Tunisie : les femmes dans la rue pour défendre leurs droits
Charlotte Anglade
Alors que la Tunisie célèbre chaque 13 août « la journée de la femme », des milliers de Tunisiens et Tunisiennes ont manifesté lundi soir à Tunis pour le respect des droits de la femme. En cause : un article de la future Constitution présenté par les islamistes au pouvoir. Ce texte stipule que « l'État assure la protection des droits de la femme, de ses acquis, sous le principe de la complémentarité avec l’homme au sein de la famille ».
Une régression dénoncée
Cet article n'a pas encore été voté en séance plénière, mais, à l'occasion de l'anniversaire du Code du statut personnel - une série de lois progressistes instaurée le 13 août 1956 - les Tunisiennes entendent bien dénoncer ce qu'elles considèrent comme une régression.
L'article ne reconnaît pas la femme comme étant « un être indépendant » et « vient consacrer une approche paternaliste qui donne à l’homme un pouvoir absolu tout en reniant à la femme son droit de citoyenne à part entière », dénonce un collectif, regroupant entre autres l'« Association tunisienne des femmes démocrates » et la « Ligue tunisienne des droits de l’homme ».
Alhem Belhadj, présidente de l'« Association tunisienne des femmes démocrates » s'inquiète du nouveau statut de « complémentarité » accordé aux femmes. « Présenter la femme comme " en complémentarité avec l’homme ", confie-t-elle au Parisien, consiste à la définir seulement en fonction de son mari et non pas comme un individu à part entière. Il s’agit d’une vision stéréotypée et d’une régression que nous ne pouvons accepter. Nous craignons que cet article ouvre la voie à d’autres lois contre les femmes. La notion de complémentarité pourrait être utilisée pour définir des rôles précis, par exemple obliger la femme à rester à la maison pendant que l’homme travaille. Ce que nous voulons, c’est l’égalité dans la Constitution, pas la complémentarité ! »
Des milliers de manifestants et une pétition
Les manifestants, massés devant le Palais des congrès de Tunis et sur l'avenue Habib-Bourguiba, où le défilé n'était pas autorisé, ont exigé que l'égalité des sexes, instaurée depuis l'indépendance de 1956, soit maintenue par le parti des islamistes modérés Ennahda. Tandis que pancartes et banderoles affichaient « Nous exigeons l'annulation pure et simple de l'article 28 » ou encore « Touche pas à mes acquis !!! », les manifestants scandaient « La Tunisienne est libre ! Jebali, Ghannouchi dehors! (ndlr. le Premier ministre Hamadi Jebali et le chef d'Ennahda Rached Ghannouchi) ». Une pétition intitulée « La femme est une citoyenne au même titre que l’homme » a déjà rassemblé plus de 16 000 signatures.
A Sfax, (260 km au Sud de Tunis), un millier de personnes ont défilé sous le même mot d'ordre, a constaté un journaliste de l'AFP. Des femmes tunisiennes se sont également rassemblées à Paris.
Les réseaux sociaux s'emparent des revendications
Maya Jribi, secrétaire générale du Parti républicain, estime que « l'avenir (de la Tunisie) n'est plus envisageable sans la femme ». De nombreux citoyens et journalistes lui font écho sur Twitter, l'évènement ayant été largement relayé.
Olfa Khamira, une journaliste franco-tunisienne se désole : « Ce 13 août 2012 est un jour triste pour la femme tunisienne. Au lieu de fêter notre émancipation, nous luttons contre sa régression. ». Une citoyenne déchante : « Naïve que je suis, après le 14 janvier 2011, j'ai cru que j’irai dans la rue pour demander la révision du CSP. Aujourd'hui, on demande à le préserver »
Ces manifestations d'opposition à Tunis sont les plus importantes depuis une marche interdite et violemment dispersée en avril sur l'avenue Habib Bourguiba. Dans un communiqué diffusé lundi, le parti Ennahda a tenu à se défendre, estimant que les reproches lui étant adressés sont le résultat « de confusion, voire même de provocation et d'exagération ».
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