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Le trésor enfoui du ghetto de Varsovie

 

Le trésor enfoui du ghetto de Varsovie

 

 

 

Le livre de Kassow est étonnant : l'extermination des juifs racontée de l'intérieur par une société secrète. Digne d'un roman mais authentique. Entretien avec Pierre-Emmanuel Dauzat est le traducteur du livre de Samuel D. Kassow Qui écrira notre histoire ?

 

On croyait tout connaître du ghetto de Varsovie et de la Shoah...

À tort. Avec ce livre sur les archives secrètes du ghetto de Varsovie, Samuel Kassow renouvelle notre regard sur l'extermination des juifs de Pologne. Et redonne la parole aux victimes. En dehors de quelques historiens, personne ne connaissait l'existence de ces textes.

Comment malgré les rafles, la peur et la faim, des juifs ont-ils réussi à tenir leur journal de bord ?

Cette histoire, c'est d'abord celle d'Emmanuel Ringelblum. Cet historien hors du commun a très vite eu le pressentiment que la communauté juive ne survivrait pas à la guerre. Il a rassemblé une équipe d'une soixantaine de personnes : historiens, romanciers, poètes, statisticiens, rabbins pour décrire chaque aspect de la vie quotidienne du ghetto de Varsovie et des juifs de Pologne. Ils voulait que les juifs puissent plus tard demander des comptes aux nazis. Il ne voulait surtout pas laisser à ses bourreaux le soin d'écrire leur histoire.

Une mémoire préservée grâce à la création d'une société secrète ?

C'est l'un des aspects les plus étonnants de ce livre. Pour que l'histoire conserve la mémoire de ces hommes et de ces femmes, Emmanuel Ringelblum a créé une société secrète savante : Oyneg shabes (la joie du sabbat en yiddish). Pendant des mois, plusieurs dizaines d'hommes et de femmes ont fait un travail de collecte. Une sorte d'histoire totale. Des chansons de rues en yiddish, aux tickets de spectacles ou de tramway en passant par les objets les plus insignifiants : tout avait de l'importance à ses yeux. Rien que pour ça, les historiens contemporains devraient s'intéresser à son travail. Il a sollicité des romanciers et des poètes, des rabbins... Croisé les regards pour essayer d'approcher la réalité au plus près.

Emmanuel Ringelblum a-t-il essayé d'alerter les Alliés ?

Oui, c'était aussi l'un des objectifs des hommes et des femmes de cette société secrète. Sans leur travail, Jan Karski, le messager de la résistance polonaise, n'aurait jamais pu apporter son témoignage au monde occidental. Les informations sont passées. Mais elles n'ont pas été prises en compte. Ben Hecht, un scénariste d'Hollywood a pris des pages de publicité dans la presse américaine pour sensibiliser les Américains à la cause des juifs. Sans succès. De désespoir, Zygelblum, un écrivain juif s'est suicidé devant la Chambre des communes à Londres.

Ces textes ont été préservés comme on le fait d'un trésor ?

Ils ont été enterrés dans des boîtes. Et déterrés avec l'aide d'archéologues dans les décombres du ghetto à la fin de la guerre.

Tout a été retrouvé ?

Malheureusement non. Certains pourraient se trouver sous l'ambassade chinoise à Varsovie. Des fouilles ont été entreprises en 2003. Mais sans succès.

De cette société secrète, combien ont survécu à la guerre ?

Trois seulement. Emmanuel Ringelblum n'a pas survécu à la guerre. Arrêté une première fois et déporté, il s'est évadé pour retourner dans le ghetto. Après avoir été caché avec son fils par des amis polonais, il a été dénoncé. Dans sa prison, des résistants lui avaient proposé d'être affecté à un travail pour échapper à la mort. Mais c'était abandonner son fils. Il a refusé. Cet homme dont la vie était un roman a réussi à marier courage intellectuel et courage physique. Sa mort fait penser à celle de l'historien Marc Bloch tenant la main d'un enfant devant le peloton d'exécution.

De cette histoire, un écrivain anglais a fait un roman ?

Oui. C'était dans les années 1950. John Hearsey avait eu connaissance de ces archives et en avait fait, avec La muraille, un récit présenté comme une fiction. Ce livre a été traduit en français et préfacé par Joseph Kessel. On a cru à une fiction, on sait aujourd'hui que c'est vrai.

Vous n'êtes pas tendre avec les fictions à la mode sur les bourreaux ?

En donnant la parole même sous la forme d'une fiction au bourreau, on prive de leur dignité les cinq millions de juifs d'Europe de l'Est qui sont morts dans les camps d'extermination. Le seul droit du bourreau, c'est celui de demander pardon.

 

Recueilli par Patrice Moyon.    

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