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Les relations judéo-arabes en Tunisie de 1857 à nos jours : Le Pacte Fondamental, par Viviane Lesselbaum Scemama

 

Les relations judéo-arabes en Tunisie de 1857 à nos jours

Le Pacte Fondamental

Le Pacte Fondamental a été promulgué le 10 septembre 1857 par Mohammed Pacha Bey à l'adresse plus particulière de la communauté juive.

Au milieu du dix-neuvième siècle, la Tunisie est engagée dans un processus à la fois de modernisation et d'indépendance à l'égard de l’Empire Ottoman, d'où la nécessité, entres autres, de rédiger ce Pacte Fondamental.

Comme nous allons le développer, la minorité chrétienne et les Juifs qui représentent, à eux seuls une forte minorité furent émancipés et bénéficièrent de substantielles réductions de taxes auxquels ils étaient soumis.                                                                                          .•

Préambule du Bey (extraits)

 

«Persuadé qu'il faut suivre les prescriptions de D.ieu en tout ce qui touche ses créatures, je suis décidé à ne plus laisser peser sur celles qui sont confiées à mes soins ni l'injustice, ni le mépris: je ne négligerai rien pour les mettre en pleine possession de leurs droits .

.. . J'ai déjà commencé, comme on le sait, à alléger les taxes qui pesaient sur mes sujets. . . . qu'il est certain de trouver un abri contre l’oppression derrière le rempart de la justice et de voir respecter ses droits jusqu'au jour où des preuves irrécusables démontrent que sa culpabilité ne résultera pas pour lui de témoignages isolés.

.. . Les sentences émanées du tribunal de la Charia continueront à avoir leur plein effet.
Puisse D.ieu perpétuer jusqu'au jour du jugement dernier le respect que ce tribunal inspire.
Rien, dans ce code, tous pourront s'en convaincre, ne sera contraire à ses saintes prescriptions».

Les bases du Pacte fondamental

Extraits relatifs à la population israélite

Article premier.

Une complète sécurité est garantie formellement à tous nos sujets, à tous les habitants de nos Etats, quelques soient leur religion, leur nationalité et leur race. Cette sécurité s'étendra à leur personne respectée; à leurs biens sacrés et à leur réputation honorée.

Article trois.

Les musulmans et les autres habitants du pays seront égaux devant la loi, car ce droit appartient naturellement à l'homme quelque que soit sa condition.

Article quatre

Nos sujets israélites ne subiront aucune contrainte pour changer de religion, et ne seront pas empêchés dans J'exercice de leur culte; leurs synagogues seront respectées et à l'abri de toute insulte ...

Article six

Lorsque le tribunal criminel aura à se prononcer sur la pénalité encourue par un sujet israélite, il sera adjoint au tribunal des assesseurs également israélites. La loi religieuse les rend, d'ailleurs, l'objet de recommandations bienveillantes.

 

Cette proclamation n'était pas inattendue, car un évènement grave l'avait précédé.

 

 

L’affaire Batto Sfez

 

Un Juif tunisien, nommé Batto Sfez, alors qu'il se trouvait, selon l'accusation, en état d'ivresse, aurait injurié un musulman et maudit la religion islamique.

Il fut déféré à la justice selon la Charia et condamné à mort.

Les Juifs et les Chrétiens, indignés par la cruauté de cette sentence, firent appel aux autorités consulaires pour en empêcher l'exécution et implorer la clémence de Mohammed Bey.

Rappelons que quelques jours avant l’arrestation de Batto Sfez, le Bey fit exécuter un soldat musulman qui avait assassiné un Juif.  Pour faire bonne mesure, semble t-il, le Bey ordonna d’appliquer la sentence avec la nuance près que Batto Sfez n’était pas un assassin. Il fut décapité le 24 juin 1857.

Ce drame ébranla la communauté juive qui subit sa dhimmitude en silence et n’eut pas droit au chapitre. Devant cette parodie de justice elle  s’en offusqua  d’autant plus qu’on ne lui ait pas remis le corps.

 

Nous sommes en début d’année  5772 (année civile 2011). Je rendis compte à une amie, d’origine tunisienne, de ma recherche sur l’affaire Batto Sfez. Elle me rappela qu’il fut décapité et que sa tête fut récupérée par une bande d’arabes  sans morale et qu’ils l’utilisèrent comme ballon de football.

La communauté juive s’évertua à trouver une solution pour récupérer la tête du malheureux. Elle se réunit dans la discrétion et décida, pour appâter cette foule haineuse, de vider les poches de toute monnaie sonnante et trébuchante, ainsi que les boites de « tsédaka » et de remettre le tout au Conseil qui en remettra une poignée à chacun d’eux. Le secret fut bien gardé. Le corps sans tête, récupéré, était déjà installé dans une carriole

aménagée en corbillard suivi d’une foule éplorée. Cette procession se dirigea en direction des arabes qui jouissaient de leur jeu macabre. Le convoi mortuaire s’arrêta à leur hauteur. Les pièces de monnaie furent jetées au loin. Ils lâchèrent leur proie et coururent  se précipiter sur la manne, abandonnant leur proie. Le stratagème réussit ; ils récupérèrent la tête et l’enterrèrent dignement dans le cimetière juif.

