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Les ambiances au lycée de Carthage

Les ambiances au lycée de Carthage

 

Je m’appelle Roland Pierrot, j’ai été élève à l’école primaire de Salammbô de 1951 à 1956 puis au lycée de Carthage d’octobre 1956 à juin 1958. J’essaye de me remémorer mes impressions d’utilisateur du lycée de Carthage, la perception des ambiances que pouvais avoir ce petit garçon, en qualité d’élève de 6ème et 5ème M1.

C’était un lycée tout neuf, immense et magnifique et nous avions, les copains de Salammbô et moi, la certitude d’avoir une chance énorme de vivre là. Prendre le TGM était une fête journalière, passer la journée sur un site aussi prestigieux, une fierté permanente et profiter de ce ciel au bleu intense, l’assurance de bien utiliser son cerveau (ça je ne l’ai su qu’après).
Donc, l’ambiance générale était à l’exaltation, une sorte d’excitation comme celle que l’on ressent quand on part en voyage ou quand on ouvre un paquet cadeau. Peut-être percevions-nous les ondes positives, l’énergie que dégagent les endroits exceptionnels, après tout, Carthage, ce n’est pas rien. Il est certain que le lycée s’appropriait cette énergie, mais il ajoutait largement la sienne.
Nous avions l’impression d’être gâtés, aimés des adultes qui nous offraient un lieu magnifique, large, ouvert, stimulant, où nous allions passer une grande partie de notre vie. Pour ma part, je le ressentais surtout à l’extérieur qui avait été aménagé sans avarice, avec des terrains de sport, des aires de circulation, des abords engageants.

L’ambiance visuelle était donnée d’une part par les enfilades et perspectives rectilignes, comme celles de la façade et des coursives à l’entrée qui donnaient une impression dynamique, à la fois sérieuse et optimiste, et d’autre part par le jeu des arcades qui n’étaient que des arcades comme dans toute la Tunisie, mais épurées dans le dessin et renforcées dans leur impact par l’effet d’enfilade. A cette époque, je voulais être architecte, je ne l’ai pas été mais ces arcades du lycée ajoutées aux arches et voûtes romaines et arabes m’ont marqué à vie.

L’ambiance lumineuse était très forte, le triptyque « lumière unique de Carthage, badigeons blancs des murs et vert foncé des plantes méditerranéennes » faisait tout le travail à l’extérieur, avec l’ombre contrastée des rampes d’accès et des claustras des couloirs, à l’intérieur.
Sur le chapitre thermique on arrête les compliments, quoique bien ventilés les locaux n’étaient pas spécialement frais en été et il semblait que la construction avait été conçue pour privilégier de mortels courants d’air qui, en hiver, nous transperçaient le corps, nous gelaient sur pieds, rendaient l’attente entre les cours extrêmement pénible et nous affligeaient de rhumes et bronchites qui inquiétaient nos parents.

L’emploi très libéral du béton rendait l’ensemble du lycée assez sonore, mais ce genre d’effet secondaire ne gène pas de jeunes gamins, je crois au contraire qu’ils se régalent de chahuter bruyamment dans le brouhaha général. L’ambiance était très gaie dans les rampes et les corridors et une fois en classe, la discipline stricte de l’époque ne permettait pas de tester l’acoustique des salles.
En ce qui concerne l’ambiance olfactive, c’était un mélange d’odeurs déjà connues de bord de route, avec la poussière, l’eucalyptus, le crottin d’âne, cet arbre qu’on appelait le faux-poivrier, les marchands de pralines, avec des parfums propres au lycée et nouveaux pour nous, le ciment d’une construction neuve, les effluves des vestiaires du gymnase, les produits étranges des salles de sciences-nat.

Ce long navire échoué sur la colline avait une forte présence, on pourrait même dire une réelle personnalité. Jamais par la suite je n’ai pensé à un des lycées que j’ai fréquentés comme on pense à une personne, peut-être parce que celui-là était le premier, mais je crois plutôt que je reprochais à tous les autres de n’être pas à Carthage. 

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