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Le Talmud et la dette grecque

 

Le Talmud et la dette grecque

(Par Mario I. Blejer) - Il y a deux manières de voir la montagne de dettes sous laquelle croule la Grèce, toutes deux correctes bien que difficilement conciliables. Le Talmud, le vieux texte dépositaire de la pensée juridique juive, l'une des sources les plus anciennes de la pensée humaine en matière de morale et d'activité économique pourrait proposer une solution.

BUENOS AIRES –La première est une perspective pragmatique à court terme qui vise à une restructuration ordonnée, pour la Grèce mais aussi pour les autres pays européens en difficulté, tout en préservant la zone euro. Mais il existe une autre perspective, "morale" celle-là, qui prend en compte la nature de la dette et ses conséquences économiques à long terme si elle n'était pas honorée. Ces deux perspectives sont acceptables, le problème est même de les concilier. C'est en fait l'absence de conciliation de ces deux perspectives qui explique en partie l'inadaptation de la réponse à la crise grecque.

Or la solution pourrait se trouver dans le Talmud, le vieux texte dépositaire de la pensée juridique juive, l'une des sources les plus anciennes de la pensée humaine en matière de morale et d'activité économique. Un passage que l'on cite fréquemment apporte une perspective rafraîchissante, même si on ne peut la qualifier de neuve, sur la dette grecque et la meilleure façon d'y répondre. Ce passage concerne les ventes, les divorces et les offrandes. Il spécifie que ces actes sont juridiquement valables uniquement s'ils sont volontaires. Pourtant, dans certaines circonstances les tribunaux peuvent contraindre une personne à dire qu'elle agit de son plein gré.

Le Talmud dit littéralement, "Nous [la Cour] l'obligeons à dire qu'il veut faire cela de son plein gré". Aussi, « dans une affaire de divorce [si l'homme refuse de l'accorder], nous l'obligeons à dire "Je le veux de mon plein gré"». De la même manière, si un tribunal contraint une personne à vendre son bien, la vente est valable parce que l'on considère qu'elle a été faite volontairement.

Essayer de comprendre cette contradiction apparente éclaire la controverse qui entoure l'implication des détenteurs privés d'obligations grecques dans le plan de secours. On dit que pour éviter un défaut de la Grèce, les créanciers privés doivent accepter de partager une partie du coût du plan de sauvetage. Mais comment imposer une perte financière à des porteurs d'obligations sans que les agences de notation ne considèrent qu'il s'agit d'un défaut ? La réponse majoritaire est qu'il faut contraindre les porteurs d'obligations à accepter cet accord "de leur plein gré".

Il ne faut pas prendre ce débat pour de la simple rhétorique. En utilisant la logique talmudique, on peut aussi montrer qu'il existe des mécanismes qui peuvent - et doivent - être employés pour exercer une pression sur les parties en cause dans le but d'obtenir un aboutissement, le meilleur possible, auquel ils auront contribué volontairement.

Il existe deux grandes interprétations de ce passage du Talmud. Selon le premier, de la coercition peut naître l'acte volontaire. Quand un tribunal impose à un individu de se soumettre à sa décision et que finalement ce dernier déclare qu'il se soumet à cette décision, on considère que son engagement est volontaire. Si cette interprétation est techniquement exacte, elle est quelque peu brutale, car ce type de conduite "volontaire" laisse un sentiment d'amertume à celui qui l'adopte.

La deuxième interprétation, bien plus nuancée, est basée sur le principe d'une action collective. Fondamentalement les individus savent ce qui est bon pour eux et pour la société, mais en raison de la crainte, de l'embarras ou très souvent de la conviction que leur action sera inefficace si les autres ne font pas comme eux, souvent ils ne se comportent pas en conséquence. C'est donc le tribunal qui permet de concilier au mieux des intérêts contradictoires.

Selon cette interprétation, le tribunal fournit un mécanisme de coordination qui contraint toutes les parties prenantes à accepter une décision qui conduit au meilleur résultat pour tous, tout en évitant que certains fassent cavalier seul. C'est pourquoi, les décisions individuelles, même si elles sont faites sous une certaine pression, deviennent véritablement volontaires à la lumière du résultat.

De ce point de vue, les projets unilatéraux telle que la première proposition allemande étendant "volontairement" de plusieurs années la maturité de la dette grecque ne sont "volontaires" que dans le cadre de la première interprétation. Les initiatives de ce genre (un accord obtenu sous la pression et à contre-cour) peuvent entraîner une réaction brutale. Les agences de notation ont raison de les considérer comme un défaut "sélectif" de la dette qui est amené à se propager et conduire à une vaste restructuration de la dette.

L'alternative consiste à chercher en commun un accord cohérent avec l'interprétation nuancée du texte du Talmud, celle d'une action "volontaire sous la contrainte ". Il est possible d'y parvenir en adoptant certaines caractéristiques d'un modèle utilisé en Europe de l'Est, connu sous le nom de "l'Initiative de Vienne". Le plan actuel visant à un accord "volontaire" pour résoudre la crise de la dette grecque va en partie dans cette direction, mais les trois piliers fondamentaux du modèle de Vienne en sont absents.

Le premier pilier, c'est l'implication simultanée dès le début de toutes les parties (l'Etat en cause, les porteurs d'obligations et leurs Etats, la Banque centrale européenne et les organisations internationales) pour rechercher une solution. Le deuxième pilier, c'est l'existence pour chaque partie d'une motivation à participer, avec notamment le financement direct des Etats des porteurs d'obligations et l'utilisation des ressources qui servent aujourd'hui à financer le transfert de la dette grecque des créanciers privés aux Etats. Le troisième pilier, c'est l'exercice de la persuasion sur les porteurs d'obligations afin qu'ils participent au maximum, obtenant d'eux des pré-engagements et en empêchant que certains fassent cavalier seul.

Puisque ce modèle implique des pertes pour les porteurs d'obligations, il y faudra une pression substantielle de la part des Etats et des pairs. Néanmoins, permettant de gagner du temps pour parvenir à une solution plus équilibrée, diminuant les risques de contagion et réduisant la taille d'une possible réduction de dette, il va dans le sens de la meilleure solution possible.

Aussi, dans le cadre de ce modèle, malgré les pressions initiales qu'il suppose, on peut considérer que les porteurs d'obligations agissent de leur plein gré. Et même si les agences de notation considèrent encore que le modèle de Vienne constitue un défaut, la sagesse talmudique nous montre pourquoi cette classification mérite d'être revue.

Copyright: Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2011.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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