 

Cette condamnation que le Bey semble avoir oubliée fut, pour les Consuls de France  et d’Angleterre l’occasion, le prétexte de faire pression sur le Bey le 13 Août 1857 pour qu’il introduise des réformes fondées sur la justice, la sécurité et les libertés accordées à tous les sujets. Après quelques réticences, le Bey introduisit des réformes basées sur les principes de justice et de liberté.

Le Pacte Fondamental  est proclamé.

.

 

La Tunisie indépendante

 

 Qui est Ahmed Mestiri ? Monsieur Ahmed Mestiri fut un ancien Ministre de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense du Président Bourguiba.

Aujourd’hui, à quatre-vingt six ans il assiste, témoin non désintéressé, à la Révolution du Jasmin qui débuta, le 17 décembre 2010, par l’immolation de l’étudiant Mohamed Bouzizi à Sidi Bouzid.

Le chef du parti islamiste Ennahda, arrivé en tête lors des élections du 23 octobre 2011 a déclaré qu’il ne briguera pas la présidence. Il estime que ce poste devrait revenir à une personnalité qui a milité contre la dictature et citer, entre autres, Ahmed Mestiri.

Ahmed Mestiri n’est pas une figure inconnue pour les Juifs de Tunisie.

 

Nous, Juifs naïfs et rêveurs, attendions avec une certaine confiance, même avec un peu de retard, l’anniversaire du centenaire de la promulgation du Pacte Fondamental qui paraissait bien coller à cette nouvelle Tunisie. Cet évènement qui confirma la loyauté des Juifs envers ce pays d’accueil fut occulté par les autorités en place.

 

Le 17 juillet 1958, Ahmed Mestiri, Secrétaire d’Etat à la Justice, fit un discours à l’encontre des Juifs. Voici le texte qui nous concerne, dans son intégralité.

« La religion musulmane qui est celle de la majorité des citoyens est la religion de l’Etat tunisien.

…s’il y a encore d’autres gens qui rêvent de la terre promise qui vivent dans le pays mais tournent leurs regards vers Israël, qui font consciemment ou inconsciemment le jeu du sionisme…Eh bien, nous disons aux uns et aux autres qu’il vaut mieux, pour eux  comme pour la Tunisie, qu’ils partent, et nous ne les empêcherons pas de partir, à n’importe quelle destination.

Ceci dit, le gouvernement prendra lui-même l’initiative de faire partir tous ceux qui s’avisent de nouer des relations plus ou moins occultes avec les organisations sionistes pour semer dans ce pays la discorde et troubler la paix sociale ».

Il ne fut pas des moindres, à partir de 1959, à contribuer au départ massif des Juifs, sionistes ou pas. Peu s’installèrent en Israël, malgré « l’encouragement  visionnaire » d’Ahmed Mestiri.

À partir de ces phrases assassines, la Tunisie se débarrassa de la majeure partie de sa minorité juive estimée à  près de100 000 sujets, laissant derrière elle ses biens dont le voisinage sut en faire profit, sans aucune contrepartie. Elle se retourna une dernière fois, essuya quelques larmes et laissa défiler quelques images su son vécu, par deux fois millénaire.

Cependant, la Tunisie nouvelle dans sa politique d’assainissement se trouvait contrainte de conserver sur son sol 60 000 âmes juives enfouies dans l’ancien cimetière ; hormis quelques grands « sages » dont Bourguiba consentit à transférer les restes en Israël à la demande de la communauté. Quand au reste, les bulldozers contribuèrent, à leur façon, à la disparition totale de nos proches, pour que, quelques mois plus tard, soit inauguré en ce lieu sacré, un immense jardin. Bien que situé en centre ville, on raconte que pendant des années, de nombreux musulmans n’osèrent franchir l’entrée de ce parc.

Le Pacte Fondamental est enterré.

 

La Tunisie d’hier

 

5 juin 1967. Pendant la guerre des « six jours », pour soutenir ses frères, la Tunisie envoya dans un des lieux du conflit un petit contingent. Il ne se fit pas remarquer par son enthousiasme. Un geste plus fort, plus médiatique aura eu plus d’impact pour débarrasser la Tunisie des quelques milliers de Juifs demeurant encore à cette époque en terre musulmane, comme le suggèrerait, encore aujourd’hui, à 86 ans Ahmed Mestiri.

