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Les Juifs de France ou la cuisson du homard

 

Les Juifs de France ou la cuisson du homard

 

Pour cuire sans risque un homard et éviter les réactions intempestives de ce crustacé, les cuisiniers ont découvert une méthode infaillible: ils le plongent dans une marmite d’eau froide puis allument un feu très doux. Lentement, très lentement, l’eau dans laquelle nage confortablement notre homard se réchauffe mais le crustacé ne s’en rend pas vraiment compte. C’est vrai, c’est un peu désagréable, ça coince aux entournures, mais c’est progressif. A chaque degré franchi, notre homard fronce d’abord des sourcils puis s’habitue… jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Les Juifs de France sont pour moi des homards – désolée pour la comparaison, vraiment – qui refusent de voir la réalité et se voilent la face : ils ont été plongés voici des siècles (pour les Juifs ashkénazes) et voici des décennies (pour les séfarades qui les ont rejoint dans les années 60) dans une marmite d’eau salée, accueillante, ouverte, respectueuse. Mais depuis, quelqu’un a allumé le feu et ils ne se rendent pas compte que l’atmosphère devient irrespirable. Ils se sont habitués à une situation insupportable et ne se posent même plus de questions: pourquoi ne peut-on plus porter de kippa ou de Maguen David en France sans risquer de se faire tabasser? Pourquoi les autorités et certaines institutions juives ne donnent pas l’écho aux agressions antisémites régulières qui sont perpétrées en France? Pourquoi les écoles publiques sont-elles de moins en moins fréquentées par les enfants juifs français? Pourquoi les seuls lieux de culte et les seules écoles/forteresses gardés par la police sont juifs? Pourquoi lorsqu’on lit les réactions aux articles traitant de l’attentat de Toulouse ou de tout autre sujet lié de près ou de loin à Israël ou les Palestiniens, peut-on lire, 70 ans après la Shoah, des horreurs telles que « Oh ces Juifs et leur Shoah, ils nous emm… » , « Si t’es pas Juif, t’as pas droit à ta minute de silence », « Le tueur de paras a fait moins de bruit que la tuerie de ce matin, alors que les militaires font plus que la France que les Juifs », « Donc des Juifs ont été tués et le monde doit arrêter de tourner , c’est ça? ».

Depuis la tuerie de Toulouse, j’ai constaté deux types de réactions parmi mes amis Juifs de France. Certains se posent des questions sur leur avenir en Hexagone – ils »froncent les sourcils » – mais ont du mal à franchir le pas et à quitter cette marmite piégée. D’autres s’accrochent comme à une bouée de secours à la minute de silence ordonnée par Sarkozy, aux 237 restaurants cashers de Paris, aux gardes postés devant les synagogues et les écoles, aux promesses politiques d’avant les élections, aux élections qui précèderont – ils en sont persuadés – un changement…

« Les choses qu’on voit d’ici, on ne les voit pas de là-bas », dit l’expression en hébreu. D’ici, je vois mes frères juifs s’habituer à une situation insupportable, à une atmosphère irrespirable et j’ai juste envie de leur dire: venez ici respirer l’air pur d’Israël, vous ne comprendrez pas comment vous avez pu rester si longtemps là-bas…

Laly Derai

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