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Tunisie - Les étudiantes de l’ombre

 

Tunisie - Les étudiantes de l’ombre

 

« Nous sommes loin des objectifs pour lesquels, les jeunes ont fait leur révolution ». Telles furent les paroles, pleines d’amertume, d’une étudiante qui observe les groupes de jeunes fondamentalistes criant « Allahou Akbar » dans l’enceinte de l’université des Lettres et des Humanités de la Manouba.
Cette faculté qui vit des heures graves avec cette sortie d’étudiantes, toutes de vêtues de tenues sombres et sorties d’on ne sait comme s’il s’agissait d’une opération de diversion afin de faire de l’ombre à ce qui se passe dans les couloirs de la Constituante où c’est l’avenir de la Tunisie qui se joue.

Matinée du lundi 28 novembre, début des examens du premier semestre universitaire. Les étudiants et professeurs pressent le pas, direction la faculté des Lettres et des Humanités de La Manouba. Coup de théâtre : un groupe d’étudiants bloque le passage et empêche l’accès aux salles d’examen.
Revendications : une salle de prière à l’intérieur de l’université et l’autorisation du port du niqab dans les salles de cours et d’examen, du moins, pour la minorité d’étudiantes qui arborent cette tenue noire.
Cette agression serait survenue suite à l’exclusion d’une des étudiantes qui portait le niqab, à laquelle on avait interdit l’accès aux salles d’examen. Les étudiants fondamentalistes, auteurs des revendications, parlent même « d’agression à l’encontre de ladite étudiante et de profération de propos injurieux ». D’autres étudiants affirmeraient, quant à eux, que ladite étudiante aurait « refusé de se soumettre au contrôle d’identité (par un membre féminin du corpus universitaire) et qu’elle avait également refusé de présenter un document prouvant son identité ».
Il est à rappeler qu’au début du mois de novembre, un conseil scientifique a été tenu au sein de l’université des Lettres et des Humanités de la Manouba, suite aux agressions dont a fait l’objet un des enseignants. Ce dernier aurait refusé d’assurer le cours à une personne non identifiée. Au terme de ce conseil, les responsables ont décidé d’interdire le port du niqab en classe.

A la lumière des derniers événements survenus au sein de l’université, un autre conseil s’est réuni mardi 29 novembre, émettant la décision de suspendre les cours et les examens pour la journée du mercredi 30, « dans le but de protéger les étudiants de la faculté ». Une décision que les étudiants sit-inneurs semblent refuser « afin de ne pas priver les étudiants de leurs droit au déroulement des cours et des examens ».
Le doyen de l’université, Habid Kazdaghli, avait accepté de rencontrer les représentants des étudiants fondamentalistes et de discuter avec eux, en essayant de les raisonner et de leur expliquer le contenu du communiqué, publié à l’issue de la réunion du conseil du mardi 29.
Cependant, le doyen ne cède pas. Sa réponse se fait sans détour en faveur d’une université neutre, ouverte uniquement aux étudiants et enseignants et n’acceptant aucune intrusion de personnes étrangères. Le port du niqab dans les salles de cours étant également formellement interdit par le règlement intérieur.

La situation ne cesse de s’envenimer. Le doyen, certains fonctionnaires, professeurs et étudiants, sont, selon les dires de M. Kazdaghli, pris en otage dans les locaux. Pis encore, les envahisseurs auraient même ramené des matelas pour squatter les lieux, jusqu’à tard dans la soirée.
Jusqu’à la soirée d’hier, M. Kazdaghli était « séquestré dans son bureau », selon certaines sources qui restent à vérifier, et on nous informe aujourd’hui, qu’il s’est fait agresser. Il déclare avoir été « poussé et jeté par terre », chose que les étudiants fondamentalistes démentent. M. Kazdaghli déclare également ne pas vouloir faire appel aux forces de l’ordre, fier de la suppression des bureaux de police dans l’enceinte universitaire, depuis le 14 janvier.
Un scénario devenu presque habituel et qui nous rappelle les incidents similaires, survenus, quelques semaines plus tôt, dans la faculté des Lettres de Sousse, pour une même affaire d’interdiction du port du niqab à une étudiante. En novembre, des étudiants ont essayé d’interdire la mixité à un restaurant universitaire de Gabès.
Marques d’une impasse persistante et violente à laquelle fait face l’enseignement universitaire depuis peu.

