BRISURE ET ECRITURE CHEZ EDMOND JABES
DR NADINE SHENKAR
‘’Difficulte d’etre juif qui se confond avec la difficulte d’ecrire; car le Judaisme et l’ecriture ne sont qu’une meme attente, un meme espoir, une meme usure.”
Comme dans la dialectique talmudique, tout commence par une question, d’ou la multitude de voix qui chez Jabes et dans le Talmud posent la question de l’ecriture comme ‘’ brisure des vases’’.
Les Tables de la loi furent, dans le desert, brisees la premiere fois.
Desert qui en hebreu a le nom de MIDBAR, medaber//, lieu de la parole et de l’ecoute.
Car , sans la brisure, l’essence de la parole ne saurait etre supportee, sa lumiere nous aveuglerait…..
‘’N’oublie pas que tu es le noyau d’une rupture”.
Le desert est ouverture, separation definitive de l’univers concentrationnaire de l’Egypte, et du dogmatisme. Il est liberte.
“Parole d’une parole d’horizon a laquelle nous sommes rives depuis le premier livre: ce livre hors du temps , que le temps cependant, sans l’alterer, perpetue, se perpetuant soi-meme en lui.”
Aussi, ecrit Jabes, le juif se penche sur le livre ‘’sachant toujours que le livre reste a parachever dans ses vocables et ses silences. Lire serait, venu a bout de sa ressemblance, briser dans le mot les barrieres de nos appartenances, afin de le rendre intact a son initiale et limpide purete.”
Dieu s’est retire du Livre, et l’homme doit lentement dechiffrer Dieu et le Livre dans la solitude, la brisure, et la question.
‘’Dans cette perspective,le mot Dieu serait-il le mot le plus vide du vocabulaire? Vide si completement que l’univers de l’homme et l’infini de son ame y peuvent trouver a tout moment leur place?’’
‘’Dieu est absence du livre et le livre le long dechiffrement de son absence.
Le Livre n’est tout au long de ses pages que brisures repetees.Le vocable est serti dans la brisure; et les Tables de la loi demeurent le modele inconteste du livre car chaque page du livre est la brisure promise a la legibilite.’’
Le juif est livre, il ecrit le Livre, dans son infinie interpretation du Livre.
‘’Je dis qu’ecrire est un acte revolutionnaire, scrupuleusement juif, car il consiste a prendre la plume la ou Dieu se retira de ses mots; et a poursuivre indefiniment un utopique ouvrage a l’instar de Dieu, qui fut le tout du texte dont il ne subsiste rien.’’
La vie du juif est essentiellement dans le livre, questionnement du livre.Ainsi le Shabbat est-il pour Jabes’’un jour retire du livre, mais sans doute encore dans le livre comme espace immacule, comme interligne. Ce jour-la, le juif n’est pas dans les mots du Livre mais a l’ombre de ceux-ci”
L’ouverture pour le juif fut d’abord “celle que le desert offrait a la parole de son Dieu”.. L’ecoute du desert est jaillement de la parole, emergence du vocable. SHEMA ISRAEL. Ecoute , Israel les paroles de ton Dieu, ecoute le silence,’’Car c’est dans le silence que Dieu parle a sa creature.C’est avec une parole nourrie de ce silence que le juif repond a son Dieu”
Les deux solitudes, celle de Dieu et celle de l’homme se retrouvent face a face. Chaque juif est seul dans sa lecture originale du Livre, dans l’au-dela des mots.
Torat- ha Nistar, la voie du cache. Ecrire, n’est ce pas pour Jabes,dechiffrer l’invisible des mots, le secret du verbe?
‘’ Ecrire est la tentative suicidaire d’assumer le vocable jusqu’a son ultime effacement, la ou il cesse d’etre vocable pour n’etre plus que trace relevee, blessure d’une fatale et commune rupture: celle de Dieu avec l’homme et celle de l’homme avec la Creation.’’
Dieu faisait donc de son peuple un peuple de pretres, c’est a dire un ‘’ peuple de lecteurs”
Le livre comme seul lieu de la liberte, parole primordiale, ou ‘’ le chemin est toujours a trouver……….”
La liberte est justement, comme disait le Rav Nahman de Braslav,la faculte de pouvoir s’egarer, de devoir s’egarer. Et le juif se meut entre sa fidelite absolue au texte et son midrash infini, entre l’adhesion et l’eloignement qui nous ramene toujours au centre.
Dans le Livre des ressemblances de Jabes, mille echos de voix, rabbins mythiques ou reels,comme dans certains tableaux de Chagall, le juif et le Rouleau de parchemin ne font qu’un. le Rouleau devient metaphore de son errance, le langage devient errance, desert, question…..
‘’Reb Lior ajoutait:lorsqu’a force de depouillement, nous arriverons a n’etre plus qu’un point dans tous les livres, notre ressemblance a Dieu sera consommee.’’
Quel jeu pourrait nous rapprocher advantage de Dieu que ce jeu millenaire avec les lettres hebraiques?
‘’Il n’y a pas de lieu du Livre; donc pas de choix, mais mille lieux se derobant au choix. Chaque lettre est intime configuration d’un lieu.Nous ne ferions en ecrivant que reveler le vocable, le jeu de chacune de ses lettres et , au livre, les lieux dissemines de ses mots.
Ainsi le Juif va vers le juif depuis l’Exode, et toutes les patries des juifs ne sont qu’une meme patrie divisee a laquelle ils redonnent son unite en parachevant le Livre….O, terre promise, toute promesse, lui repondit Reb Tekoa….””