MICHEL BOUJENAH: «QUAND LA SOCIÉTÉ VA MAL, ÇA VA TOUJOURS MAL CONTRE LES JUIFS !»
Le rêve américain, l'antisémitisme en France, la tentation de l'exil: Michel Boujenah nous dit tout, avant de monter sur la scène new-yorkaise. Un régal.
Michel Boujenah était sur les planches du mythique Gramercy Theater de New York, ce lundi 16 mai, là même où Anne Roumanoffavait essuyé les plâtres trois mois avant lui. Son dernier show, « Ma vie rêvée » a réuni autant de téléspectateurs que la dame en rouge, soit environ 300 personnes sur une salle en contenant 400. Son public, constitué exclusivement d’expatriés français sont venus là car, « ils ont une certaine mélancolie du pays » selon l’humoriste. Sa tournée américaine comprenait 5 dates. Nous étions en coulisses.
VSD. Appréhendez-vous ce spectacle ?
Michel Boujenah. Je ne suis pas connu ici, je vais jouer devant le peu de Français qui sont au courant que je suis là. En France, ils en font tout un pataquès parce que je me produis au États-Unis mais je tiens à rétablir la vérité : ici, nous sommes des grecs qui venons jouer en banlieue parisienne. Les Américains ne nous connaissent pas. C’est rigolo, ça fait plaisir aux expatriés, mais il est difficile d’en réunir un grand nombre. Il faudrait que je reste sur scène un mois non-stop pour faire fonctionner le bouche à oreille et assurer le remplissage des salles. J’ai passé l’âge.
VSD. Comment expliquez-vous le succès de Gad Elmaleh ?
Michel Boujenah. La seule manière de réussir ici, c’est d’être bilingue Comme Gad. Moi, quand je parle anglais, c’est une incitation au suicide ! Gad a raison , il en a l’envie, il travaille dur . On m’a souvent demandé de venir aux États-Unis, j’ai toujours refusé. Je ne voyais pas mon intérêt.
VSD. C’est pour cette raison que vous avez annulé votre venue à New York en décembre ?
Michel Boujenah. Non, j’étais malade. Il n’y a aucune autre raison.
VSD. Se produire sur une scène américaine est un gage de succès en France….
Michel Boujenah. Est-ce que j'en suis au stade de me demander comment avoir davantage de notoriété ? Honnêtement, non. Je travaille sur le territoire francophone, c’est logique. Ça s’est bien passé, le public est debout à la fin. Mais à Saint-Etienne aussi ! Et au moins à Saint-Etienne quand on lève la tête, on voit le ciel ( rires). Arrêtons avec l’exotisme bidon de cette histoire.
VSD. Il parait que ce n'est pas rentable ?
Michel Boujenah. On s’en fiche. C’est amusant. Mais cela coûte cher, même pour les organisateurs qui n’ont aucune aide publique alors qu’ils la méritent ! Il faudrait créer un festival aux États-Unis et réunir toutes les têtes d’affiches au même moment. Il existe une multitude de talents, Gad Elmaleh mais aussi Jeff Panacloc, Dany Boon. Mais honnêtement, c’est plus facile de faire carrière ici dans le cinéma en tant que Français que sur scène.
VSD. Quel regard portez-vous sur la France qui, vue des USA, semble aller si mal ?
Michel Boujenah. Il y a beaucoup de problèmes et pas qu’en France. Vous croyez que Trump est mieux ? On entend toujours critiquer la France mais c’est un problème mondial. On est déjà dans la quatrième guerre mondiale ! Elle existe, ce n’est pas une guerre de territoire, c’est une guerre délirante, horrible.
VSD. En tant que juif tunisien, ressentez-vous un antisémitisme rampant ?
Michel Boujenah. Quand la société va mal, ça va toujours mal contre les juifs. Les juifs sont le thermomètre d’une démocratie. Non seulement ils souffrent, mais tout le pays souffre avec eux. Le résultat du nazisme, c’est une Allemagne coupée en deux, des millions de morts, un pays massacré.
VSD. Pourtant aux États-Unis, Donald Trump tape sur les Mexicains, sur les musulmans, mais pas sur les juifs…
Michel Boujenah. Je pense que le système américain est différent. C'est un pays d’immigrés et une terre d’accueil. Ce n’est pas un hasard si les juifs choisissent de s’exiler. Quand ils sont riches, ils partent aux Etats-Unis, à Miami, à New York. Quand ils sont plus pauvres, ils partent en Israël la plupart du temps. Il ne faut pas oublier que beaucoup de juifs le sont. Ils sont très malheureux de quitter la France. Ils en souffrent. Mais est-ce que je reste, je me bats, et je défends mon peuple ou est-ce que je pars et je laisse tomber tout le monde ? J’ai fait le choix de rester.
VSD. Où étiez vous le 13 novembre ?
Michel Boujenah. J’étais à Chambéry sur scène. Bizarrement, j’avais une rencontre avec le public après la représentation, ce qui est très rare. Il y avait plus de 800 personnes et j’ai commencé à entrer dans un débat. Puis soudainement, mon régisseur est venu me parler à l’oreille pour me demander d’arrêter car mes proches paniqués tentaient de me joindre à Paris. J’ai appris les attentats dans ces conditions. Personne n’est à l’abri.
Propos recueillis par Sandra Muller
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