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Tunisie : Attention à la colère des affamés

Attention à la colère des affamés

 

Par Mourad El Hattab

On peut affirmer, preuves chiffrées à l’appui, qu’une frange de tunisiens n’arrive plus, aujourd’hui, à subvenir à ses besoins alimentaires de base. Le risque est de taille mais il est largement sous estimé. La pauvreté, la faim et ce qui en découle comme sentiment de frustration entraînent la colère. Les réactions des affamés sont ravageuses, cassantes et destructrices.

C’est peut-être, pour la première fois, qu’on évoque dans notre pays le problème de la faim, et pour cause, le taux de pauvreté en Tunisie s’élève actuellement à 24,7%. Ce taux a été établi selon des standards qui fixent le seuil de la pauvreté uniquement en tenant compte du revenu (2 dollars U.S par jour et par tête d’habitant). 

L'indice de pauvreté en question n’est pas multidimensionnel puisqu’il ne prend pas en considération plusieurs paramètres à l’instar de la l’habillement, de l’habitat, des années de scolarité, de l’accès à l’eau potable, de la possession de biens mobiliers, etc. 

Au vu de ces éléments, la Tunisie est classée, présentement, dans la carte de la faim dans le monde de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans la catégorie 1 sur 5 en termes d’existence de populations en sous alimentation. En 2000, on n’était pas classé. Actuellement, le pays est proche de quelques zones africaines, de l’Amérique latine et même de certaines régions du Sud-est asiatique. 

La problématique tunisienne

Selon La FAO, la prévalence de la malnutrition s’est située en Tunisie, durant la période, 2011-2013, dans la fourchette statistique de 5%. La malnutrition est définie par plusieurs chercheurs, spécifiquement, en Tunisie, par rapport à la quantité limite de nourriture disponible par habitant et par jour en minimum de 2200 calories, la faim chronique correspond quant à elle à un seuil inférieur à 1500 calories.

Selon les approches économétriques, en Tunisie une ration alimentaire limite composée à partir des produits usuellement consommées se décrit selon les pondérations suivantes : 62% de calories glucides, 28% de calories lipidiques et de 10% de calories protidiques. A partir de l’adossement de ces coefficients aux prix courants des aliments de première nécessité, la ration coûte dans les environs de 3 dinars et 583 millimes.

Revenant maintenant aux derniers chiffres de l’Institut national de la statistique, le seuil de pauvreté extrême, a été fixé, en 2010, à 757 dinars par an et par individu dans les grandes villes contre 571 dinars dans les zones rurales, ainsi 75,4% de la population en extrême pauvreté est dans une situation de sous alimentation.

Si on prend en compte les ménages dans la pauvreté aux sens supérieur et limite, le taux sera de 48,7%. Ceci dit, 1 million 287 mille Tunisiens souffrent de la sous alimentation, ceux qui souffrent de difficultés graves et chroniques pour subvenir à leurs besoins organiques sont 1 million 928 mille.

Bien évidemment, les causes de cette situation sont multiples et reliées, elles peuvent être synthétisées en deux types d’inaccessibilité : l’inaccessibilité économique, quand la nourriture est disponible mais trop onéreuse et l’inaccessibilité physique ou géographique, quand la nourriture n’est simplement pas abondante. Ces deux types d’inaccessibilité trouvent leurs causes essentiellement dans le manque de débouchés pour les cultures locales, l’urbanisation anarchique, le dérèglement des systèmes d’approvisionnement, l’ampleur de la dette extérieure et la dépendance alimentaire.

A cela se sont ajoutés en Tunisie, les effets du choc des événements du 14 janvier 2011 ayant entraîné le délabrement des structures de régulation, le chaos économique, la dislocation de secteurs clés tels que l’agriculture et le tourisme en plus d’une «gouvernance» sociale inqualifiable.

Les conséquences de la sous-alimentation compromettent le développement physiologique, elles constituent une entrave au processus d’apprentissage, résultant en une accumulation de difficultés scolaires, elles entraînent des pertes de productivité, un manque à gagner économique en terme global et des troubles associés et elles occasionnent d’importants coûts de santé. 

Risques encourus

Amnésiques ou en perte de connaissance des signaux déclencheurs des révoltes de la pauvreté et de la faim, nos «officiels» montrent une arrogance et une attitude choquantes. Ils prétendent maîtriser toutes les situations économiques et sociales et qu’importe la condition d’écrasement des classes vulnérables condamnées depuis une certaine période à un silence qui précède, généralement, les tempêtes.

En première composition, rappelons qu’hier comme aujourd'hui la succession des faits paraît se déployer selon une trame inévitablement analogue. Quand les émeutes débordent, c'est inéluctablement à la suite d'une annonce d’augmenter les prix des produits alimentaires de première nécessité et similaires qui sont couramment subventionnés par le biais du système budgétaire de compensation pour rétablir l’«authenticité» des prix.

L’application d’une «politique d'assainissement et d'austérité» à tort présentée comme dictée au pied de la lettre par les organisations dites d'aide internationale motivée, largement, les décisions précitées pour soi-disant essayer d’éviter une déclaration en faillite suite à un surendettement externe, un service de la dette insoutenable et des effets conjugués d’augmentation des taux d'intérêt et de dépréciation vertigineuse de la monnaie nationale.

En deuxième constatation, à défaut de mécanismes de régulation visant un apaisement social artificiel, dans les conditions précitées, se heurtent à un élément important lié à la valeur de la reproduction de la force de travail et ce, dans un contexte de contradiction flagrante entre la gestion d’une pression financière extérieure permanente et une volonté d’apparence «folklorique» pour convaincre les populations que tout ce qui se fait est motivé dans le souci de garantir leur bien-être moyennant sacrifice.

Ainsi, on peut déduire que les émeutes de la faim sont révélatrices de la question paradoxale de l’abandon de la souveraineté nationale, d’une part, et de la renonciation aux besoins de la reproduction de la force nationale du travail, d’autre part.

Enfin, C'est également à l'occasion des insurrections souvent imprévisibles des pauvres et des affamés que la politique nationale des prix et salaires contre revenus et profits perd son apparence d’une indépendance déguisée et dévoile sa subordination étroite à la dialectique globale d'un système international qui dépasse et dirige les infra-systèmes de certains pays.

Au cœur de l’équivoque, il y a bien entendu la remise en cause du système de gouvernance, sa constitution, ses fonctions par rapport au parallélisme entre les sommations du capital financier international et les alternatives de serrer la consommation des populations pour conserver le système de ponction rentier. La mission des «dirigeants» se résume donc à la dépossession des producteurs de leurs moyens de subsistance, mais aussi la dépossession de l'Etat de ses moyens d’agir ..

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