La Grande Synagogue de Tunis, où se rendaient régulièrement le Bey et plus tard le Président Bourguiba à la rencontre de la communauté juive fut envahie, le 5 juin par une horde haineuse qui mit à sac les objets de culte, les livres de prière ; la haine des Juifs se caractérisera et s’achèvera  par l’incendie partiel de ce lieu de culte.

L’unique fabrique industrielle de Matzoth (pains azymes) fut entièrement détruite.

1971. Assassinat d’un rabbin en plein cœur de la capitale, la guerre de Kippour en 1973, l’installation de l’OLP en Tunisie en 1982.  Cette succession d’évènements alimentèrent les appréhensions de ce qui restait en place de cette communauté, jadis florissante.

1982. Pendant les massacres commis à Sabra et Chatila par les Chrétiens, la synagogue de Zarzis en Tunisie,fut le théâtre d’un incendie criminel. : les rouleaux de Thora partirent en fumée.

En 1985, dans ce siècle finissant ajoutons la folie  « dite meurtrière »  d’un policier en faction devant la synagogue de Djerba qui ouvrit le feu, tuant deux personnes et en blessant six autres. Ce fut le prélude au tragique attentat de 2002.  

 

 

 

Le Président Ben Ali qui succède à Bourguiba en 1987 semble bien disposé à l’égard des juifs de Tunisie.

En 1992, lors d’une réception à Carthage, il reçoit ce qu’ii en reste de la communauté et leur déclare : « Les Juifs tunisiens sont des citoyens à part entière et ceux qui sont partis peuvent revenir dans leur pays librement pour s’y installer ou pour y passer des vacances »

Le Pacte Fondamental est de retour ?

 

La Tunisie d’aujourd’hui

 

11 avril 2002. À Djerba, un camion bourré d’explosifs explose à proximité de la synagogue de la Ghriba tuant 21 personnes dont quatorze touristes allemands non Juifs et en blessant trente autres. Un allemand converti à l’Islam, a reconnu les faits. Il a été formé à l’école pakistano-afghane. et entretenu, par atavisme, à la haine ancestrale des Juifs. Il aurait, vraisemblablement, reconnu en ces malheureuses victimes non juives quelques traits ashkénazes.

 

10 mars 2006. À l’occasion de l’inauguration d’une partie du Fonds Paul Sebag cédé à la Faculté de la Manouba, diverses personnalités sont invitées en présence de sa fille.

L’œuvre de Paul Sebag philosophe, sociologue et historien fut monumentale.

Citons, pour ce qui nous concerne, l’ouvrage de référence : « Histoire des Juifs de Tunisie des origines à nos jours ».

C’est à cette occasion que cette Faculté fut le théâtre d’un déchaînement antisémite. Une centaine d’étudiants barrèrent le passage aux invités, hurlèrent des slogans en arabe : « À bas Israël, vive la Palestine, nous ne voulons pas de la bibliothèque d’un Juif communiste, sioniste… »

Noura Borsali, journaliste tunisienne, fit le commentaire suivant : « Comme j’aurais souhaité que nos étudiants découvrent et apprécient en toute sérénité Paul Sebag, le fin connaisseur de leur pays, la Tunisie qui est, aussi, la sienne ».

11février 2011. L’entrée de la Grande Synagogue de Tunis fut à nouveau envahie par une foule hystérique qui brandissait des banderoles du Hamas, hurlant des slogans antisémites d’un autre âge : « attendez Juifs, l’armée de Mohamed revient ». Les policiers surent garder les portes closes, mais cependant, goûtèrent au spectacle. Ce fut festif. Toutes les classes étaient représentées. Les vidéos, encore disponibles en font foi. Atmosphère de « nuit de cristal »…en plein jour.

18 août 2011. En plein Ramadan, la Synagogue Beth-El de Sfax a été visitée par une bande de pilleurs. Les armoires contenant les Sefer-Thora furent ouvertes : les rouleaux emportés ainsi que les candélabres en argent. Les troncs de « tsédaka » vidés de leur contenu,  les plaques de marbre gravées, mentionnant les noms des donateurs furent brisées et enfin, inspirés par les intifadas successives, ils s’acharnèrent à coup de pierre, , sur les magnifiques vitraux nouvellement restaurés.

 

On estime, aujourd’hui en 2012, le nombre de Juifs résidents en Tunisie à environ 1500 personnes réparties de la façon suivante : la moitié, 700, vivent à Tunis ; 700 à Djerba, le reste est réparti entre Gabès, Zarzis, Sousse, Sfax et Nabeul.

Mais où est donc passé le Pacte fondamental ?

 

Dossier réalisé  par Viviane Scemama Lesselbaum

courriel : vsl.labima@gmail.com

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merci viviane je voudrais que tu menvoie un imael a jeanjacques.bokobza@neuf.fr rapellez toi taha taha tao ye cbir jacquo ne farho

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