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SNCF 39-45 : on va peut-être enfin savoir

 

SNCF 39-45 : on va peut-être enfin savoir (info # 010702/12) [Analyse]

Par Raphaël Delpard ©Metula News Agency

 

Nous avons pensé qu’une mise au point était nécessaire, après l’annonce faite par le président de la SNCF, déclarant qu’il allait remettre toutes les archives concernant la déportation des Juifs à trois centres de mémoire de la Shoah.

 

Charles de Gaulle disait « …qu’il faut toujours être en accord avec ses arrière-pensées ». En ouvrant les archives de la SNCF relatives à la déportation des Juifs raflés en France, Guillaume Pépy, le président de la SNCF, est-il en accord avec ses arrière-pensées ?

 

A savoir : par la « magnificence du geste », tenter de reprendre la main dans la polémique régnant autour de l’attitude des chemins de fer français dans les années 39-45, et récupérer ainsi le juteux contrat de la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Los Angeles et San-Francisco ?

 

C’est probable, car les Américains sont extrêmement sensibles à ladite polémique, et n’apprécient guère l’attitude de déni de la SNCF ; mais, n’étant pas dans la tête du président de la société ferroviaire nationale, il m’est difficile d’affirmer péremptoirement quoi que ce soit.

 

La première question qu’il faut poser est de savoir de quelles archives il s’agit ? Louis Gallois, qui présida la société de chemin de fer de 1996 à 2007, avait compris que la SNCF ne pouvait pas continuer de garder ses archives fermées, et que l’un des premiers actes d’apaisement consistait justement à les rendre accessibles aux chercheurs et aux historiens.

 

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Il avait également organisé un colloque, en 2000, à l’Assemblée Nationale, dont le thème était « Le rôle de la SNCF pendant la Seconde Guerre Mondiale ». Mais la réunion n’avait malheureusement pas donné les résultats escomptés. Il n’empêche qu’il s’agissait de deux initiatives importantes qu’il convient de ne pas oublier.

 

Le problème des archives est leur éclatement dans des lieux différents. Le chercheur était donc contraint de courir d’une ville à l’autre pour trouver ce qui pouvait l’intéresser.

 

En posant la question : « de quelles archives s’agit-il ? », je veux être aussi en accord avec mes propres arrière-pensées : les archives à propos du mérite de la traction électrique sur la machine à vapeur abondent.

 

En revanche, pour espérer trouver les « rapports de traction » – c’est-à-dire la feuille de route du conducteur de la locomotive, sur laquelle il devait rédiger ses commentaires à propos du convoi dont il avait la charge –, il fallait plonger dans les caisses jusqu’à la taille.

 

Ce qu’il était, jusqu’à nouvel ordre, interdit d’examiner, c’était, par exemple, la comptabilité des années 1942-1944, les deux années où la déportation fut la plus forte.

 

Christian Bachelier, auquel Louis Gallois avait demandé de rédiger un rapport sur la société pendant les années noires, s’était plaint du refus auquel il s’était heurté, lorsqu’il avait voulu consulter les livres de comptes.

 

Or, nous savons aujourd’hui, par recoupement, que la SNCF gagna de l’argent précisément pendant les terribles années. Mais ce fut "grace au transport de fret avec l’Allemagne", affirment ceux qui essaient de couvrir la compagnie ferroviaire à n’importe quel prix.

 

Et les convois de la déportation, sous quelle enseigne apparaissent-ils dans les colonnes de la comptabilité ? C’était aussi du fret !

 

Reste que, si nous savons de quelle manière les convois ont été organisés, mon film en fait la démonstration, nous ignorons toujours dans quelle caisse ou dans quelle poche l’argent versé par les Allemands en contrepartie des convois a-t-il pu atterrir.

 

Tant qu’il ne sera pas répondu à cette simple question : « quelle est la nature des archives que le Président Guillaume Pépy va remettre ? », on demeurera au niveau du bavardage.

 

Cependant, essayons d’analyser les raisons de la méfiance exprimée par Madame Rositta Kenigsberg, vice-présidente du Centre de recherches dédié à l’Holocauste aux Etats-Unis.

 

Mme Kenigsberg suppose que le geste de Guillaume Pépy participe d’une sorte de manigance de sa part pour relancer les pourparlers au sujet de la construction de la ligne Los Angeles-San-Francisco.

 

C’est vrai qu’il s’agit d’un sacré contrat, et que les sociétés de l’Hexagone n’ont quasiment aucune chance de l’emporter tant que la France n’aura pas fait toute la lumière sur le rôle de sa société nationale de chemin de fer dans le transport des Juifs vers leur extermination.

 

Je crois qu’il ne faut, effectivement, pas aller chercher plus loin que le bout de son nez et répondre : oui.

 

Mais il importe également d’ouvrir son esprit. Pépy est né en 1958, il n’a donc rien à voir avec le drame des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale. Il agit en premier lieu en chef d’entreprise soucieux du développement des intérêts dont il a la charge.

 

Qu’y a-t-il de répréhensible à cela ? Rien !

 

La morale n’est pas bafouée. On peut aussi légitimement espérer que cet homme désire en finir avec le climat de suspicion régnant entre une catégorie de citoyens français et l’entreprise nationale. Rappelons que Pépy fit publiquement acte de repentance, il y a peu de temps, à la gare de Bobigny, d’où partait la majorité des convois, et qu’il s’était rendu auparavant, seul, visiter Auschwitz.

 

En 2009, tandis que je présentais mon film Les convois de la honte, des historiens m’avaient approché et m’avaient invité à les rejoindre dans leur combat. Depuis des années, ils se battaient pour que la gare de Bobigny devienne un musée. Aujourd’hui, c’est chose faite !

 

On ne peut pas accabler les dirigeants des chemins de fer français de la même manière lorsqu’ils se taisent que lorsqu’ils agissent.

 

Je sais qu’aux Etats-Unis, des avocats, des députés et des responsables d’associations ne seront jamais satisfaits tant que la SNCF n’aura pas mis la main à la poche. Ceci pose débat. La reconnaissance de la faute, même si elle est exprimée avec une arrière-pensée, ne vaut-elle pas à elle seule autant qu’une poignée de billets ?

 

Mais quel que soit le débat à propos de la manière dont la SNCF doit faire amande honorable, la question qui reste primordiale est : de quelles archives s’agit-il ?

 

Une fois encore des archives inexploitables, en trompe l’œil ? Elles ne feraient qu’irriter davantage les familles des victimes de la SNCF et l’opinion publique US. Les archives permettant d’attribuer les responsabilités ? Le TGV aurait une chance d’atterrir aux Etats-Unis. Et surtout, la France officielle pourrait enfin espérer tourner une page ensanglantée de son histoire. Même si, comme on s’y attend, ce que l’on trouvera au fond des coffres sera loin d’être reluisant.

 

On retiendra de cette résurrection de la polémique, qu’il aura sans doute fallu qu’un contrat juteux se profile à l’horizon, pour amener la France à faire la paix avec une partie de sa conscience. L’appât du gain : une caractéristique longtemps attribuée fallacieusement aux Israélites, notamment par ceux qui géraient les convois de la honte. Non ? 

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Les archives sont consultables au site du Mans

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