité et de bravoure dont la portée est apparemment limitée et sans projet réfléchi de société,  peut porter au loin parce qu’il a choqué, débusqué l’interdit, provoqué un débat défendu, ouvert un coin de chemin pour les guerriers à venir portés comme Amina et Meriam, par la radicalité, l’immédiateté et l’affront de leur jeunesse.

Dans La légende de la forteresse de Souram, film sublime de Paradjanov, les Géorgiens décidèrent de construire un rempart pour parer aux invasions, mais la forteresse ne tiendra que si un beau garçon accepte d’y être emmuré vivant. Le lait de la mort, la nouvelle orientale de Marguerite Yourcenar puise dans cette ballade balkanique. À Scutari, trois frères travaillent à édifier une tour pour guetter les pilleurs turcs. Mais « ils savent qu’un édifice s’effondre si l’on n’a pas pris soin d’enfermer dans son soubassement un homme ou une femme dont le squelette soutiendra jusqu’au jour du Jugement Dernier cette pesante chair de pierres. » 

« Mais nous avons chacun une femme jeune et vigoureuse, dont les épaules et la belle nuque sont habituées à porter des fardeaux. » Ils emmurèrent vivante, l’épouse du frère cadet qui les supplia : « Ne murez pas ma poitrine, mes frères, mais que mes deux seins restent accessibles sous ma chemise brodée, et que tous les jours on m’apporte mon enfant, à l’aube, à midi et au crépuscule. Tant qu’il me restera quelques gouttes de vie, elles descendront jusqu’au bout de mes deux seins pour nourrir l’enfant que j’ai mis au monde, et le jour où je n’aurai plus de lait, il boira mon âme. (…) laissez une fente devant mes yeux afin que je puisse voir si mon lait profite à mon enfant. »

« Pendant quelques siècles, les mères attendries vinrent suivre du doigt le long de la brique roussie les rigoles tracées par le lait merveilleux… »

 

 

Par Hejer Charf

 

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