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Les Tunisiens du grand espoir au profond désenchantement

 

Les Tunisiens du grand espoir au profond désenchantement

 

A force de voir des promesses rapidement oubliées et des contre-vérités assidument proférées, à force de voir tous les hommes politiques obnubilés par le pouvoir, le peuple est en train de se résigner au «tous pourris». Déjà…

Par Mahdi Zargayouna (La cahiers de la Liberté)*

 

Le 23 octobre 2011 a été porteur de grands espoirs pour les citoyens quant à l’avenir politique, économique et social de la Tunisie. Qu’ils soient sympathisants des partis majoritaires ou minoritaires, ils ont choisi un camp à défendre, mais tous étaient conscients du grand pas effectué et étaient remplis d’espoir pour la période qui s’annonçait.

Se repérer dans ce brouhaha incessant

Neuf mois après, force est de constater que les uns comme les autres ont globalement déchanté. La fièvre électorale descendue, le citoyen tunisien observe désabusé que la politique politicienne a pris le dessus et que pour lui, rien n’a vraiment changé.

Les Tunisiens de toutes les générations ont probablement discuté de politique en un an et demi plus qu’ils ne l’ont jamais fait en une vie. Une longue hibernation citoyenne de dizaines d’années avait vu tous les événements orchestrés, mis en scène et interprétés suivant la même grille de lecture fixée par les dictatures successives.

Soudain, en l’espace de quelques mois, un flot d’événements s’est déversé sur la scène publique. Ces événements sont la plupart du temps inattendus, incompréhensibles, et même souvent surréalistes. Certaines tendances de fond permettent néanmoins au citoyen tunisien de se repérer dans ce brouhaha incessant.

Première tendance, la référence à la révolution devient pratiquement absente des discours de nos politiques. Seuls ceux qui ont participé activement à sa réalisation continuent à essayer de donner corps à une force qui poursuivrait ses objectifs.

En revanche, de par leur comportement (comme leurs réticences quant à l’accès public aux travaux de l’assemblée), leur pratique de la politique, il est devenu clair aux yeux de beaucoup que la majorité de ceux qui sont censés représenter les citoyens ne sont pas ceux qui ont fait la révolution, ni ceux qui ont à cœur de défendre ses objectifs.

Deuxième tendance, un mouvement de concentration et de fusion des partis a été engagé, en vue de concurrencer Ennahdha pour les prochaines élections et d’être appelé à gouverner.

Troisième tendance, les Destouriens sont de retour et ne se heurtent vraisemblablement plus à une vraie levée de bouclier populaire. Ils se présentent même comme une force à même de concurrencer le premier parti de Tunisie.

Enfin, aigris, beaucoup de nos concitoyens ne se cachent plus pour regretter le temps béni de la dictature.

Rien ou si peu a vraiment changé.

Mais au-delà de la politique politicienne, la vraie jauge du citoyen pour savoir si quelque chose a réellement changé depuis les élections est liée à trois aspects de sa vie quotidienne: le coût de la vie, les médias et l’administration publique en général et les forces de l’ordre en particulier. Sur ces trois aspects, rien ou si peu a vraiment changé.

La vie chère continue de miner le budget des classes pauvres et moyennes. La tendance s’est même accélérée depuis les élections.

Les forces de l’ordre quant à elles prouvent chaque semaine que les vieux réflexes sont de retour, et que le citoyen n’est pas prémuni de l’arbitraire, loin de là.

Les médias de leur côté, supposés s’être libérés du joug de feu l’Atce[1] et du pouvoir politique font globalement étalage d’une paresse et d’un manque d’investissement consternants. L’absence d’investigations sérieuses et d’analyses fouillées est manifeste. Au contraire, de nouveaux journaux perpétuant les pires pratiques du régime du 7 novembre (diffamation, intimidation, mensonges, etc.) sont en train de voir le jour.

A leur décharge, les médias doivent faire avec un pilonnage incessant des politiques de tous bords et des citoyens. Ils sont devenus la cible privilégiée de tous, et doivent travailler de ce fait dans des conditions peu enviables, avec une éternelle épée de Damoclès au dessus de la tête. Mais il leur revient de savoir résister aux uns et aux autres, et de gagner l’estime des citoyens. Car, finalement, le gouvernement et l’opposition sont, malgré tout, dans leur rôle. Avec de la mauvaise foi certes, mais leur objectif in fine, est de gagner les élections. Si pour cela, ils doivent déverser leur bile sur les médias, ils ne s’en priveront certainement pas.

Les théories de complot qui fleurissent

Le résultat de cette lutte entre les pouvoirs est que les citoyens sont privés de l’accès aux causes profondes des événements, et se retrouvent devant une succession de faits complètement non-déterministes, comme s’il y avait des forces sous-jacentes qui «tiraient les ficelles», confortant ainsi les théories de complot qui fleurissent sur les réseaux sociaux. Rien n’est donc fait pour affaiblir l’influence de ces réseaux qui, en dehors de toute éthique journalistique, ont supplanté les médias traditionnels et participent à un pourrissement des débats. C’est peut-être la faiblesse des médias qui fera le plus de mal à l’atmosphère générale à l’approche des élections. Dans ce contexte, il faut s’attendre à ce que la prochaine campagne électorale soit résolument populiste, sans contrepoids médiatique qui en atténuerait la portée.

En réalité, le drame des Tunisiens est que l’un des facteurs qui a le plus contribué à la chute de l’ancien régime qu’est la crise financière mondiale est toujours là et va en s’accentuant.

Tous les partis ont menti et continuent à mentir en mettant tout sur le dos de l’administration dictatoriale. On nous a fait croire que l’économie décollerait dès qu’un gouvernement légitime serait élu. Ceux qui aspirent à gouverner ont un devoir de vérité vis-à-vis de leurs citoyens. Car à force de voir des promesses trop rapidement oubliées et des contre-vérités si assidument proférées, à force de voir que tous sont obnubilés par les prochaines élections et par le pouvoir, le peuple est en train de se résigner au «tous pourris». Déjà…[2]

Notes :

[1] Agence tunisienne de la communication extérieure.

[2] Pour aller plus loin dans l’analyse, l’article suivant traite des analyses des enquêtes d’opinion. Nous avons également publié un autre article sur ce même sujet dans le numéro 3 (mai - juin 2012) du journal.

Source: Cahiers de la Liberté.

L’association Cahiers de la Liberté réunit un groupe non partisan de jeunes tunisiens désireux de participer à l’éveil démocratique de la Tunisie de l’après 14 janvier 2011. A travers des publications et des débats ouverts, l’association se veut un observateur critique de la nouvelle scène politique tunisienne, un laboratoire d’idées engagées et une force de proposition citoyenne.

 

 

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