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Une passionnante lecture politique de la Bible Par Marine Journo

 

Une passionnante lecture politique de la Bible (info # 011001/13) [Analyse d’une œuvre]

Par Marine Journo © Metula News Agency

 

Quelle influence politique la Bible a-t-elle eue sur les communautés humaines ? Cette question se trouve au cœur de La liberté des hommes, un ouvrage à paraître aujourd’hui chez Odile Jacob1. La « lecture politique de la Bible » d’Armand Laferrère, l’auteur, s’avère aussi instructive qu’intéressante.

 

Il résume globalement son analyse de la façon suivante : « La Bible a légué à l’humanité le principe que tout pouvoir politique doit être limité, parce que la tendance de la nature humaine à faire le mal interdit de trouver une solution satisfaisante à la question politique ».

 

L’auteur détaille cette théorie et le parcours qui l’a conduit à parvenir à cette conclusion en s’appuyant principalement sur les textes de l’Ancien Testament. C’est au cours de cette exégèse que l’on s’aperçoit que les cinq livres qui composent la Torah regorgent de principes d’organisation du pouvoir politique, lesquels ont largement inspiré les sociétés humaines jusqu’aujourd’hui.

 

Voyons d’abord ce qui a amené Armand Laferrère à formuler ces deux postulats de départ, à savoir la nécessité de limiter le pouvoir et l’imperfection humaine. En fait, il s’avère que les deux sont liés.

 

Il appuie l’hypothèse selon laquelle l’homme est enclin à faire le mal sur l’évocation de personnages de la Torah, de Caïn qui assassine son frère Abel, jusqu’aux juges2 et aux monarques.

 

Les rois de la Bible, d’ailleurs, apparaissent tels des hommes comme les autres, chargés de leurs vices et de leurs défauts. L’écrivain n’épargne pas le Roi David : bien qu’il reconnaisse sa grandeur, ses prouesses et ses nombreuses qualités, il ne fait pas l’impasse sur ses errements. Heureusement, l’homme ayant été conçu à l’image de Dieu, l’espoir qu’il s’améliore est permis.

 

C’est justement du fait de cette nature humaine imparfaite que le pouvoir doit être limité : confier le pouvoir, dans son intégralité (militaire, judiciaire, législative) à un seul homme s’avèrerait dangereux.

 

Par quoi passe alors la raisonnable limitation du pouvoir ? C’est là qu’intervient l’un de ces principes fondateurs de toute société moderne, dont l’on parlait plus haut : la séparation des pouvoirs, qui est aujourd’hui appliquée dans les régimes démocratiques.

 

On trouvera également dans l’Ancien Testament d’autres règles fondatrices des sociétés éclairées, telle l’égalité entre les hommes et la liberté – de parole d’abord, puis dans son sens le plus général. En fait, la lecture des textes bibliques conduit l’auteur à mettre en avant que ce sont les Hébreux qui, pour la première fois, ont consacré l’individu en tant qu’entité indépendante et libre, à l’opposé de la notion de peuple uni, aux protagonistes indifférenciés.

 

La Torah incarne ainsi un véritable traité de philosophie politique en tout point moderne, farouchement opposé à toute forme d’autocratie, et dont les enseignements sont atemporels. Une leçon politique à l’origine de pratiques visant à protéger un peuple, à conserver son identité, et à maintenir une société juste et saine.

 

Prenons un exemple concret pour illustrer cette atemporalité. Au chapitre 2, Comment créer et défendre un peuple, on trouve le « sentiment d’une humanité commune », ainsi que le formule Armand Laferrère. Il s’agit d’une valeur morale qui dicte aux Hébreux une attitude respectueuse à l’égard de tout homme, y compris de leurs ennemis. Cela passe par un refus de diaboliser ces derniers, mais aussi par une grande précaution lors des guerres : il s’agit de « gagner des batailles » tout en protégeant les « populations civiles ennemies ».

