Le chaos politique israélien - Par Shmuel Trigano

Le chaos politique israélien

Par Shmuel Trigano

Comment qualifier la situation politique en Israël? Dérision? Décomposition? Qu’on en juge par les faits, simples et incontestables parce que numériques. Tout d’abord, il n’y a plus de droite ni de gauche, il n’y a plus d’enjeu strictement politique: c’est la haine de Natanyahou qui clive le pays. On peut comparer ce qui se passe depuis des années au rite du bouc émissaire qui permet à une tribu divisée de ressouder sauvagement ses liens en excluant – et plus – un de ses membres.

Les anti-Natanyahou mènent le jeu. D’un côté ils campent les imprécateurs et les procureurs, de l’autre ils refont le « coup du danger Le Pen » pour paralyser leurs contradicteurs en diabolisant les députés du parti sioniste religieux, Smotrich et Ben Gvir.

Loin de ces procès d’intention journalistiques quelle est la réalité? Le Likoud sous la direction de Natanyahaou compte 30 députés. C’est le seul parti majoritaire, une majorité relative dans la mesure où la droite est divisée. Le seul parti qui peut s’opposer au Likoud est le Yesh Atid de Lapid mais il n’a que 17 sièges, soit la moitié du Likoud. Il n’est pas de taille à se mesurer à lui. De même, Interrogée sur le fait de savoir qui les Israéliens estiment l’homme politique le plus apte à diriger le pays, la grande majorité, environ 40 %, répond Natanyahou, Avec Lapid et Benett, on tombe pour chacun à la moitié des opinions. La situation est claire, la majorité relative va au Likoud et à son chef qui représentent la force politique la plus grande du pays.

Cependant du fait de la ligne de partage Bibi-anti Bibi, le Likoud ne peut former une majorité. Le bloc Natanyahou obtient en effet 52 députés et le bloc de ses ennemis 57 sièges. Eux mêmes donc n’ont pas de majorité qui est de 61 députés.

C’est là qu’entrent en scène les diafoirus des partis minoritaires. Trois partis feraient la décision: le transfuge du Likoud, le parti de Tikva hadasha, Gideon Saar, avec ses 6 députés, et le parti Yamina de Bennett avec ses 7 députés mais aussi le parti des Frères musulmans, Raam, avec ses 4 députés. Le « camp du changement » comme il se nomme a besoin d’eux pour se faire une majorité et il est prêt à tout, même à donner le poste de premier ministre à Bennett dans le cadre d’une rotation avec Lapid. Ce qui revient à dire qu’un parti qui représente 7 députés deviendra la figure de proue de l’Etat, éliminant ainsi le parti le plus important, le Likoud, et le leader le plus plébiscité. Bennett a fait campagne contre celui qui est devenu son allié aujourd’hui. Il s’était engagé spectaculairement envers ses électeurs à ne faire aucune alliance avec lui. Il s’avère qu’il a tout simplement trompé ses électeurs et détourné leur choix. Ils peuvent légitimement penser qu’il les a trahis, ce qui mine encore plus son assise. Lui qui se présentait comme la droite dure, nationaliste, il présidera non seulement le gouvernement mais aussi un gouvernement qui dépendra du parti des Frères Musulmans, le part Raam.

Ainsi la nouvelle majorité reposera sur plusieurs petits partis qui, chacun, tourne autour de 7 députés, Bleu Blanc, Israel Beitenu, Yamina (dont le nom veut dire « A droite toute! », Tikva Hadasha (« nouvel espoir) et qui s’unissent contre le parti le plus important pour l’exclure du pouvoir. C’est ce qu’on appelle en langage démocratique la « dictature de la minorité », il faudrait rajouter de l’union de toutes les minorités contre la majeure partie de la société civile.

Le trait le plus marquant de cet état de faits cependant est ailleurs, avec la montée sur la scène du pouvoir de partis nommément arabo-musulmans: Raam (Tonnerre) représente les Frères musulmans, les islamistes et La liste unifiée c’est à dire la posture la plus archaïque, je dirais stalinienne, du nationalisme palestinien et de l’irrédentisme palestinien. La minorité des minorités devient ici le parti qui décide du pouvoir à venir en Israël.

Et là on est époustouflé par ce qu’obtiennent les Frères Musulmans: le gel d’une loi votée par la Knesset sur les constructions illégales, la légalisation de 14 villages bédouins illégaux, en somme la suspension de la Loi existante à l’avantage d’une population spécifique, une loi ad personam. Si au lieu de la mention « arabe » vous mettiez la mention « juif », vous verriez le scandale mondial que celà provoquerait! Un budget de 50 milliards de shekels au bénéfice (exclusif donc) des populations arabes sera confié au parti Raam. Mais surtout et c’est le scandale le plus grand: il recevra la présidence de la commission de l’intérieur à la Knesset, c’est à dire tout ce qui concerne l’organisation et la sécurité du pays, ce qui est d’autant plus grave après les récentes émeutes.

Enfin, la nouveauté de ce gouvernement serait la présence d’un ministre arabe du Meretz, parti d’extrême gauche, Issawi Fredj, nommé ministre de la coopération régionale, c’est à dire en charge du rapport d’Israël avec les pays environnants et dont la politique est déclarée: mettre en avant la question palestinienne et la nécessité d’un Etat palestinien.

Le parti Raam comme celui de la Liste unifiée ne reconnaissent pas la légalité et la légitimité de l’Etat, ne saluent pas le drapeau, ne prêtent pas serment à la Knesset comme ils l’ont fait il y a quelques semaines. Ils n’ont pas voté pour l’élection du président de l’Etat. En un mot, ils récusent l’Etat d’Israël et exigent un Etat qui serait bi-national dans les frontières de 1967, et bien sur un Etat palestinien national, revendiquant un lien à la oumma islamique, sur tous les territoires de Cisjordanie. En somme deux Etats pour un seul peuple!

Cette ligne de démission nationale apparait encore plus clairement: on l’a appris hier soir d’une indiscrétion: dans la plate forme du gouvernement Bennett, on ne trouve, contrairement à ce qui se fait d’habitude, aucune mention de l’Etat juif, du sionisme ou de l’alya…

Si une telle coalition se concrétise, il faut s’attendre à de graves troubles sociaux et politiques, notamment dans la population fidèle à l’existence de l’Etat qui peut à juste titre s’estimer trompée et trahie par les manœuvres de politiciens égarés qui font bon marché de la démocratie. Plût au Ciel que ce bateau ivre ne se fracasse pas sur le roc du principe de réalité!

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