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Tunisie, la laïcité en danger ?

 

Tunisie, la laïcité en danger ?

par Frida Dahmani, à Tunis

 

Dans un paysage politique en recomposition, les citoyens s’initient à la démocratie. La question de la place de la religion cristallise les tensions, à trois mois de l’élection d’une Assemblée constituante.

Désormais, en Tunisie, les débats politiques sur les prochaines échéances électorales dament le pion aux matchs de football. Mais au sortir d’une manifestation, Ali, architecte, est désenchanté : « Ben Ali a su nous unir, nous avons fait bloc contre lui, et maintenant nous sommes divisés. Et il est malheureusement clair que la primauté est donnée à la politique et non aux aspirations du peuple. »

Depuis le 14 janvier, la Tunisie tangue sous le souffle d’une révolution qui a fait apparaître une société civile vigilante, composée d’innombrables associations citoyennes et humanitaires ainsi que d’une cinquantaine de partis politiques. Quels sont les objectifs de ces derniers ? À quoi servent toutes les commissions qui ont été instituées ? Quel serait le bon mode de scrutin alors que l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution vient de présenter son projet de décret-loi pour l’élection de la Constituante ? Quelles sont les chances d’instaurer une véritable parité hommes-femmes ? Quelle place réserver aux anciens caciques du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, l’ancien parti au pouvoir, désormais dissous) dans les prochaines institutions ? Ces questions troublent les Tunisiens, qui s’initient à la démocratie tout en craignant de perdre certaines de leurs libertés. 

Double discours

Appelés à voter pour former une Assemblée constituante le 24 juillet, ils ont pleinement conscience des enjeux, alors que la plupart feront valoir, souvent pour la première fois, leurs droits d’électeurs.

Durant l’ère Ben Ali, le RCD avait en main toutes les cartes du jeu politique. Aujourd’hui, elles sont redistribuées. Mais au profit de qui ? « Le RCD n’est plus, mais ses membres n’ont pas disparu, ils étaient près de 2,5 millions, remarque Kamel, ancien militant syndicaliste. Des responsables du RCD ont créé des partis. De toute évidence, ils pensent récupérer des sympathisants. Mais le plus inquiétant, c’est la division des Tunisiens entre pro- et anti-Ennahdha : en l’absence d’autres leaders, c’est le parti islamiste qui occupe la scène. »

Ce mouvement cristallise, en effet, toutes les craintes des militants des droits de l’homme et de la laïcité : si Allah s’en mêle, la Constituante pourrait conduire à une catastrophe. L’intrusion dans le jeu politique d’Ennahdha, absent de la révolution, suscite un malaise, car le parti utilise la foi comme instrument politique. Après avoir fait profil bas, clamé leur adhésion à la démocratie et promis de préserver tous les droits et libertés acquis, y compris ceux des femmes, ses militants ont investi aussi bien les mosquées que les anciennes cellules du RCD.

Religion d’état ?

Leurs réseaux mis en place, certains dirigeants du parti islamiste ont changé de ton et ne cachent plus leur projet de « réislamiser » la Tunisie avec une application graduelle de la charia, même au niveau économique. « Nous avons été persécutés sous Ben Ali et nous continuons à être victimes de l’intolérance, proteste Hela, une étudiante en économie qui arbore un niqab depuis la révolution. Nous devrions être libres d’être ce que nous sommes. »

Le regain de popularité d’Ennahd­ha a été conforté par les apparitions spectaculaires de salafistes affichant des slogans prônant un retour au califat et à l’obscurantisme. De quoi effrayer tout pratiquant pieux rejetant la violence. Vient ensuite le malentendu autour de la laïcité, devenue le grand enjeu postrévolutionnaire. Le premier article de l’actuelle Constitution dispose que « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la République ».

Mais qui, de la Tunisie ou de l’État, a pour religion l’islam ? Sur ce point, progressistes et islamistes s’opposent dans la perspective de l’Assemblée constituante. Les partis politiques plus anciens, eux, se taisent tandis qu’Ennahdha laisse croire que la laïcité revient à bannir la religion de la société. Maya Jribi, secrétaire générale du Parti démocratique progressiste, est pratiquement la seule à démonter le double discours du mouvement islamiste, alors qu’Abdelaziz Belkhoja, du Parti républicain, veut rassembler les forces progressistes sous une bannière unique.

Si Ben Ali a exploité la menace islamiste pour étouffer la société, cette même société doit aujourd’hui s’émanciper, se remobiliser autour d’idéaux partagés par le plus grand nombre. Le défi est immense. « Il faut interpeller le peuple, affirme l’avocate Bochra Belhaj Hmida, figure de l’Association tunisienne des femmes démocrates. On ne peut plus permettre qu’une minorité mène le jeu ; c’est le contraire de la démocratie que nous voulons. » Et il y a urgence, selon Fayçal, un habitant de Tataouine : « Méfiez-vous de la démocratie des ventres vides ; sinon, cette démocratie sera bradée pour une poignée de dinars, le 24 juillet prochain. »

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