Par delà le port du voile intégral, l’interdiction de la mixité dans les universités ou les restaurants universitaires, certains intégristes semblent vouloir, aujourd’hui, imposer leur vision du monde et remettre en cause les libertés et les acquis modernistes.

Mais d’où vient donc cet habit ? Une tenue qu’on n’avait, auparavant, jamais remarquée dans nos rues, même il y a quelques mois déjà.
Un habit qui ne fait pas partie des habitudes et coutumes de la société tunisienne et qui a été emprunté à des populations étrangères et lointaines à notre culture, par excès de zèle de certains.

Les libertés n’ont certes rien à avoir avec les coutumes. Le peuple tunisien, longtemps refoulé, a ouvert les yeux, pour la première fois depuis une cinquantaine d’années, sur une nouvelle démocratie fraîchement acquise qui promet de lui offrir, désormais, toutes les libertés d’expression et de culte, sans aucune discrimination ni oppression. Du moins en théorie…
Mais cet habit, pour le moins dérangeant, fait-il partie de la liberté du culte ? Est-ce réellement dicté par la religion ?
Pour ne pas sombrer dans des considérations religieuses dont nous ne sommes ni habilités ni équipés pour en débattre, il est tout de même important de rappeler que, selon la majorité des savants de l’Islam, le port du voile intégral, ainsi que tout habit susceptible de cacher le visage et les mains de la femme, serait interdit lors des rites du pèlerinage et même lors de la prière.
Le port du voile intégral, vu par certains comme une liberté, est considéré par d’autres comme une interprétation misogyne des textes sacrés, auxquels on peut faire dire tout et son contraire. Ceci dit, ce n’est pas l’islam ou la liberté du culte qui est visée dans ce débat.
Faire disparaître les femmes du paysage n’implique-t-il pas une totale redéfinition des règles de notre société ?
Une femme dont le visage est « masqué » peut-elle toujours avoir les mêmes droits élémentaires que d’aller chercher ses enfants à l’école, sans être prise pour un kidnappeur, ou de se présenter à un guichet bancaire, sans pour autant, être une menace de fraude.
Est-ce que le droit à l’identité est négociable ? Faut-il établir une loi qui empêche le visage des femmes de disparaitre ?
Il y a là lieu de s’interroger sérieusement sur une légalisation aussi délicate. A-t-on le droit, au nom de la liberté, d’assiéger une université et de prendre en otage ses occupants ?
Autres questions suscitant l’intérêt : La priorité est-elle à la sécurité ou à la liberté des cultes et de l’expression ?
Une sécurité que certains voient comme un « prétexte », invoqué par certains pour imposer la laïcité à une société qui vient d’opter pour un mouvement islamiste et une relative charisation des lois et des règles.
Tous s’accordent à dire, cependant, que la violence, quelle que soit sa forme, est nulle et non avenue dans une société en plein désarroi, qui cherche encore ses repères.

A l’heure où nous statuons sur des considérations et des questions aussi « existentielles », une nouvelle constitution est en train de voir le jour. Ce débat instrumentalisé et sorti de son contexte, survient à un moment où l’actualité majeure est l’édification de la deuxième république.
Voilà que l’opinion publique est, encore une fois, détournée au profit d’une problématique, qui n’avait auparavant jamais été posée dans le pays. Cette histoire ne serait-elle pas un simple leurre cachant des manipulations de politique politicienne, plutôt subtiles ? Les femmes de l’ombre veulent-elles sortir à la lumière et voir tous les regards braqués sur elles ?
En attendant, les forces politiques qui s’apprêtent à gouverner le pays demeurent étrangement muettes face à ces épisodes pour le moins inquiétant…Synda TAJINE

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