 

Une ligne de conduite qui n’a pas pris une ride, au regard de Pilier de Défense, l’opération militaire menée contre la Bande de Gaza en novembre 2012 ; on a pu noter, durant ce conflit, le point d’honneur qu’a mis Tsahal [l’Armée de défense d’Israël] à éviter au maximum les victimes collatérales. L’armée procédait ainsi à des tirs ciblés, ou frappes chirurgicales, qui n’ont anéanti, dans la plupart des cas, que la cible visée.

 

En comparant cette manière qu’ont les Juifs de se comporter durant les conflits avec la barbarie dont on est témoin à l’occasion de la Guerre Civile syrienne, à 300 km de Gaza, on obtient une clé permettant d’évaluer la pertinence actuelle de préceptes de la Bible.

 

Si le dessein de l’auteur consiste à réaliser une lecture politique de la Bible, il n’en reste pas moins que ce récit propose, au passage, d’en (re)découvrir certains des textes fondateurs, expliqués et commentés par l’auteur.

 

La fameuse histoire de la Tour de Babel, par exemple. Pourquoi Dieu a-t-il décidé d’annihiler la construction en cours entreprise par le roi Nemrod ? Penser que la raison en est qu’Il se sentait menacé par les hommes se trouve infirmée par Armand Laferrère qui, fort des leçons tirées de l’analyse du texte dans son ensemble, propose une explication différente et intéressante.

 

L’œuvre regorge d’anecdotes, pendant qu’on assiste à la création du peuple hébreu et à son évolution. Puis à la naissance du christianisme, narrée dans le Nouveau Testament – que l’auteur, dans une tradition protestante revendiquée, assimile à la suite logique de la Torah. Le tout dans un style concis et humble, malgré la quantité d’informations livrée au lecteur.

 

Armand Laferrère commente les passages centraux de la Bible avec une distance salutaire, qui laisse parfois place à des notes d’humour. Dans la sous-section « Le prophète Amos, ou l’invention de la gauche ? » (Chapitre 6, Les Prophètes d’Israël avant l’exil à Babylone) notamment, l’on découvre que le communisme contemporain, en principe farouchement antireligieux, pourrait bien puiser certains de ses principes fondateurs dans la Bible.

 

D’ailleurs, parler de « gauche » pour désigner les préceptes prônés par un prophète relève d’un anachronisme téméraire, à l’instar de la « Realpolitik » d’Esaïe ; un procédé habile de la part de l’écrivain, qui renforce l’idée selon laquelle une grande majorité des stratégies contemporaines de l’exercice du pouvoir est déjà présente dans la Bible.

 

L’objectivité d’Armand Laferrère contribue, elle aussi, à la qualité du livre : il n’hésite pas à dresser des portraits peu glorieux des grandes figures bibliques, de la Torah comme du Nouveau Testament. Ainsi, le mode de vie des apôtres, juste après la mort de Jésus, est comparé à celui d’une secte !

 

Pour nous résumer, La liberté des hommes propose une lecture complète, riche, intelligente et didactique, qui insuffle à la Bible un réalisme prenant, doublé de modernité, qui peut sans difficulté se voir transposer dans les sociétés modernes. Des sociétés qui, et l’auteur le déplore à de nombreuses reprises, gagneraient probablement à s’inspirer d’avantage des leçons tirées d’une lecture politique de la Bible.

 

 

 

Notes :

 

1Armand Laferrère, La liberté des hommes. Lecture politique de la Bible, éditions Odile Jacob, 304 pages, 23,90 €, sortie aujourd’hui, 10 janvier 2013.

 

2Les « juges », Shofetim en hébreu, durant le régime des Juges, après l’installation des Hébreux en terre de Canaan au XIIIème siècle avant J.-C., sont des chefs guerriers issus de chaque tribu. A ce moment, et durant trois siècles, il n’existe pas de pouvoir central au sein du peuple hébreu. 

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